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Avoir son propre chez soi : une envie omniprésente chez les jeunes


L’aspiration des jeunes à quitter le logement parental pour avoir un logement autonome ne se dément pas malgré la détérioration de l’accès à l’indépendance financière et la hausse générale du prix de la pierre ou de l’immobilier locatif. Les résultats du Baromètre DJEPVA sur la jeunesse 2018 viennent très largement contrebalancer l’image de jeunes souhaitant bénéficier le plus longtemps possible du confort du domicile familial. Ces données nouvelles font même apparaître que le niveau de satisfaction et de confiance en l’avenir des jeunes dépend pour beaucoup de leur accès à un logement autonome. Dans ce contexte, l’amélioration de l’information sur les dispositifs d’aide au logement constitue un enjeu majeur de politique publique.


Avoir son propre chez soi : une envie omniprésente chez les jeunes

 

L’aspiration des jeunes à quitter le logement parental pour avoir un logement autonome ne se dément pas malgré la détérioration de l’accès à l’indépendance financière et la hausse générale du prix de la pierre ou de l’immobilier locatif. Les résultats du Baromètre DJEPVA sur la jeunesse 2018 viennent très largement contrebalancer l’image de jeunes souhaitant bénéficier le plus longtemps possible du confort du domicile familial. Ces données nouvelles font même apparaître que le niveau de satisfaction et de confiance en l’avenir des jeunes dépend pour beaucoup de leur accès à un logement autonome. Dans ce contexte, l’amélioration de l’information sur les dispositifs d’aide au logement constitue un enjeu majeur de politique publique.

La proportion de jeunes qui habitent chez leurs parents s’est accrue depuis 2000 (Pouliquen, 2018), poussée par la hausse du chômage et du nombre d’étudiants. Pour autant, comme le montrent les résultats de l’édition 2018 du Baromètre sur la jeunesse, réalisé par l’INJEP et le CRÉDOC pour la Direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative [méthode], le désir des jeunes d’avoir leur propre logement reste très élevé. Trois quarts des 18-30 ans ont déjà habité, au moins pendant une période, dans un logement autonome. Parmi ceux n’ayant jamais eu d’expérience de logement autonome, la très grande majorité l’a déjà envisagé mais a dû y renoncer faute d’emploi ou de ressources financières suffisantes.

 

Trois jeunes sur quatre ont déjà habité un logement autonome

Début 2018, la grande majorité des jeunes âgés de 18 à 30 ans a déjà connu une expérience d’autonomie résidentielle : 59 % vivent actuellement dans un logement qui n’est pas celui de leurs parents et 13 % ont habité dans un logement autonome par le passé avant de retourner dans le domicile parental [graphique 1]. Ces derniers sont revenus vivre chez leurs parents le plus souvent à la fin d’une année scolaire ou d’études, après une séparation amoureuse ou en raison de difficultés financières. Au total, 72 % des jeunes ont donc ainsi déjà connu une première expérience de décohabitation, qu’ils soient depuis retournés chez leurs parents ou non. La situation vis-à-vis des études est fortement liée à cette première expérience d’autonomie résidentielle : cela concerne 48 % des jeunes étudiants contre 89 % des jeunes qui ont terminé leurs études.

 

 

Avoir son propre logement est souvent lié à d’autres étapes d’autonomisation : avoir un emploi, être indépendant financièrement, être en couple (Despalins et de Saint Pol, 2012 [1]). Lorsqu’on interroge les jeunes sur les raisons qui les ont poussés à déménager, le désir de vivre avec leur conjoint constitue le premier facteur déclencheur de la décohabitation (28 % des départs). Au-delà des raisons affectives, rappelons que le logement est devenu le premier poste de dépenses des Français, représentant 26 % des dépenses de consommation en 2011, contre 14 % en 1988 [2], et que son poids est mécaniquement plus facile à supporter lorsque l’on peut cumuler deux revenus.

La poursuite des études (27 % des départs) et le désir d’indépendance (25 %) suivent de près la mise en couple dans les motifs d’accès à un premier logement autonome. L’emploi est nettement moins cité (15 % des raisons de départ). Dans un contexte d’incertitude et de tension sur le marché du travail, l’autonomie résidentielle se fait plutôt une fois la situation professionnelle sécurisée. Cette attitude n’est d’ailleurs pas cantonnée aux jeunes. Des travaux menés par le CRÉDOC pour l’Association pour l’accès aux garanties locatives (APAGL) sur la mobilité des demandeurs d’emploi montrent aussi une mobilité rarement consentie sans la sécurité d’un contrat de travail, en raison notamment de la difficulté à trouver un logement en étant sans emploi, des coûts liés au déménagement et de l’éloignement d’un réseau relationnel soutenant. En d’autres termes, les déménagements pour se rapprocher d’un emploi potentiel sont rares, le coût financier et l’incertitude associés étant trop importants à assumer. Dans l’équation logement-emploi, l’emploi stable précède le logement.

 

MÉTHODE

Fruit d’une collaboration entre l’INJEP et le CRÉDOC, à la demande de la Direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA), le Baromètre DJEPVA sur la jeunesse est produit chaque année depuis 2016. Il s’inscrit dans la volonté de proposer aux acteurs publics et à l’ensemble des professionnels mobilisés pour la jeunesse des indicateurs récurrents sur les conditions de vie, les modes de vie, aspirations et attentes des jeunes. L’enquête a été réalisée en ligne en janvier et février 2018, auprès d’un échantillon représentatif de 4 502 jeunes résidant en France (Métropole et Outremer, hors Mayotte), âgés de 18 ans à 30 ans, sélectionnés selon la méthode des quotas. Les quotas nationaux et régionaux ont été calculés d’après les résultats du dernier recensement général de la population (INSEE, Recensement de la population, 2013). Un redressement régional puis national a été effectué pour assurer la représentativité de l’échantillon par rapport à la population nationale des jeunes âgés de 18 ans à 30 ans

Le désir d’autonomie est tel que les jeunes, pour avoir leur propre toit, acceptent des compromis en termes de qualité de logement. Ils sont plus souvent en situation de surpeuplement tel que le définit l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE [3]), notamment parce qu’ils sont nombreux à vivre dans un studio. Selon la dernière enquête logement [4] du même institut, 16,7 % des ménages dont la personne de référence a entre 18 et 39 ans sont en situation de surpeuplement contre 1,6 % des 65 ans et plus. Par ailleurs, 12,6 % des logements habités par des jeunes présentent trois défauts ou plus (installation électrique en mauvais état, mauvaise exposition du logement, présence d’humidité sur les murs, mauvaise isolation thermique des toits ou des murs, infiltrations d’eau, problèmes d’évacuation), contre 6,6 % des logements de ménages dont la personne de référence a 65 ans ou plus.

 

Parmi ceux qui n’ont jamais quitté le domicile parental, deux sur trois l’ont déjà envisagé

Parmi les jeunes n’ayant jamais eu d’expérience de logement autonome interrogés dans le cadre du Baromètre DJEPVA sur la jeunesse, 66 % déclarent avoir déjà envisagé de quitter le domicile parental. Finalement, dans l’ensemble, seuls 10 % des jeunes ne résident pas en logement autonome et n’ont jamais envisagé de sauter le pas. Les plus jeunes sont plus souvent dans cette situation puisque cela concerne 28 % des 18-24 ans qui n’ont jamais quitté le domicile familial, contre 9 % des 25-30 ans. L’aspiration à l’autonomie résidentielle est manifeste chez les jeunes qui n’ont jamais quitté le domicile de leurs parents, quelle que soit la catégorie d’âge, de situation d’activité ou de situation conjugale considérée [tableau 1].

Les jeunes hommes, qui décohabitent plus tard en moyenne (Portela et Dezenaire, 2014 [5]), se montrent légèrement moins enclins à quitter le domicile parental que les jeunes femmes, notamment en raison d’un calendrier de mise en couple plus précoce chez les femmes.

 

 

L’autonomie résidentielle est mise à mal par les questions financières

Cette aspiration est toutefois très souvent contrariée : seuls 7 % des jeunes qui vivent chez leurs parents et qui ont déjà envisagé de partir déclarent que rien ne les en empêche. Pour les autres, les freins à la décohabitation sont liés en premier lieu au coût du logement et de la vie (40 % des réponses) et au besoin d’une certaine stabilité professionnelle (32 %) [graphique 2].

Au cours des vingt dernières années,les prix moyens du logement à l’achat ont connu en France une augmentation très forte. Les prix à la location sont restés plus stables, mais le mouvement d’accession à la propriété a progressivement contribué à vider la catégorie des locataires de ses membres les plus aisés, avec en parallèle le développement d’inégalités générationnelles dans l’accès au logement : les jeunes sont aujourd’hui plus souvent locataires du parc privé avec des faibles revenus (Friggit, 2013). Les frais liés au logement pèsent ainsi de plus en plus lourd dans le budget des jeunes, avec des répercussions mécaniques sur leurs autres postes de dépenses (Babes et al., 2012). Début 2018, 69 % des jeunes qui décohabitent déclarent que la dépense de logement représente « une lourde charge » pour leur budget, sans toutefois donner d’estimation en termes de proportion objective. C’est nettement plus que dans l’ensemble de la population française (51 %, Enquête « Conditions de vie et aspirations », CRÉDOC, 2018).

 

 

L’accès à l’emploi, pour important qu’il soit dans la décohabitation, n’est pas toujours suffisant pour accéder à l’indépendance financière dans le logement autonome. En moyenne, un tiers (33 %) des jeunes qui vivent en logement autonome sont aidés financièrement par un proche, et c’est le cas de 27 % des jeunes en emploi. L’accompagnement à l’autonomie résidentielle des jeunes représente un budget conséquent pour les parents : l’Enquête nationale sur les ressources des jeunes (ENRJ) montre que, en moyenne, l’ensemble des aides et dépenses des parents s’élève à 3 960 euros par an lorsque le jeune a quitté le nid familial, tandis que le montant est deux fois moindre lorsqu’il vit encore avec eux (1 980 euros par an ; Castell, Rivalin, Thouilleux, 2016 [6]).

La cohabitation avec les parents est souvent vécue comme une contrainte, à la fois par le jeune et par les parents. Les travaux de Cécile Van de Velde [7] montrent l’existence d’une forme de négociation entre parents et enfants, dont le résultat varie selon les milieux socio-économiques. Au sein des groupes ouvriers et des classes populaires, le maintien d’un jeune dans le foyer parental se fait souvent en contrepartie de la remise d’une forme de loyer, c’est-à-dire une participation financière aux charges de l’ensemble du foyer. Dans les classes moyennes, le maintien dans le foyer parental prend la forme d’un « sursis » et donne lieu à un aménagement d’une autonomie du quotidien au sein du foyer (le jeune a notamment une vie sociale déconnectée de celle des autres membres du foyer). Pour les jeunes issus des classes aisées, la problématique de la cohabitation contrainte est moins présente car, dans les faits, l’aspiration à l’indépendance du jeune est soutenue financièrement par les parents et le maintien dans le foyer parental est plus souvent choisi que subi.

 

 

Un enjeu d’information sur les dispositifs de soutien à l’indépendance résidentielle

L’étude met au jour une voie possible d’amélioration de la situation des jeunes en matière de logement. En effet, les jeunes qui vivent chez leurs parents, comme les étudiants, sont beaucoup moins nombreux que les autres à avoir déjà entendu parler des dispositifs de caution (comme par exemple Visale, Loca-Pass, Mobili-Jeune, etc.) [tableau 2]. Il est vraisemblable que cet écart tienne pour partie à l’âge et au fait que les jeunes chez leurs parents n’ont pas été confrontés à la situation de changement de logement et n’ont donc pas réalisé de démarches spécifiques pour se renseigner sur les dispositifs à l’œuvre. Mais l’on peut également penser qu’une partie de ces jeunes pourrait être avantageusement accompagnée, via une meilleure information, dans le long chemin vers l’indépendance résidentielle.

 

 

Favoriser la connaissance et le recours aux dispositifs de caution locative apparaît d’autant plus crucial que l’autonomie résidentielle – et plus encore la capacité à assumer financièrement cette autonomie – a un impact sur la satisfaction relative à la vie et sur la confiance en l’avenir des jeunes. La part de 18-30 ans qui estime que sa vie « correspond à ses attentes » et la proportion de jeunes déclarant avoir confiance en l’avenir augmentent toutes deux à mesure que le jeune acquiert son indépendance résidentielle et est en capacité de l’assumer financièrement. Les jeunes ayant bénéficié d’un coup de pouce financier parental pour acquérir leur autonomie se montrent moins confiants en l’avenir (63 %) que les jeunes complètement indépendants (82 %) [graphique 3].

Ces données viennent ainsi très largement contrebalancer l’image de jeunes ayant envie de rester au domicile familial le plus longtemps possible. Elles montrent qu’une meilleure information sur les dispositifs d’aide au logement pourrait probablement contribuer à améliorer la situation et ainsi, in fine, redonner une plus grande confiance en l’avenir à cette génération.

 

Sources bibliographiques

• [1] R. Despalins, T. de Saint Pol, « L’entrée dans la vie adulte des bacheliers sous l’angle du logement », Études et résultats, n° 813, DREES, octobre 2012
• [2] R. Bigot et S. Hoibian, « Les difficultés des Français face au logement », Cahier de recherche du Crédoc, n° 265, décembre 2009
• [3] INSEE, Indice de peuplement des logements
• [4] S. Arnault, L. Crusson, N. Donzeau, C. Rougerie, « Les conditions de logement fin 2013. Premiers résultats de l’enquête Logement », INSEE Première, n° 1 546, avril 2015
• [5] M. Portela et F. Dezenaire, « Quitter le foyer familial : les jeunes adultes confrontés à la crise économique », Études et résultats, n° 887, DREES, juillet 2014
• [6] L. Castell, R. Rivalin, C. Thouilleux, « L’accès à l’autonomie résidentielle pour les 18-24 ans : un processus socialement différencié », France Portrait social, INSEE Références, édition 2016
• [7] C. Van de Velde, « La dépendance familiale des jeunes adultes en France. Traitement politique et enjeux normatifs », in Serge Paugam, Repenser la solidarité, Presses universitaires de France, 2007, pp. 315-333
• [8] E. Pouliquen, « Depuis 2000, la part des 18-29 ans habitant chez leurs parents augmente à nouveau », INSEE Première, n° 1 686, janvier 2018
• [9] F. Chanvril, A.-S. Cousteaux, V. Le Hay, L. Lesnard, C. Méchinaud, N. Sauger, « La parentalité en Europe, Analyse séquentielle des trajectoires d’entrée dans l’âge adulte à partir de l’Enquête sociale européenne », Dossier d’étude n° 122, Sciences Po, novembre 2009

 

Pour en savoir plus

• Baromètre DJEPVA sur la jeunesse 2018, rapport d’étude
• J. Friggit, Loyers et revenus depuis les années 1970, CGEDD, juin 2013
• M. Babès, R. Bigot et S. Hoibian, « Propriétaires, locataires : une nouvelle ligne de fracture sociale », Consommation et modes de vie, n° 248, CRÉDOC, mars 2012



Radmila Datsenko, cheffe de projet Nelly Guisse, directrice d’études Sandra Hoibian, directrice de pôle, CRÉDOC Joaquim Timotéo, chef de mission, INJEP