Dès 2015, face à l’augmentation des interpellations de mineurs pour des faits de transport de stupéfiants, la direction territoriale de la PJJ sollicite les services d’addictologie de l’association AKATI’J afin de réfléchir à des moyens d’action communs pour lutter contre le phénomène de « mules ».
Les chiffres relatifs aux passeurs interpellés en Guyane ou en provenance de Guyane révèlent une intensification du trafic de cocaïne : 608 passeurs interpellés en 2017, 1349 en 2018
L’association AKATI’J se porte candidate auprès du FEJ pour expérimenter un dispositif. Elle entend mieux connaître et comprendre la situation et développer auprès des jeunes des actions de prévention adaptées.
L’association recueille les données auprès des différents acteurs sur le profil des « mules », le mode opératoire, les contextes socioculturels et environnementaux. Elle sollicite notamment les professionnels de la justice, de la police, du champ sanitaire et social, de l’Éducation nationale, les usagers du Centre de Soin, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie.
Elle met en place un programme de prévention auprès des classes de 3e, 2e et des sections professionnelles. Elle teste des outils de sensibilisation basés sur l’élaboration de scénarii construits par les élèves (jeux de rôles), et sur des échanges entre pairs et avec des intervenants (quizz).
L’agence PHARE mène une étude sur le phénomène lui-même et une évaluation des actions de prévention développées par l’association.
Sur le phénomène des « mules », les évaluateurs montrent :
– La prédominance des explications individuelles et psychologiques pour expliquer le phénomène des « mules » portées par des acteurs des instances publiques et politiques. « Le phénomène ne constituerait pas un « fait social », mais un fait individuel pensé au regard du tempérament, du caractère ou encore de l’histoire des individus. Or, ce registre d’explication occulte le contexte social et économique de la Guyane en général et de l’ouest Guyanais en particulier qui, par sa pauvreté, ses faibles perspectives scolaires et professionnelles, ses conditions de vie délétères pour les populations précaires, contraint les trajectoires sociales et est vecteur d’engagement dans le trafic de cocaïne ».
– L’absence d’études et de données précises sur le phénomène.
– La vision caricaturale des recruteurs, des trafiquants et des mules, un discours éloigné des expériences vécues ciblé sur la surestimation du risque sanitaire, la non considération de la récidive et de l’entrée précoce dans le trafic, la non prise en compte d’une propagande « promules ».
– Des actions de prévention qui peinent à toucher les jeunes (distance, langage utilisé, difficulté à traiter des croyances bushinenguées).
– L’absence de politique structurée de prévention et de protection et des politiques de répression concentrées sur leur visibilité, la facilitation des procédures, et la réponse à l’urgence.
– En l’absence de politiques coordonnées, la mise en place par les acteurs de terrain d’actions de prévention circonscrites dans le temps et l’espace.
Sur les actions pédagogiques de prévention développées dans le cadre de l’expérimentation, l’étude montre que :
– L’usage de scénarii construits par les élèves, d’échanges entre pairs, avec des intervenants, facilitent la sensibilisation et permet de s’adapter aux réalités changeantes de terrain notamment face aux évolutions rapides du trafic de stupéfiants.
Ces données inédites et les enseignements de l’étude ont été diffusés, repris dans la presse, et par le Sénat dans le cadre du Rapport d’information n° 707 (2019-2020) de M. Antoine KARAM, « Mettre fin au trafic de cocaïne en Guyane : l’urgence d’une réponse plus ambitieuse » déposé le 15 septembre 2020.
Sur le terrain les acteurs aujourd’hui se mobilisent sur la problématique des trafics, de nouvelles démarches de prévention et de communication auprès des jeunes sont mises en place, des campagnes de vidéos et d’affiches réalisées par les élèves se développent dans les établissements d’enseignement.
Publications sur l’expérimentation
Le défi de la prévention du phénomène des mules en Guyane
Auteurs : Manon REGUER-PETIT, Martin AUDRAN, François CATHELINEAU (PHARE) Aude KERIVEL (INJEP)
La prévention du phénomène des mules en Guyane – Rapport final
Auteurs : Manon REGUER-PETIT, MARTIN AUDRAN, FRANÇOIS CATHELINEAU (PHARE)
La prévention du phénomène des mules en Guyane – Synthèse
Auteurs : Manon REGUER-PETIT, MARTIN AUDRAN, FRANÇOIS CATHELINEAU (PHARE)
Publication sur le sujet
Mettre fin au trafic de cocaïne en Guyane : l’urgence d’une réponse plus ambitieuse
Auteur : Antoine KARAM (SENAT)