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Les secteurs multi-collèges, un outil efficace pour renforcer la mixité scolaire

Les enseignements d’une expérimentation menée à Paris


Pour réduire la ségrégation sociale entre les collèges de la capitale, la Ville et l’Académie de Paris expérimentent depuis la rentrée 2017 une méthode nouvelle pour affecter les élèves aux collèges publics : les secteurs multi-collèges. Ce dispositif consiste à définir des secteurs communs à plusieurs collèges pour rééquilibrer leur recrutement social. Deux des trois secteurs bi-collèges de la capitale ont atteint leur objectif de mixité sociale. Dans le troisième secteur, les progrès ont été plus lents à se concrétiser et restent modestes. Au-delà du cas parisien, les secteurs multi-collèges constituent une piste prometteuse pour favoriser la mixité scolaire lorsque le tissu urbain est suffisamment diversifié pour permettre un brassage social des élèves.


Les secteurs multi-collèges, un outil efficace pour renforcer la mixité scolaire

Les enseignements d’une expérimentation menée à Paris

 

Pour réduire la ségrégation sociale entre les collèges de la capitale, la Ville et l’Académie de Paris expérimentent depuis la rentrée 2017 une méthode nouvelle pour affecter les élèves aux collèges publics : les secteurs multi-collèges. Ce dispositif consiste à définir des secteurs communs à plusieurs collèges pour rééquilibrer leur recrutement social. Deux des trois secteurs bi-collèges de la capitale ont atteint leur objectif de mixité sociale. Dans le troisième secteur, les progrès ont été plus lents à se concrétiser et restent modestes. Au-delà du cas parisien, les secteurs multi-collèges constituent une piste prometteuse pour favoriser la mixité scolaire lorsque le tissu urbain est suffisamment diversifié pour permettre un brassage social des élèves.

Les résultats de l’enquête internationale PISA rappellent régulièrement que la France est l’un des pays de l’OCDE où l’origine sociale des élèves détermine le plus fortement leurs performances scolaires (Cnesco, 2016 ; OCDE, 2016). Dans le même temps, plusieurs études ont mis en évidence le niveau très élevé de ségrégation sociale qui caractérise les établissements du second degré en France, en particulier au collège (Givord et al., 2016 ; Ly et Riegert, 2016). L’incapacité de la carte scolaire à assurer la mixité sociale au collège ne se manifeste nulle part de manière aussi criante qu’à Paris, où la concentration sur un territoire restreint d’une population socialement hétérogène, l’abondance de l’offre scolaire et la place centrale de l’enseignement privé engendrent des niveaux de ségrégation scolaire parmi les plus élevés de France.

Face à ce constat, la Ville et l’Académie de Paris expérimentent depuis la rentrée 2017 une méthode nouvelle pour affecter les élèves aux collèges publics : les secteurs multi-collèges. Ce dispositif consiste à mettre en place des secteurs communs à plusieurs collèges pour diversifier leur recrutement social. Au mois de janvier 2017, le Conseil de Paris a voté la création de trois secteurs bi-collèges. Les binômes concernés sont les collèges Hector Berlioz et Antoine Coysevox (18e arrondissement), Marie Curie et Gérard Philipe (18e) et Henri Bergson et Édouard Pailleron (19e). Chaque année, près d’un millier d’élèves sont affectés dans ces collèges selon deux modalités distinctes : la montée alternée et le choix scolaire régulé [encadré « Méthode »].

Avec le soutien du Fonds d’expérimentation pour la jeunesse, nous avons noué une collaboration scientifique avec la Ville et l’Académie de Paris pour évaluer la capacité des secteurs multi-collèges à rééquilibrer la composition sociale des collèges concernés.

 

 

La montée alternée : une mixité sociale en forte progression

Bien que distants d’à peine 600 mètres, les collèges Hector Berlioz et Antoine Coysevox présentaient, avant la réunion de leurs secteurs à la rentrée 2017, des profils sociaux très contrastés [Graphique 1]. Le collège Berlioz (classé réseau d’éducation prioritaire en 2015) comptait en moyenne 40 à 60 % d’élèves issus de catégories socio-professionnelles (PCS) défavorisées au cours de la période 2011-2016 [encadré « Repères »] alors que le collège Coysevox n’en comptait que 10 à 20 %. Le secteur Berlioz-Coysevox est le seul à avoir opté pour la montée alternée. Ce dispositif a permis de renforcer la mixité sociale dans les classes de 6e des deux collèges. Les progrès de la mixité sociale ont été particulièrement marqués en 2017 et en 2019, lorsque les élèves de 6e du double secteur ont été affectés au collège Coysevox : en 2019, les classes de 6e de ce collège ont accueilli 30 % d’élèves de PCS très favorisées et 24 % d’élèves de PCS défavorisées, soit des proportions comparables à celles observées parmi les élèves domiciliés dans le double secteur.

La crainte que la réunion des secteurs Berlioz et Coysevox entraîne une fuite massive des catégories sociales favorisées vers l’enseignement privé ne s’est pas vérifiée. Au contraire, la montée alternée a permis une diminution du taux d’évitement vers le privé, à l’échelle du double secteur. Celui-ci est passé de 24 % en 2016 à 16 % en 2019. Ce reflux s’explique par un phénomène de « retour vers le public » des parents de PCS favorisées de l’ancien secteur Berlioz, qui a plus que compensé l’augmentation modérée de l’évitement des parents de PCS favorisées de l’ancien secteur Coysevox.

 

Méthode

Deux méthodes d’affectation

Deux méthodes ont été expérimentées pour affecter les élèves dans les secteurs bicollèges mis en place à Paris : la montée alternée et le choix scolaire régulé.

La montée alternée consiste à affecter les entrants en 6e du double secteur alternativement à l’un et l’autre collège, les élèves affectés à un établissement y restant scolarisés jusqu’en fin de 3e. À terme, chaque collège scolarise l’ensemble des élèves du double secteur dans deux niveaux distincts : les années paires, le premier collège n’accueille que des classes de 6e et de 4e quand le second n’accueille que des classes de 5e et de 3e ; les années impaires, la configuration est inversée.

Le choix scolaire régulé s’appuie sur un algorithme conçu par notre équipe. Pour mettre en œuvre l’objectif de mixité sociale, les élèves du double secteur sont répartis en quatre groupes sociaux en fonction du quotient familial (revenu imposable divisé par le nombre de parts fiscales) de leurs parents, ou dans un groupe distinct si cette information n’a pu être collectée. Les places de chaque collège sont ensuite réparties entre les différents groupes de manière à correspondre à la répartition observée au niveau du double secteur. Les élèves sont affectés aux places réservées à leur groupe social en fonction des vœux exprimés par les familles et de critères de priorité définis par les comités de suivi mis en place dans chaque secteur (handicap, rapprochement de fratrie, distance domicile-collège). La composition sociale des collèges observée à la rentrée (en septembre) peut différer de celle obtenue à l’issue de l’affectation (en juin) du fait des comportements d’évitement intervenus entre ces deux dates.

 

Les progrès de la mixité sociale ont été moins spectaculaires en deuxième année d’expérimentation (2018), lorsque l’entrée en 6e s’est effectuée au collège Berlioz. Les classes de 6e de ce collège ont alors accueilli environ 25 % d’élèves de PCS très favorisées et 39 % d’élèves de PCS défavorisées [Graphique 1]. Ces moindres performances s’expliquent par la configuration moins favorable proposée aux parents des élèves issus des catégories favorisées qui sont entrés en 6e cette année-là : à la rentrée 2018, les classes de 4e et de 3e du collège Berlioz ne scolarisaient que des élèves originaires de l’ancien secteur Berlioz, au profil social très défavorisé. Cette situation a suscité de l’appréhension chez certains parents des futurs élèves de 6e et a conduit une partie d’entre eux à se tourner vers le privé. L’amplification des comportements d’évitement en 2018 reste toutefois modérée lorsqu’on prend comme référence la situation qui prévalait avant l’expérimentation, le taux d’évitement vers le privé se situant à 30 % en 2018 (contre 24 % en 2016).

 

 

Le choix régulé : un bilan plus contrasté

Les marges de progression de la mixité sociale dans les deux secteurs bi-collèges qui ont adopté une procédure de choix scolaire régulé n’étaient pas aussi importantes que dans le secteur Berlioz-Coysevox, en raison de la moindre polarisation sociale de leurs collèges. Si la procédure a fonctionné de manière satisfaisante dans le secteur Bergson-Pailleron, ses effets ont été initialement plus décevants dans le secteur Curie-Philipe, avant de s’améliorer à la rentrée 2019.

Les objectifs ont été atteints s’agissant des collèges Henri Bergson et Édouard Pailleron. Ceux-ci présentaient des compositions sociales proches du fait de la sociologie similaire de leurs secteurs. Dans ces deux collèges, la proportion d’élèves de PCS défavorisées oscillait entre 40 et 50 % au cours de la période 2011-2016. La part des élèves de PCS favorisées ou très favorisées était cependant deux fois plus élevée à Bergson (autour de 40 %) qu’à Pailleron (autour de 20 %). L’un des objectifs du secteur bi-collèges était de rééquilibrer ces proportions et d’endiguer la progression tendancielle du taux d’évitement dans le secteur Pailleron (passé de 42 % en 2011 à 54 % en 2016).

Comme dans le secteur Berlioz-Coysevox, la procédure de choix scolaire régulé a entraîné un recul sensible de l’évitement vers le privé dans le secteur Bergson-Pailleron. Alors qu’au cours de la période 2011-2016, entre 35 et 40 % des parents domiciliés dans ce secteur inscrivaient leurs enfants dans un collège privé à l’entrée en 6e, cette proportion est descendue à 25 % à la rentrée 2017, avant de remonter légèrement (à 31 %) en 2018 et 2019, sans toutefois atteindre les niveaux observés avant la mise en place du double secteur. Ce phénomène a contribué à la progression des effectifs de 6e dans les deux collèges entre 2016 et 2019 (de 6 % à Bergson et de 25 % à Pailleron).

 

Repères

Mesure de l’origine sociale des élèves

L’origine sociale des élèves est mesurée à partir de la catégorie socioprofessionnelle (PCS) du responsable légal, selon le regroupement en quatre catégories proposé par le ministère de l’Éducation nationale : PCS très favorisées (cadres et assimilés, chefs d’entreprise, professions intellectuelles et professions libérales), PCS favorisées (professions intermédiaires), PCS moyennes (employés, agriculteurs, artisans, commerçants) et PCS défavorisées (ouvriers et personnes sans activité professionnelle). Ces catégories ne correspondent pas nécessairement aux quatre catégories sur lesquelles s’appuie l’algorithme de choix scolaire régulé.

 

Bien qu’elle ne soit pas parvenue à assurer chaque année une répartition parfaitement homogène des élèves en fonction de la PCS de leurs parents, la procédure de choix régulé a néanmoins permis de rééquilibrer la composition sociale des deux collèges [Graphique 2], en augmentant la part des élèves de PCS favorisées ou très favorisées au collège Pailleron, qui est passée de 23 % en 2016 (contre 33 % à Bergson) à 34 % en 2019 (contre 28 % à Bergson).

L’impact sur la mixité sociale a été plus limité dans le secteur Curie-Philipe. Les collèges Marie Curie et Gérard Philipe ont tous deux été classés en réseau d’éducation prioritaire en 2000, en raison du profil historiquement défavorisé de leurs élèves. Toutefois, la mise en place à la rentrée 2012 d’une classe à horaires aménagés de musique (CHAM) dans le collège Marie Curie, ainsi que plusieurs changements intervenus dans la sectorisation des collèges Curie et Philipe, ont contribué à creuser les écarts de composition sociale entre ces deux établissements : en 2016, la part des élèves de PCS défavorisées atteignait 61 % dans les classes de 6e du collège Philipe contre 30 % au collège Curie [Graphique 3]. Ce constat a justifié la mise en place d’un secteur commun à la rentrée 2017.

À l’instar des deux autres secteurs bi-collèges mis en place en 2017, le secteur Curie-Philipe a entraîné une diminution sensible de l’évitement vers le privé à l’entrée en 6e, qui est passé de 35 % en 2016 à 28 % en 2019. Dans ce secteur, la procédure de choix régulé n’a pas cependant produit les effets escomptés du point de vue de la mixité sociale lors des deux premières années d’expérimentation. Les écarts de composition sociale entre les deux collèges ne se sont pas réduits de manière significative entre 2016 et 2018, la part des élèves de PCS défavorisées demeurant deux fois plus élevée au collège Philipe (entre 60 et 70 %) qu’au collège Curie (entre 25 et 35 %).

Plusieurs difficultés structurelles expliquent ce résultat décevant. Un premier ensemble de facteurs est à chercher du côté de la procédure de choix régulé elle-même : une proportion élevée de participants (entre 30 et 60 % selon les années) n’a pas fourni de justificatif de quotient familial et certains des critères utilisés pour calculer les priorités des élèves (comme la distance domicile-collège) ont eu tendance à avantager les élèves de PCS favorisées. Les écarts de composition sociale entre les deux collèges ont par ailleurs été considérablement amplifiés par les comportements d’évitement observés parmi les parents de PCS très favorisées dont les enfants ont été affectés au collège Philipe.

Les modifications apportées à la procédure de choix régulé ont permis de réduire les écarts de composition sociale à l’entrée en 6e à partir de la troisième année d’expérimentation : à la rentrée 2019, les deux collèges accueillaient des proportions comparables d’élèves de PCS favorisées ou très favorisées (27 % à Curie contre 26 % à Philipe) et la proportion cumulée d’élèves de PCS moyennes ou défavorisées était presque identique (autour de 75 %). Cependant, le dispositif n’est pas parvenu à résorber la surreprésentation des élèves de PCS défavorisées au collège Philipe. L’une des causes structurelles de la moindre résistance de ce collège à l’évitement des PCS favorisées est que contrairement au collège Marie Curie, qui dispose d’une classe à horaires aménagés (CHAM) principalement composée d’élèves au profil social favorisé, le collège Gérard Philipe ne peut compter sur aucun dispositif de cette nature.

 

 

Un bilan globalement positif qui invite à pérenniser ces dispositifs

Le bilan globalement positif des trois premières années d’existence des secteurs multi-collèges a conduit la Ville et l’Académie de Paris à pérenniser les trois secteurs mis en place à la rentrée 2017. Au-delà du cas parisien, les secteurs multi-collèges constituent une piste sérieuse pour favoriser la mixité sociale dans l’enseignement secondaire public lorsque, comme c’est le cas dans la capitale, la densité de population est suffisamment importante et le tissu urbain suffisamment diversifié pour que l’élargissement des secteurs des collèges contribue au brassage social.

Le choix d’une procédure d’affectation doit s’apprécier au niveau local, la montée alternée comme le choix scolaire régulé présentant chacun des avantages et des inconvénients. Dans la phase de transition, le système de la montée alternée présente d’indéniables atouts : il permet de stabiliser plus rapidement les anticipations des parents, en réduisant leur incertitude sur la composition sociale du collège d’affectation et en garantissant que les élèves d’une même école élémentaire restent scolarisés dans le même collège. Cependant, ce système ne peut être mis en œuvre de manière réaliste que dans des secteurs bi-collèges et suppose une réorganisation complexe de la structure pédagogique des deux établissements. À l’inverse, une procédure de choix régulé peut sans difficulté être généralisée à des secteurs comportant trois, voire quatre collèges, et autorise des reconfigurations ultérieures, comme par exemple l’inclusion d’un nouveau collège.

 

Pour aller plus loin

Ce document s’appuie sur le rapport Renforcer la mixité sociale au collège : une évaluation des secteurs multi-collèges à Paris, par Julien Grenet et Youssef Souidi, rapport de l’Institut des politiques publiques, FEJ, février 2021.

Ce document est disponible sur www.experimentation-fej.injep.fr, rubrique
Les expérimentations.

 

Sources bibliographiques

[1] Cnesco, Comment l’école amplifie-t-elle les inégalités sociales et migratoires ?, Conseil national d’évaluation du système scolaire, 2016.
[2] OCDE, Résultats du PISA 2015 : L’excellence et l’équité dans l’éducation, OCDE, 2016.
[3] Givord P., Guillerm M., Monso O., Murat F., « Comment mesurer la ségrégation dans le système éducatif ? Une étude de la composition sociale des collèges français », Éducation et Formations, n° 91, 2016.
[4] Ly S.-T., Riegert A., Mixité sociale et scolaire et ségrégation inter et intra établissement dans les collèges et lycées français, rapport pour le Cnesco, 2016.