Cet appel lancé par l’INJEP soutient des projets de recherche qui analysent les conditions d’emploi des jeunes et leur rapport au travail. Il a pour ambition de rendre compte des inégalités d’accès à l’emploi chez les jeunes et de donner à voir leurs conditions de travail et le sens qu’ils accordent au travail.
Cet appel à projets s’adresse à tous les laboratoires de recherche de sciences humaines et sociales et sciences politiques. Les associations peuvent proposer un projet à condition de le réaliser en collaboration avec un laboratoire de recherche. Les projets de recherche pourront reposer aussi bien sur des méthodologies quantitatives que qualitatives ; celles-ci devront être décrites précisément.
S’agissant des méthodologies quantitatives, l’appel à projets pourra financer :
Concernant les méthodologies qualitatives, les projets devront s’appuyer sur un matériau empirique riche qui pourra mobiliser des entretiens individuels ou collectifs, des observations participantes ou indirectes, etc.
Les projets de recherche devront être menés, de préférence, sur une durée maximale de 18 mois à compter de la notification de la convention de subvention conclue avec l’INJEP et le représentant ou la représentante agissant au nom et pour le compte de l’équipe de recherche (le laboratoire ou l’unité). Les candidates et candidats veilleront donc à présenter un calendrier de recherche compatible avec ce délai maximal.
La subvention adressée à chaque projet ne pourra pas dépasser 45 000 €. Un projet dont le coût total serait supérieur à 45 000 € peut toutefois être proposé dans le cadre d’un cofinancement : l’équipe devra alors indiquer le plan de financement détaillé et les cofinancements obtenus (ou en cours d’instruction).
Chaque projet donnera lieu a minima à un rapport de recherche qui pourra être valorisé dans les collections de l’INJEP.
L’INJEP mettra en place un comité de suivi des projets soutenus auquel sont associées les équipes de recherche sélectionnées.
Julie COURONNE julie.couronne@jeunesse-sports.gouv.fr
Thomas VENET thomas.venet@jeunesse-sports.gouv.fr
De plus en plus fréquemment, les médias se font le relai d’une littérature managériale qui présente les jeunes d’aujourd’hui comme étant issus de la « génération Y » ou de la « génération Z ». Ces expressions sont associées à l’idée que, par rapport aux générations précédentes, le rapport au travail des jeunes aurait été considérablement modifié par les nouveaux outils technologiques, outils qu’ils maîtriseraient de manière instinctive. De ce fait, ils seraient moins fidèles à l’entreprise et seraient moins attachés à la valeur du travail, ils seraient plus soucieux que les autres générations à l’articulation de leur vie professionnelle et de leur vie privée. A cette conception s’ajoute l’idée de plus en plus répandue que, sous l’effet de la crise sanitaire, les « jeunes ne souhaiteraient plus travailler », et qu’ils démissionneraient de leur emploi de manière massive, voire, dans certains cas, que le travail ne ferait plus sens pour eux.
La plupart des travaux en sciences sociales montrent, quant à eux, que les jeunes, comme les plus âgés, continuent d’accorder beaucoup d’importance au travail. En effet, que le travail « soit trop envahissant ou qu’il vienne à manquer cruellement, il reste au cœur des identités ». D’après la littérature existante, les différences entre générations apparaissent relativement peu importantes par rapport à celles observées à partir des variables socio-démographiques classiques (sexe, origine sociale, niveau de diplôme).
Le rapport au travail est une notion multifactorielle qui renvoie à une pluralité de conditions sociales et économiques. Observable à partir de différentes échelles d’analyse et selon différentes méthodologies d’enquête, il fait l’objet de multiples définitions. De manière classique, cette notion se découpe en trois dimensions. Tout d’abord, la dimension instrumentale et matérielle renvoie le travail à une manière de gagner sa vie, à une source de revenu. S’ajoute la dimension sociale qui recouvre les relations humaines dans le travail, celles entretenues avec les collègues et avec la hiérarchie, ou plus généralement à l’ambiance qui règne sur le lieu de travail. Enfin, la dimension symbolique révèle que le travail positionne les individus dans la société, il leur attribue un statut plus ou moins valorisé socialement. Ainsi, les recherches explorent différents aspects du rapport au travail : certaines insistent sur le sens que revêt le travail, la valeur que les individus accordent au travail et à la place qu’il occupe dans leur vie, à la construction intergénérationnelle du travail et au rapport à la vie professionnelle, tandis que d’autres encore s’intéressent à la souffrance ou à la reconnaissance au travail par exemple.
Par ailleurs, la notion de rapport au travail est souvent différenciée de celle de rapport à l’emploi. Distinguer ces deux notions permet de montrer que travail et emploi sont intrinsèquement liés. La place que les individus accordent au travail dépend en partie des conditions d’emploi, c’est-à-dire des « conditions contractuelles (CDI ou non, temps plein ou non, etc.) et salariales (rémunérations, avantages acquis le cas échéant, etc.).
Plus précisément, le rapport au travail et à l’emploi de la jeunesse contemporaine est influencé par un contexte économique et social caractérisé par la dégradation du marché de l’emploi et la massification scolaire. Paradoxalement, si les jeunes sont davantage diplômés que leurs aînés, ils sont aussi davantage confrontés à la précarité de l’emploi. Les jeunes ont donc évolué dans une société de « plein chômage », expression utilisée comme étant le contre-point d’une société dite de « plein emploi » pendant les Trente Glorieuses. Ils font partie des catégories les plus touchées par le chômage. Selon l’enquête emploi en continue, en fin d’année 2021, le taux de chômage des 15-24 ans s’élevait à 16 %, contre 7 % pour les 25-49 ans, et ce taux est bien plus élevé pour les jeunes sans diplôme. De plus, les jeunes salariés accèdent souvent difficilement à un emploi stable et sont plus souvent en contrat temporaire que les salariées et salariés de tout âge. En 2021, seuls 41 % des salarié.es de 15 à 24 ans occupaient un emploi à durée indéterminée, contre 77 % des 25-49 ans. Sept ans après la sortie du système scolaire, seule la moitié de la génération des diplômé.es de 2010 occupe un emploi stable, contre deux tiers de la génération 1998.
De précédentes recherches ont permis d’établir que, qu’ils soient précaires ou diplômés, les jeunes semblent avoir intériorisé l’instabilité du marché du travail et donc l’incertitude comme norme sociale. François Sarfati montre par exemple que les salariés du courtage en ligne, ayant intériorisé l’incertitude des marchés, se représentent les licenciements comme des épreuves attendues, presque inévitables, d’une carrière. Alors qu’ils sont en emploi, ils ne cessent de développer des stratégies visant à accroître leur employabilité en candidatant dans d’autres entreprises ou en réalisant de la veille d’informations sur les possibilités de mobilité professionnelle par exemple. À l’autre bout de la hiérarchie sociale, une enquête menée sur les difficultés d’insertion de jeunes peu ou pas diplômés accompagnés par les conseillères et conseillers de mission locale, montre la manière dont ils se représentent le chômage comme une situation « pérenne » et à laquelle il est difficile d’échapper. Une partie de ces jeunes se conditionne ainsi à se satisfaire d’emplois aux conditions de travail difficiles (horaires décalés, tâches répétitives et sollicitant les corps, faible rémunération) : « peu importe le travail… du moment qu’ils travaillent ».
Devant ces constats, l’INJEP lance cet appel à projets pour d’une part, interroger les préjugés à l’égard de la jeunesse dans son rapport au travail et d’autre part, mieux comprendre les inégalités d’accès à l’emploi et les conditions de travail des jeunes. Une attention particulière sera portée à la diversité des situations d’emploi des jeunes, selon leur âge, leur genre, leur origine sociale et territoriale, leur parcours migratoire et leur parcours scolaire.
Deux axes thématiques sont proposés, portants sur les jeunes et sur les recruteur.es, ils ne sont pas exclusifs et pourront être traités de façon conjointe dans les projets soumis.
Le premier axe thématique s’intéresse à l’expérience des jeunes, à leur parcours professionnel, à la manière dont ils investissent le travail et dont ils se le représentent. Il sera important de rendre visible les situations particulières des jeunes travailleurs et ainsi saisir les inégalités sociales quant au rapport que les jeunes entretiennent avec le travail.
D’après la Dares, les cinq corps de métiers qui comptent la part la plus élevée de jeunes sortant d’études en étant titulaires d’un CAP ou BEP sont : 1° Bouchers, charcutiers, boulangers, 2° Aides-soignantes, 3° Ouvriers non qualifiés de la manutention, 4° Cuisiniers, 5° Ouvriers non qualifiés de la mécanique. Les jeunes constituent également une part non-négligeable des « travailleurs des applis ». Ces métiers et leurs caractéristiques très « jeunes » ont encore été relativement peu documentés alors qu’il y aurait beaucoup d’enseignements à en tirer quant aux conditions de travail des jeunes des classes populaires et aux formes de pénibilités particulières auxquelles ils sont exposés.
Du côté des jeunes les plus diplômés, la médiatisation du discours à la remise des diplômes d’Agro Paritech de 2022 s’est fait le relai d’un engagement de la part des jeunes sortants des Grandes écoles souhaitant exercer des emplois qui ne seraient pas destructeurs pour l’environnement et qui serviraient au contraire un engagement écologique et social. Qu’en est-il vraiment des aspirations professionnelles et des conditions de travail des jeunes les plus diplômés qui accèdent à des emplois de cadre par exemple ? Des travaux ont montré que les cadres subissent l’intensité du travail, ils sont « soumis à des changements organisationnels permanents, souvent parachutés d’en haut, qui vident leur travail de son sens. Il y a un sentiment d’insoutenabilité du travail de plus en plus aigu, ce qui rend difficile la projection jusqu’à une retraite lointaine ».
Qu’ils soient précaires ou diplômés, une grande partie des jeunes a intégré la nécessité d’être qualifié et de se construire une expérience professionnelle au moyen de stages, de « petits » boulots ou d’actions bénévoles, pour adopter les « bonnes conduites », être conforme, disponible, mobile, flexible, et travailler son employabilité. Leur socialisation de jeune adulte s’opère dans un contexte qui leur fait endosser la responsabilité de leurs difficultés, de leurs réussites ou de leurs échecs à s’insérer sur le marché de l’emploi, ce qui « entérine le fait que ce sont les individus qui doivent s’adapter au marché et non l’inverse ».
Par ailleurs, de nombreux travaux pointent l’importance accrue de la qualité du travail dans les aspirations des jeunes travailleurs. Que ce soit en termes d’organisation du travail (permettant une bonne conciliation des temps), de contenu de l’activité et de sens (en cohérence avec des valeurs sociales ou environnementale), de rémunération, ces aspirations ne concernent toutefois pas les jeunes de la même manière selon leur sexe, leur niveau de diplôme, etc. Il semble d’ailleurs que ces aspirations ne soient pas spécifiques à la jeunesse, mais concernent dans une certaine mesure l’ensemble des travailleurs. Il sera donc intéressant de faire la part des choses sur les différentes aspirations qui peuvent être spécifiques à certaines fractions de la jeunesse, en lien avec leurs conditions d’entrée et de maintien en emploi, entre effet d’âge et effet de génération.
Les projets de recherche soutenus ont la possibilité d’étudier les questions suivantes (sans viser l’exhaustivité) :
Ce deuxième axe sera l’occasion de mieux saisir et de mieux comprendre le regard que portent les employeurs et les managers sur les jeunes et la façon dont ceux-ci s’intègrent dans les collectifs de travail.
Les jeunes qui entrent sur le marché de l’emploi contemporain font face à des conditions de recrutement très spécifiques : bien qu’ayant des niveaux de formation et de qualification inédits, ils font l’expérience de la précarité et du chômage de manière tout aussi inédite (Macé et Meziani, 2019 ; Hidri et Macé, 2020).
Il sera intéressant de documenter le côté « employeur » et « manager », de la relation salariale afin de mieux comprendre comment sont perçus les jeunes, leurs qualifications, et de mieux cerner les attendus explicites et implicites permettant d’accéder à l’emploi, dans les différents secteurs d’activité.
De façon plus large, il sera également intéressant de porter la focale sur les représentations que peuvent avoir les travailleurs plus âgés de leurs jeunes collègues, de façon à appréhender la façon dont les jeunes salariés sont considérés et intégrés dans les collectifs de travail.
Les projets de recherche soutenus ont la possibilité d’étudier les questions suivantes (sans viser l’exhaustivité) :