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Implication des associations dans la démocratie participative

Le cas du budget participatif parisien


Quelles sont les associations qui participent au budget participatif de la ville de Paris, et de quelle manière le font-elles ? Deux recherches doctorales (l’une sur le budget participatif parisien ; l’autre sur les transformations de l’engagement associatif au niveau local) poursuivies par des travaux de l’INJEP renforcent un constat de la littérature académique : la faible adhésion des associations à ces dispositifs institutionnels de démocratie participative. Seule une minorité d’associations parisiennes y participe. Elles sont principalement de petite taille, plutôt récentes si l’on compare à d’autres dispositifs, et issues de secteurs d’activité offrant des services ou équipements localisés (culture, loisirs, sport). Enfin, trois types d’appropriations associatives du budget participatif peuvent être distingués : instrumentale, mobilisatrice et participative.


Implication des associations dans la démocratie participative

 

Le cas du budget participatif parisien

Quelles sont les associations qui participent au budget participatif de la ville de Paris, et de quelle manière le font-elles ? Deux recherches doctorales (l’une sur le budget participatif parisien ; l’autre sur les transformations de l’engagement associatif au niveau local) poursuivies par des travaux de l’INJEP renforcent un constat de la littérature académique : la faible adhésion des associations à ces dispositifs institutionnels de démocratie participative. Seule une minorité d’associations parisiennes y participe. Elles sont principalement de petite taille, plutôt récentes si l’on compare à d’autres dispositifs, et issues de secteurs d’activité offrant des services ou équipements localisés (culture, loisirs, sport). Enfin, trois types d’appropriations associatives du budget participatif peuvent être distingués : instrumentale, mobilisatrice et participative.

Les associations sont présentées comme indispensables en démocratie par les théoriciens du politique. Par exemple, Robert Putnam [1] considère les associations comme un indicateur de la mesure de santé d’une démocratie, et Archon Fung [2] montre comment les associations sont susceptibles de renforcer la démocratie. La participation de la société civile aux budgets participatifs (un des outils de la démocratie participative) est considérée comme un facteur clé de sa performance [3]. Pourtant, les recherches académiques sur les dispositifs participatifs contemporains promeuvent une citoyenneté de plus en plus individualisée (en particulier au sein des budgets participatifs [4]), laquelle ne laisse pas forcément beaucoup d’espace à la participation collective et organisée. Les opinions des associations envers la démocratie participative ont été étudiées par Sandrine Rui et Agnès Villechaise-Dupont [4]. Ces deux auteures ont conclu à une « adhésion distanciée » des associations à cette participation institutionnalisée.

Nous retrouvons cette distance dans le cadre du budget participatif parisien, les associations interviewées craignant d’être instrumentalisées ou critiquant la procédure jugée trop descendante et pas assez démocratique. En revanche, leur recherche n’apporte pas d’information concernant les caractéristiques des associations qui prennent part à la démocratie locale et trop peu de travaux académiques portent spécifiquement sur les relations entre associations et budgets participatifs. C’est pourquoi notre étude se propose de déterminer quelles sont les associations qui prennent part au budget participatif de la ville de Paris, dispositif de la démocratie participative contemporaine où les associations semblent marginalisées, et, enfin, d’analyser de quelle manière elles s’approprient le dispositif, malgré des positions parfois critiques à l’égard du dispositif lui-même ou de la majorité municipale.

Le budget participatif : l’un des dispositifs les plus utilisés par les associations impliquées dans la démocratie locale

Le budget participatif parisien est, avec les conseils de quartier, le dispositif le plus utilisé par la minorité d’associations parisiennes participant à la démocratie institutionnelle. La ville de Paris propose plusieurs modalités de participation pour les associations : les comités d’initiative et de consultation d’arrondissement (CICA), les conseils de quartier, la Nuit des débats et le Budget participatif. Pour les associations parisiennes, la norme est la non-participation à ces dispositifs. Seule une association sur cinq déclare participer à au moins un des dispositifs de démocratie locale parisiens [7, 10]. En revanche, parmi les associations qui participent, nous constatons qu’elles plébiscitent largement le budget participatif. En effet, une association participant à un dispositif de démocratie participative locale sur deux déclare y avoir participé [tableau 1]. C’est le taux le plus élevé parmi tous les dispositifs participatifs du territoire, similaire à celui de la participation aux conseils de quartier qui est pourtant un dispositif plus ancien 1.

Schématiquement, trois types d’associations prennent part à la démocratie participative. Premièrement, celles qui promeuvent ou organisent des dispositifs participatifs. Par exemple, dans le budget participatif parisien, cinq à dix associations par an sont mandatées par la Ville afin de faire émerger des projets de la part de citoyens ou groupes domiciliés en quartiers politique de la ville. Deuxièmement, celles qui participent selon les modalités qui leur sont offertes. Dans le règlement du budget participatif, les citoyens ont davantage de possibilités de participation que les associations : ils peuvent déposer un projet ou/et voter sur les projets déposés. La ville de Paris ne reconnaît aux associations que le dépôt de projet au nom de leur association, même si les membres de l’association peuvent voter à titre individuel pour le projet déposé par leur association. Nous considérons que les associations ont participé quand elles ont déposé un projet en tant qu’association. Troisièmement, certaines associations reçoivent des financements dans le cadre des projets votés. Au budget participatif parisien, les associations participantes représentent entre un quart et un cinquième des déposants depuis 2016.

Repères

Le budget participatif parisien

Démocratie participative : « Ensemble des procédures, instruments et dispositifs qui favorisent l’implication directe des citoyens dans le gouvernement des affaires publiques. » [5] La démocratie locale spécifie l’envergure territoriale d’un dispositif de démocratie participative.

Budget participatif : « Forme particulière de procédure budgétaire qui suppose la participation des citoyens à l’élaboration des finances de la collectivité publique concernée. » [6]

Mis en œuvre depuis 2014, le budget participatif parisien est organisé en vingt-et-un territoires : un budget participatif par arrondissement et un pour l’ensemble de la ville de Paris. Le processus de participation est annuel. Il se déroule en cinq phases : le dépôt de projet (ouvert à des individus et des collectifs), l’instruction des projets par le personnel de la Ville, la sélection des projets à soumettre au vote (par des commissions réunissant représentants de citoyens, élus, et agents municipaux), le vote par les Parisiens pour les projets et le vote du budget lors du conseil municipal de décembre. Au-delà des éditions annuelles, les projets votés sont mis en œuvre par les agents de la ville de Paris (986 projets sur le mandat 2014-2020).

Il existe deux autres budgets participatifs : le budget participatif des collèges et écoles depuis 2016, qui est thématique, et le budget participatif des bailleurs sociaux depuis 2017.

 

Une majorité d’associations récentes et de proximité

Les associations qui participent au budget participatif sont le plus souvent des associations de proximité agissant au niveau du quartier ou de l’arrondissement. L’échelle d’action des associations, leur taille et leur secteur d’activité concordent en ce sens. Nous remarquons ainsi que les associations participantes avec une aire d’intervention égale ou inférieure à l’échelon municipal sont surreprésentées au regard de la population associative parisienne [7].

Quelle est la place des associations de petites tailles parmi les associations qui participent au budget participatif ? Nous constatons que 43 % des associations y participant sont des associations se déclarant comme petites [tableau 2]. Il est toutefois difficile de mettre en perspective ces déclarations en l’absence de données officielles sur le budget et le nombre d’adhérents des associations parisiennes. Toutefois, en comparant avec les autres dispositifs de démocratie locale, on constate que ce taux est le plus élevé parmi celles qui y participent même si d’autres dispositifs (conseils de quartier ou Nuit des débats) suivent une tendance similaire. Au contraire, les associations engagées dans les comités d’initiative et de consultation d’arrondissement (CICA) ne sont que 25 % à se déclarer de petite taille. Enfin, l’observation des secteurs d’activité nous semble confirmer l’ancrage des associations au niveau local. Les deux secteurs d’activité les plus représentés relèvent des catégories « Sports et loisirs » (21 %), à savoir majoritairement des clubs sportifs ou de loisirs localisés, et « Vie et développement local et soutien à la vie associative » (18 %). Le troisième secteur important est celui de l’action sociale et de la santé, mais ce dernier est plus largement représenté chez les associations participantes aux conseils de quartier (30 % contre 18 % au budget participatif). Ainsi, au moins une moitié des associations participantes au budget participatif sont des associations qui proposent des activités localisées dans un territoire géographique équivalent à ou plus petit qu’un arrondissement (équipements, maraudes, etc.).

On remarque également qu’en fonction de leur ancienneté, les associations utilisent des dispositifs différents : les associations les plus récentes (date de création postérieure aux années 2000) ont davantage tendance à s’impliquer dans le budget participatif (64 %) (un constat identique peut être fait pour la Nuit des débats). À l’inverse, les associations les plus anciennes (dont la date de création est antérieure à 2000) participent plutôt aux conseils de quartier ou encore aux CICA. Il est toutefois nécessaire de nuancer ces résultats par une comparaison avec les caractéristiques d’ancienneté de l’ensemble des associations parisiennes [7] : la représentation des associations de moins de 20 ans est identique dans le budget participatif à celle de la population associative parisienne. Ainsi, seules les comparaisons par ancienneté dans la participation aux différents dispositifs de démocratie locale, constituent un résultat pertinent.

Les trois types d’appropriation du budget participatif par les associations

Entre 2014 et 2020, comment les associations parisiennes se sont appropriées le budget participatif de la ville de Paris ? L’observation du rôle que se donnent les associations dans leur contribution à la démocratie, des motifs de l’engagement dans un dispositif de démocratie institutionnelle, du contexte local et du design du dispositif conduit à dégager trois types d’appropriations du dispositif : instrumentale, mobilisatrice et participative. Ces trois formes d’appropriations peuvent être cumulables soit dans un même projet soit dans différents projets déposés successivement ou simultanément.

Dans l’appropriation instrumentale, les associations recherchent leur propre intérêt en participant. C’est le cas des associations qui déposent des projets pour faire rénover leurs locaux ou pour avoir accès à d’autres types de ressources telles que des équipements. Cette appropriation n’a pas de fonction démocratique directe et vise souvent la pérennisation des activités.

Dans l’appropriation mobilisatrice, les associations utilisent le dispositif pour sensibiliser les Parisiens à leurs projets. Ici, il ne s’agit pas de s’adresser directement aux autorités parisiennes, mais plus largement aux citoyens du territoire. Pour les associations concernées, le dispositif participatif devient un moyen de consolider ses réseaux ou encore de recruter de nouveaux bénévoles et militants. Ainsi, certaines associations promeuvent leur projet associatif en se servant du budget participatif parisien comme d’un moyen de promotion. Toutefois, les règles fixées par la collectivité dans le dispositif ne permettent pas toujours aux associations d’atteindre cet objectif. C’est le cas, par exemple, des projets issus de plusieurs associations qui peuvent être fusionnés à la demande de la Ville, ou restreints dans leur mise en œuvre par les équipes techniques.

Dans l’appropriation participative, les associations promeuvent ou défendent des intérêts sociaux. Cette appropriation recouvre deux possibilités : soit celle de porter la voix des citoyens (collectif de riverains par exemple), soit celle de devenir coresponsable de la fabrique du territoire, les dispositifs participatifs ayant une capacité à légitimer les acteurs associatifs dans leurs contributions aux politiques publiques (association d’architectes et d’urbanistes par exemple). Les associations parisiennes mobilisent rarement le dispositif dans un but de protestation. Les associations semblent en effet opter pour des rôles de contribution (en proposant des innovations sociales) ou encore de gestion (opérateur de la collectivité ou participation à une politique publique non définie par elles), mais rentrent rarement, en sus ou non, dans l’opposition politique (contestation des décisions de la collectivité, position de contre-pouvoir).

Méthode

Une étude prolongeant deux recherches doctorales

Les matériaux empiriques de deux recherches doctorales ont servi pour ce travail. La première recherche, réalisée entre 2015 et 2017, portait sur les associations parisiennes [10, 11]. La seconde, depuis 2017, sur le budget participatif parisien [12]. Au niveau qualitatif, 29 entretiens avec des associations ont été réalisés ainsi que des observations ethnographiques et des focus groups. Au niveau quantitatif, un questionnaire auto-administré a été passé en 2017 (n=820 associations), et une base des déposants de projets associatifs a été construite et exploitée à partir de celle des projets déposés fournie par la ville de Paris.

 

Alors que la démocratie locale contemporaine semble se développer sans y impliquer – ou peu – les associations, cette recherche montre que ces dernières peuvent utiliser de différentes manières un dispositif participatif lorsqu’il leur est donné la possibilité de participer. Dans le cas du budget participatif parisien, les associations mobilisent le dispositif pour des finalités de développement de leur projet associatif ou dans une logique partenariale, plutôt que dans une optique protestataire. Ce sont des usages conformes à ce qui est attendu d’elles par la ville de Paris. Néanmoins, le rôle des associations dans un dispositif participatif gagnerait à être plus pensé en amont avec les associations du territoire par les collectivités ou tout autre organisme à l’initiative de tels dispositifs participatifs.

1. Notre questionnaire ne donne toutefois qu’une estimation de ce taux, en raison notamment de son caractère déclaratif [encadré « Méthode »]. En effet, il est difficile de donner un nombre ou un taux exact des associations participantes au budget participatif (ou aux autres dispositifs) en raison de l’absence de données officielles consolidées et de la possibilité pour les membres d’une association d’enregistrer leur participation comme individu plutôt que comme association.

 

Sources bibliographiques

• [1] Putnam R.D., Bowling alone: the collapse and revival of American community, 1., Touchstone ed, Simon & Schuster, 541 p., New York, NY, 2001.
• [2] Fung A., « Associations and Democracy: Between Theories, Hopes and Realities », Annual Review of Sociology, p. 515-539, 2003.
• [3] Wampler B., McNulty S. et Touchton M., « The Global Spread and Transformation of Participatory Budgeting », in Dias (ed), Hope for Democracy, 30 years of participatory budgeting worldwide (Epopeia Records | Oficina, p. 55-72), 2018.
• [4] Rui S., Villechaise-Dupont A., « Les associations face à la participation institutionnalisée : les ressorts d’une adhésion distanciée », Espaces et sociétés, n° 123, 4, p. 21-36, 2005.
[5] Rui S., « Démocratie participative », in Casillo I., avec Barbier R., Blondiaux L., Chateauraynaud F., Fourniau J.-M., Lefevbre R., Neveu C. et Salles D. (dir.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation, GIS Démocratie et Participation, 2013.
[6] Nay O., Carcassonne G., Dreyfus F., Duhamel O., Laroche J., Siméant J., Surel Y., Lexique de science politique : vie et institutions politiques, Dalloz, Paris, 2014.
• [7] Renault-Tinacci M., Enquête : Baromètre de la vie associative 2014, direction de la démocratie, de la citoyenneté et des territoires (DDCT), mairie de Paris, 2014.
[8] Ganuza E., Francés F. et Garibay D., « Le défi participatif : Délibération et inclusion démocratique dans les budgets participatifs », Participations, 11(1), p. 167, 2015.
• [9] Sintomer Y., Herzberg C. et Röcke A., « Participatory budgeting in Europe: potentials and challenges », International Journal of Urban and Regional Research, 32(1), p. 164-178, 2008.
[10] Renault-Tinacci M., Enquête. Pourquoi et comment s’implique-t-on dans une association à Paris ?, mairie de Paris/CERLIS-CNRS, 2017.
• [11] Renault-Tinacci M., La participation associative : une nouvelle voie politique ? Du désir de politisation ordinaire : effets politiques et construction d’une citoyenneté sur mesure dans l’expérience associative parisienne, thèse de doctorat, soutenue le 7 décembre 2018 sous la direction de Roger Sue à l’Université Paris-Descartes, 2018.
• [12] Arhip-Paterson W., L’institutionnalisation de la participation : enracinements, pratiques et réceptions du budget participatif de la ville de Paris (2014-2020), thèse de doctorat en science politique préparée à l’Université Paris 1 Panthéon- Sorbonne, soutenance en 2021.