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Appel à projets de recherche sur les temporalités des émeutes urbaines : les projets retenus

En mars 2024, l’INJEP lançait un appel à projets de recherche visant à soutenir la production de connaissances sur les révoltes urbaines. Objectif : favoriser la compréhension des émeutes et renforcer en particulier la recherche relative aux dimensions individuelles et collectives des révoltes urbaines, tant du côté des auteurs et autrices que du côté des institutions, politiques publiques, société civile. Quatre projets ont été retenus.

L’appel à projet de recherche proposait d’orienter la réflexion en invitant les chercheur(es) en sciences sociales à travailler sur deux temporalités. Il s’agit d’une part de faire émerger des connaissances sur les logiques internes aux émeutes, les raisons multifactorielles de leur apparition et la diversité des profils, des intentions et des modes opératoires des jeunes y prenant part. Et d’autre part, d’examiner les logiques plus structurelles liées aux configurations socio-territoriales des quartiers où ces évènements émergent, au tissu associatif existant et aux relations engagées entre les institutions politiques, démocratiques, policières et judiciaires et les jeunes habitants de ces quartiers.

Les quatre projets retenus par le jury

Les territoires des émeutes : des banlieues des métropoles aux bourgs. Quelles dynamiques socio-territoriales ?

Marco OBERTI

Centre de recherche sur les inégalités sociales, Fondation Nationale des Sciences Politiques

Dans la continuité des travaux récents, il s’agira d’approfondir les logiques et les mécanismes à l’oeuvre dans l’apparition des émeutes dans les différents types de territoires (bourgs, petites villes, villes moyennes, grandes villes, métropoles et banlieues).

Un volet quantitatif consistera à approfondir les analyses en cours sur l’effet très prédictif de la ségrégation dans tous les types de territoire, en nous intéressant aux interactions complexes entre ses différentes composantes socio-démographiques, socio-économiques et institutionnelles. Ce dernier point fera l’objet d’une attention particulière pour mieux prendre en compte à la fois les programmes de la politique de la ville et de l’éducation prioritaire, mais aussi les caractéristiques du tissu associatif local (statut et types d’associations, répertoires et domaines d’action). La recherche s’intéressera plus particulièrement aux territoires ayant toutes les caractéristiques prédictives d’une émeute et qui n’en ont pas connu, mais aussi à ceux, plus rares, dans lesquels elles n’étaient pas attendues.

Un deuxième volet plus qualitatif reposera sur deux études de cas à partir d’une approche de type ethnographique. Dans la mesure où les petites villes et les villes moyennes ont été particulièrement touchées par les émeutes en 2023, deux terrains correspondant à ces catégories de ville seront retenus. Cela permettra ainsi aborder de manière plus qualitative les éléments indiqués précédemment, mais aussi approfondir d’autres dimensions pour lesquelles ces données sont pauvres ou inexistantes (types d’intervention de la police et d’affrontements avec les jeunes, profils des protagonistes, jeux d’acteurs locaux et modalités d’intervention et de contrôle des violences, dimensions émotionnelles et insurrectionnelles).

Interroger les mémoires des émeutes de juin 2023 dans le Grand Paris Seine & Oise

Jacques DE MAILLARD, François BRASDEFER

Centre de recherches Sociologiques sur le Droit et les Institutions Pénales, Université de Versailles-Saint-Quentin en Yvelines

Le souvenir des émeutes de 2023 ne se limite pas aux vidéos partagées, aux bilans financiers ou aux commentaires médiatiques. Il perdure dans la mémoire des professionnels qui ont été confrontés aux évènements, et dans celle des habitants qui étaient sur place. Il se loge dans des rapports internes, dans des récits entre jeunes ou adultes, dans des réunions entre collègues, et dans des traces parfois encore visibles en ville. Ce projet de recherche centré sur le Grand Paris Seine & Oise a pour but de comprendre les significations et les dynamiques des émeutes à partir d’une sociologie qualitative des mémoires locales. Partant de la méthode de l’entretien compréhensif, il s’agit de prendre au sérieux la diversité des perspectives sur un même évènement en tenant compte des spécificités des territoires et des histoires locales. Que peut-on retenir des émeutes à Mantes-la-Jolie, aux Mureaux et à Chanteloup-les-Vignes, et quelles leçons en tirer pour l’avenir ? L’approche permet de retracer les différentes temporalités qui donnent sens à l’émeute, les traces laissées par ces dernières, et les logiques socio-territoriales en jeu. Seront interrogés des professionnels de secteurs très différents (intervention sociale, polices, prévention municipale, éducation etc.), mais également la mémoire des jeunes habitants pour ouvrir des pistes de politique publique et tenter de répondre aux besoins identifiés localement.

La fabrique (télé)visuelle des révoltes urbaines au prisme des temporalités médiatiques et des luttes pour la visibilité (2005 & 2023)

Jérémie MOUALEK, Raphaël MOQUELET

Centre Pierre Naville, Université Evry

Comment sont représentées les « émeutes » à la télévision ? Dans quelle mesure leur mise en forme a-t-elle évolué entre les émeutes de 2005 et celles de 2023, en particulier en raison du développement des chaînes d’information en continu, de l’accélération du temps médiatique et de la place plus prépondérante des réseaux sociaux ? Enfin, comment le contenu même des images diffusées contribuent à légitimer une certaine vision de ces mouvements, ces moyens d’action et ces territoires ? Ce sont ces questionnements – au croisement de la sociologie des médias, du journalisme et des dispositifs techniques – qui sont étudiés dans le cadre de ce projet de recherche.

A partir des fonds Télévision préservés par l’INA, une comparaison sera réalisée entre les « émeutes » de 2005 et celles de 2023. Portant sur un matériau inédit, l’étude s’axera sur les chaînes d’information en continu ainsi que sur les JT des grandes chaînes pour mieux appréhender le poids de la temporalité médiatique sur le traitement de l’« émeute ». Des entretiens avec des journalistes reporters d’images seront également effectués afin de confronter le contenu visuel récolté aux propriétés sociales de leurs auteurs et au contexte de production (contraintes techniques et économiques).

Émeutes urbaines et éducation populaire : histoires, sentiments d’injustice et conflictualités dans les quartiers populaires

Julien TALPIN, Thomas KIRSZBAUM

Centre d’Études et de Recherches Administratives, Politiques et Sociales, Université de Lille

Le projet propose d’inscrire le temps court des révoltes dans la temporalité plus longue des transformations de l’éducation populaire, de son ancrage territorial et de ses activités dans les quartiers populaires. Il s’agira d’une part d’établir de possibles corrélations entre le rôle joué par les structures d’éducation populaire, la survenue ou non des émeutes, et le choix de leurs cibles par les émeutiers, et d’autre part d’interroger de façon fine la capacité de ces structures à prendre en charge les sentiments d’injustice liés aux inégalités et aux discriminations dont font part les jeunes des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Que font concrètement les centres sociaux en termes de prise en charge des sentiments d’injustice de la jeunesse des quartiers populaires ? Dans quelle mesure ces équipements de proximité peuvent-ils œuvrer à la formation de citoyens et citoyennes conscients des rapports de force et des inégalités qui traversent la société, voire favoriser l’expression de leurs intérêts dans l’espace public ? Dans quelle mesure et à quelles conditions leurs personnels peuvent-ils jouer un rôle d’intermédiaires s’attachant à convertir les sentiments d’injustice des jeunes en actions collectives plus coordonnées, conduisant à « protester autrement » ? Comment ce travail d’intermédiation et de structuration des modes d’action protestataires a-t-il pu jouer un rôle lors des émeutes de l’été 2023 ? Quelles réponses les centres sociaux ont-ils proposé aux jeunes à la suite des émeutes ?