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Développer les compétences socio-comportementales des élèves

UN LEVIER POUR AMÉLIORER LES RÉSULTATS SCOLAIRES DANS LES COLLÈGES DÉFAVORISÉS


Le programme de l’association Énergie Jeunes coordonne des séances de discussions en classe visant à développer les compétences socio-comportementales (motivation, persévérance et autodiscipline) des élèves de collèges défavorisés. Les résultats de l’évaluation conduite entre 2014 et 2019 indiquent un impact positif sur les résultats scolaires, en particulier chez les filles, les élèves sans difficultés de comportement et les non-boursiers. Cet impact s’accompagne d’un changement d’état d’esprit des élèves, d’une amélioration de leurs comportements au collège et d’un ajustement de leurs aspirations. L’effet est moins fort et plus tardif sur les garçons et les élèves de milieux défavorisés qui ressentent les effets seulement à partir de la 3e. Bien que l’effet de cette intervention soit de faible ampleur, son rapport coût-bénéfice est remarquable au regard d’autres dispositifs comparables.


Développer les compétences socio-comportementales des élèves

UN LEVIER POUR AMÉLIORER LES RÉSULTATS SCOLAIRES
DANS LES COLLÈGES DÉFAVORISÉS

Le programme de l’association Énergie Jeunes coordonne des séances de discussions en classe visant à développer les compétences socio-comportementales (motivation, persévérance et autodiscipline) des élèves de collèges défavorisés. Les résultats de l’évaluation conduite entre 2014 et 2019 indiquent un impact positif sur les résultats scolaires, en particulier chez les filles, les élèves sans difficultés de comportement et les non-boursiers. Cet impact s’accompagne d’un changement d’état d’esprit des élèves, d’une amélioration de leurs comportements au collège et d’un ajustement de leurs aspirations. L’effet est moins fort et plus tardif sur les garçons et les élèves de milieux défavorisés qui ressentent les effets seulement à partir de la 3e. Bien que l’effet de cette intervention soit de faible ampleur, son rapport coût-bénéfice est remarquable au regard d’autres dispositifs comparables.

Une étude récente de Nina Guyon et Élise Huillery (2021) a montré que le manque d’estime de soi scolaire et l’excès de fatalisme social observés chez les élèves issus d’un milieu social défavorisé sont à la source de leur déficit d’ambition scolaire lorsqu’on les compare à des élèves ayant des performances scolaires similaires mais issus d’un milieu social favorisé. Investir dans le développement des compétences socio-comportementales à l’école pourrait ainsi s’avérer particulièrement bénéfique pour les élèves d’origine modeste (Algan et al., 2018). Cependant, nos connaissances demeurent limitées sur l’efficacité de ces politiques (Smithers et al., 2018). Avec le soutien du Fonds d’expérimentation pour la jeunesse, l’évaluation du programme Exploiter tout son potentiel, déployé dans des collèges socialement défavorisés, accompagne les élèves via des séances de discussions en classe visant à développer leurs compétences socio-comportementales. Cette recherche contribue à alimenter la réflexion sur de nouveaux leviers à prendre en compte pour améliorer le système éducatif français.

Une intervention « légère », mais répétée tout au long de la scolarité au collège

Le programme consiste en trois sessions de 55 minutes par an durant les quatre années du collège. Ces séances, s’appuyant sur les enseignements les plus récents de la recherche en psychologie, ont été conçues pour encourager les collégiens à adopter un état d’esprit de développement, ou growth mindset, (Dweck, 2006), et un locus interne de contrôle [voir encadré « Repères »]. Comme tout programme visant à développer ces compétences, Exploiter tout son potentiel sensibilise les élèves au fait que l’intelligence n’est pas une capacité fixe et que les compétences peuvent changer à condition de travailler dur et de façon constante. Le programme invite aussi les élèves à définir des objectifs annuels d’amélioration personnelle par rapport à leurs performances scolaires et leurs comportements vis-à-vis de l’école (par exemple, améliorer leurs notes dans une matière donnée ou arrêter de bavarder en classe) afin de développer leur capacité à agir.

Tous les ans, au cours de la troisième session, les élèves évaluent le respect de leur engagement et analysent les raisons de leur réussite ou de leur échec. Cette partie du programme est conçue pour aider les élèves à combler le fossé entre l’intention et l’action et à réfléchir à l’importance d’un effort soutenu pour atteindre leurs objectifs. Près d’une centaine de collèges publics (97), relevant pour la plupart de l’éducation prioritaire et situés à proximité de grandes métropoles françaises (Paris, Lille, Lyon, Marseille), se sont portés volontaires pour participer à cette expérimentation. Le programme a bénéficié aux élèves entrant en classe de 6e au début des années scolaires 2014-2015 ou 2015-2016 (environ 25 000 élèves au total). Dans chaque établissement, une cohorte d’élèves, désignée de manière aléatoire, s’est vu offrir le programme pendant quatre ans, tandis que l’autre a servi de groupe de comparaison [voir encadré « Méthode »].

Le programme a eu un impact positif, significatif mais faible sur les résultats scolaires des bénéficiaires

Les effets sur les résultats scolaires ont été mesurés tout au long de la scolarité au collège. Dans ce qui suit, et selon la pratique usuelle dans la littérature scientifique, les notes des élèves sont standardisées par rapport à celles du groupe de comparaison, ce qui permet ensuite d’exprimer les effets estimés en pourcentage d’écart-type 1.

Après quatre ans, les élèves ayant participé au programme Exploiter tout son potentiel ont vu leurs notes augmenter de 7 % d’écart-type, ce qui correspond à une augmentation de 0,21 point sur 20. À titre de comparaison, la différence de résultat scolaire entre un élève boursier et un élève non-boursier est d’environ 31 % d’écart-type en 6e 2. Cette taille d’effet représente aussi environ 5 % de l’écart de réussite aux épreuves terminales en français et en mathématiques du diplôme national du brevet (DNB) entre les élèves scolarisés dans un collège relevant de l’éducation prioritaire et la population nationale d’élèves.

Comme le révèle graphique, cet effet moyen masque des disparités selon les caractéristiques des élèves. Ainsi, les filles, les non-boursiers, mais surtout les élèves dont le comportement à l’entrée en 6e était le plus satisfaisant (au regard des retards, des absences et des sanctions) sont ceux qui bénéficient le plus du programme en fin de 3e (autour de 8-10 % d’écart-type) alors que le programme n’a eu aucun impact sur les notes des élèves qui se caractérisaient par un mauvais comportement à l’école.

En outre, le programme a eu un impact positif immédiat sur les résultats scolaires, dès la classe de 6e, sur les filles et les élèves non-boursiers, mais cet effet ne s’est matérialisé qu’en classe de 3e, et de manière plus faible, sur les garçons et les élèves boursiers. Ce résultat est important, puisqu’il met en évidence l’intérêt de déployer des interventions sur un temps long afin de bénéficier aux élèves les plus en difficulté.

L’impact du programme sur la moyenne générale des élèves pourrait être interprété comme une simple conséquence d’un écart de pratiques de notation des enseignants selon qu’ils enseignent à des élèves bénéficiaires ou à des élèves non-bénéficiaires. Les enseignants dont les élèves participent au programme d’Énergie Jeunes pourraient surestimer les résultats de leur classe soit parce qu’ils savent qu’ils sont observés (ce que l’on appelle un effet Hawthorne), soit parce qu’ils récompensent de meilleurs comportements en classe. Les résultats au DNB de l’échantillon d’élèves montrent que ce n’est pas le cas, car le programme a également eu un impact sur les performances des élèves à l’examen national (environ 3 % d’écart-type). Le programme a donc eu un impact, certes plus faible mais réel, sur les compétences scolaires des élèves bénéficiaires et cet impact est très vraisemblablement la conséquence d’une amélioration des connaissances et/ou des compétences.

Repères

L’état d’esprit de développement et le locus de contrôle interne sont des concepts de psychologie cognitive proches mais distincts. L’état d’esprit de développement (growth mindset en anglais) correspond à la capacité des élèves à considérer comme conséquences de leur travail, abnégation et motivation, les succès et échecs rencontrés au cours du parcours scolaire. À l’inverse, l’état d’esprit fixe (fixed mindset) considère comme innées les compétences et la réussite scolaires. La recherche a montré qu’un état d’esprit de développement est associé à de meilleures performances scolaires. Le locus de contrôle interne correspond à la capacité des élèves à considérer que leurs succès et échecs sont le résultat de leurs propres actions et non pas de facteurs extérieurs sur lesquels ils n’ont pas d’influence (quartier, parents, école…). Alors que l’état d’esprit s’intéresse à la perception du rapport inné/acquis dans la réussite scolaire, le locus de contrôle se concentre sur la perception des facteurs situationnels ou contextuels qui sont jugés nécessaires pour réussir.

Des évolutions favorables observées sur l’état d’esprit des élèves, leurs comportements au collège et leurs aspirations futures

Les résultats de l’évaluation indiquent également que l’amélioration des performances scolaires des collégiens ayant bénéficié du programme Énergie Jeunes est associée à de légères améliorations de leur état d’esprit, de leurs traits de caractère et comportements, ainsi qu’à des aspirations professionnelles légèrement plus élevées.

D’abord, le programme a amélioré la perception qu’ont les élèves du rendement de l’effort (hausse de 4 % d’écart-type de l’indicateur synthétique mesurant cette dimension). De manière très cohérente avec l’hétérogénéité des effets documentée pour les résultats scolaires, la taille de l’effet sur cet indicateur est plus forte chez les filles, les non-boursiers et les élèves qui avaient un bon comportement à l’entrée en 6e. L’intervention a également eu un impact positif sur le comportement des élèves mesuré à partir du nombre de retards, d’absences et de sanctions, bien que cet effet ne se soit matérialisé qu’au bout des quatre années du programme. Les améliorations comportementales sont aussi plus prononcées parmi les élèves dont le comportement et les notes à l’entrée en 6e étaient les moins satisfaisants : Énergie Jeunes a donc réduit les écarts de comportement entre les élèves se comportant le mieux et le moins bien d’environ 20 % en 3e.

Enfin, le programme a eu un plus petit impact sur les aspirations professionnelles des élèves. La proportion d’élèves bénéficiaires aspirant à un emploi peu qualifié a diminué significativement de deux points de pourcentage par rapport à celle observée parmi les élèves du groupe de comparaison. Ce résultat est cohérent avec la baisse observée, parmi les bénéficiaires, de la proportion d’élèves aspirant à poursuivre leur scolarité en dehors de la voie générale après la 3e. Globalement, l’impact sur le niveau d’aspirations scolaires et professionnelles des élèves est plus prononcé pour les filles (8 % d’un écart-type), les boursiers (6 % d’un écart-type), ceux dont les notes avant le programme étaient les plus faibles (11 % d’un écart-type) et ceux dont le comportement avant le programme était le plus satisfaisant (8 % d’un écart-type).

Pour aller plus loin

Ce document s’appuie sur le rapport d’évaluation remis au Fonds d’expérimentation pour la jeunesse en janvier 2021 par l’équipe d’évaluation composée d’Élise Huillery, Adrien Bouguen, Axelle Charpentier, Yann Algan et Coralie Chevallier. Celui-ci est disponible sur www.experimentation-fej.injep.fr.

Des résultats plus détaillés sont également accessibles dans l’article scientifique : Huillery É., Bouguen A., Charpentier A., Algan Y., Chevallier C., « The role of mindset in education : a large-scale field experiment in disadvantaged schools », SocArXiv, 2021

Un rapport coût-efficacité remarquable

Globalement, l’évaluation du programme d’Énergie Jeunes montre qu’encourager un état d’esprit de « développement » chez les élèves peut être une approche efficace pour améliorer le comportement et les résultats scolaires. Cette amélioration est certes faible (+ 0,21 point de moyenne, soit seulement 5 % de la différence entre collèges prioritaires et collèges non-prioritaires) mais le rapport coût-bénéfice de cette intervention apparaît particulièrement favorable. Avec un coût de 65 € par élève, l’intervention s’avère être une alternative plus avantageuse que d’autres interventions également testées pour améliorer les résultats des élèves et recensées dans une étude de Matthew Kraft (2020). Sa synthèse de la littérature appuyée sur une recension de 242 évaluations d’impact fournit des repères pour comparer le rapport coût-efficacité du programme Exploiter tout son potentiel à celui d’autres programmes aux finalités similaires. L’effet d’Énergie Jeunes sur les notes en 3e se situe à la médiane de la distribution des tailles d’effet documentées par Kraft, mais pour un coût onze fois inférieur (le coût médian est de 773 € par élève). Exploiter tout son potentiel est donc beaucoup plus efficace, à coût donné, que les programmes ayant un effet d’ampleur comparable.

Notons cependant que les effets plus forts mesurés chez certains groupes d’élèves (les filles, les élèves dont le comportement à l’entrée en 6e était le plus satisfaisant et les non-boursiers) suggèrent que ce type d’intervention cherchant à développer les compétences socio-comportementales des élèves dans les collèges défavorisés tend à augmenter les inégalités en matière de réussite scolaire au sein de ces collèges, tout en contribuant à réduire les écarts de performance entre les collèges favorisés et défavorisés si le programme est ciblé, comme ce fut le cas dans cette expérimentation, sur ces derniers.

Malgré des résultats encourageants et un rapport coût-efficacité remarquable, la faible taille d’effet pose question sur la nature transformative de ce type d’intervention pour le système éducatif français. Ce programme pourrait-il produire des effets plus forts si son intensité était accrue via davantage de séances, voire un programme plus individualisé pour répondre plus spécifiquement aux besoins des élèves ? Les compétences socio-comportementales pourraient-elles être transmises de manière plus efficace par les professeurs eux-mêmes par l’intermédiaire de formations enseignantes spécifiques ? Le contenu des messages transmis aux élèves peut-il être adapté aux profils d’élèves qui ont réagi moins favorablement au programme ?

1. L’écart-type est une mesure de la variation qui indique l’écart moyen entre les notes de chaque élève et la moyenne générale. Un écart-type de 2 sur une note sur 20 indique qu’en moyenne les élèves ont des notes 2 points autour de la moyenne. La standardisation consiste à diviser les notes de chaque élève par l’écart-type (ici du groupe de comparaison) et donc d’exprimer les notes en pourcentage d’écart-type.
2. L’effet moyen du programme représente donc environ un cinquième de cette différence. Cela ne signifie pas que ce programme est en mesure de réduire l’écart boursier/non-boursier de 20 % : en réalité le programme a plutôt tendance à accroître cet écart. Nous donnons ces chiffres à titre de comparaison afin de mieux appréhender la taille de nos effets.

Sources bibliographiques

• Algan Y., Huillery E., Prost C., « Confiance, coopération et autonomie : pour une école du xxie siècle », Notes du conseil d’analyse économique, n° 48, 2018.
• Dweck C., Mindset : the New Psychology of Success, Random House, New York (États-Unis), 2006.
• Guyon N., Huillery E., « Biased aspirations and social inequality at school : evidence from french teenagers », The Economic
• Journal, n° 131, 2021.
• Kraft M., « Interpreting effect sizes of education interventions », Educational Researcher, n° 49.4, 2020.
• Smithers L., Sawyer A., Chittleborough C. et al., « A systematic review and meta-analysis of effects of early life non-cognitive skills on academic, psychosocial, cognitive and health outcomes », Nature Human Behaviour, n° 2, 2018.