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L’INJEP a organisé une conférence-débat sur les liens entre la bande dessinée, le sport et les activités corporelles en marge du Festival d’Angoulême. Objectif : mettre en débat le numéro 78 de la revue Agora débats/jeunesses autour de ces questions. Compte-rendu.

Quel meilleur cadre que le Festival de BD d’Angoulême pour présenter le dernier numéro de la revue Agora débats/jeunesses, « Bande dessinée, jeunesses et activités corporelles » ? Plus que jamais ouvert à ses terrains d’études, l’INJEP a permis, vendredi 26 janvier 2018, aux coordinateurs du dossier central du Agora débats/jeunesses n°78, d’en présenter les axes saillants à l’auditorium Gabriel Fauré situé en plein cœur de la préfecture charentaise.

À l’initiative du dossier thématique, les coordinateurs Julien Fuchs  (maître de conférences HDR en STAPS, université de Bretagne occidentale), Sébastien Laffage-Cosnier, Christian Vivier, (respectivement maître de conférence et professeur des universités en STAPS, université de Bourgogne-Franche-Comté) ont pu ainsi revenir sur les interactions entre la bande dessinée, le sport, et plus largement le corps, ainsi que leur exploitation dans des œuvres aussi variées que Bécassine, Michel Vaillant ou encore Le Goût du Chlore et Foot 2 rue, pour des BD plus récentes.

Intervenaient également Héloïse Chochois (auteure de La fabrique des corps, éditions Delcourt), Denis Jallat (enseignant-chercheur en histoire du sport à l’Université de Strasbourg), et Philippe Liotard (sociologue et épistémologue à l’Université Lyon 1).

La BD : le genre littéraire très apprécié par les jeunes

Loin du cliché de l’adolescent passant ses journées devant la télévision ou sur internet, des études récentes montrent que lire reste un loisir prisé par les jeunes qui y consacrent en moyenne trois heures par semaine. Par ailleurs, 78 % des 7-19 ans déclarent lire par goût personnel, hors du cadre scolaire. Mais c’est la bande dessinée qui est le genre littéraire préféré, pour 53 % des jeunes, et pour 73 % des collégiens1.

Pour introduire la discussion, les coordinateurs présentent les enjeux du dossier. Sébastien Laffage-Cosnier rappelle que « souvent témoin de son époque, la bande dessinée diffuse alternativement des modèles normatifs et des figures émancipatrices. Elle témoigne des représentations du corps de la jeunesse, mais aussi des modèles que les adultes tentent d’inculquer ». Point sur lequel reviendra également Julien Fuchs en soulignant que BD et jeunesse « sont reliées entre elles ». Une part de la construction juvénile peut s’effectuer par ces lectures. L’ambition centrale du dossier est de chercher à comprendre « comment les bandes dessinées diffusent soit de façon explicite, soit de manière sous-jacente, des imaginaires qui influent sur les représentations du corps par la jeunesse, ou comment ils imaginent la construction des corps des genres ».


BD, représentations des corps et représentations de la jeunesse

Avec les articles présentant des analyses de Thorgal, Pierrot sportif ou Rough mais aussi des BD de Servais ou de Jean Harambat ce dossier thématique montre que « le corps, les représentations de l’effort et de la beauté permettent de comprendre le sport » selon Christian Vivier. Il rappelle d’ailleurs que « travailler la bande dessinée, c’est travailler la représentation sociale, hier, aujourd’hui, et même demain » comme on peut le voir à travers les représentations du sport dans les BD de René Pellos, ou encore dans Rahan d’André Chéret. À travers la représentation des corps, c’est « le façonnage idéologique de la jeunesse qui se dessine sous le crayon des artistes », a expliqué Julien Fuchs. Reprenant les articles publiés dans Agora débats/jeunesses, il explique combien Pierrot sportif, met en scène les corps de jeunes gens tempérés, sages, « sains », imprégnés des valeurs chrétiennes d’avant-guerre. L’hebdomadaire catholique peint un idéal d’éducation physique et sportive des jeunes garçons des années 30, à l’heure où les affrontements idéologiques autour de la jeunesse, et des mouvements censés l’encadrer, prennent des allures paroxystiques. Un autre article autour de Thorgal, de Jean Van Hamme et Grzegorz Rosinski, révèle l’expression d’une attente vis-à-vis des modèles masculins des années 1970/1980 ; à la fois musclés, courageux, virils, mais aussi doux et attentionnés, et en cohérence avec un système de valeurs orientées vers le foyer.


Conformisme et émancipation

À rebours de ces représentations conformistes, concernant l’article sur les personnages de Jean-Claude Servais : Violette, Céline ou Blanche, il rappelle que cela renvoie à un affranchissement vis-à-vis de l’autorité morale au service d’une vie saine, assumée et sans contrainte : « le corps féminin est ici inséré dans un système de valeurs orientées vers la liberté et l’émancipation » résumera Julien Fuchs. L’analyse de En même temps que la jeunesse, de Jean Harambat, autour du rugby, gagne également le terrain des valeurs, de la manière de vivre et du modèle social que véhicule ce sport. Enfin, l’analyse des mangas de sport permet de mettre en évidence la survalorisation de la performance corporelle, du contrôle de soi et de l’ascèse, notamment à partir d’analyses graphiques.

Si la démarche générale du dossier s’inscrit dans un contexte « militant et transdisciplinaire de questionnement du corps autour des liens entre sport, jeunesses et arts graphiques, laissant une place importante à la sémiologie de l’image », pour reprendre Denis Jallat, la perspective historique n’est jamais loin. Recontextualiser la publication de BD dans son histoire est essentielle, cela permet par exemple de montrer combien Pierrot sportif est un outil de diffusion de valeurs « complétant l’offre d’encadrement de la jeunesse, à l’instar du patronage ». L’absence des jeunes filles dans cette publication « en dit long sur leur représentation dans les mouvements catholiques », même si les choses évolueront progressivement après la seconde guerre mondiale. On assiste alors à une transformation des modèles classiques, et à l’émergence des approches du corps plus rationnelles.

Une force pédagogique

 » La force de l’image est une force pédagogique, qu’elle norme ou qu’elle transgresse » insistera Philippe Liotard. Ce que l’on peut voir d’après lui dans les mangas sportifs qui cumulent deux fonctions : rigueur, réussite, soumission à l’autorité, mais aussi à la maltraitance. Resituant le débat dans le cadre de son expérience d’auteure de BD, Héloïse Chochois, a rappelé que le manga de sport est un genre noble au Japon. Si l’axe didactique n’est jamais loin de la performance graphique et narrative, l’aventure humaine constitue d’après elle, l’essence de ces sagas. Ces mangas transmettent plus de valeurs et racontent davantage le rapport à autrui, qu’ils ne font exclusivement l’apologie de la performance et de la technicité d’une discipline sportive.