Souvent au coeur des débats, le concept de mixité sociale est régulièrement avancé comme moyen de lutter contre les inégalités territoriales et scolaires. Fruit d’une volonté politique, la notion est d’abord utilisée dans le cadre des politiques de la ville et du renouvellement urbain, et elle est présente de manière récurrente depuis les années 1980 dans les discours et dans les textes législatifs. Sa définition, sa mise en pratique et l’évaluation de celle-ci semblent pourtant moins évidentes. Début 2019, le gouvernement annonce la phase pilote d’un service national universel (SNU) obligatoire à terme pour tous les jeunes de 16 ans, dont l’un des enjeux principaux est la mixité sociale et territoriale (1). Mais qu’entend-on par mixité sociale ? Comment définir ce concept ? Ces questions se posent dès lors qu’il s’agit de mettre en pratique la mixité.
Souvent au cœur des débats, le concept de mixité sociale est régulièrement avancé comme moyen de lutter contre les inégalités territoriales et scolaires. Fruit d’une volonté politique, la notion est d’abord utilisée dans le cadre des politiques de la ville et du renouvellement urbain, et elle est présente de manière récurrente depuis les années 1980 dans les discours et dans les textes législatifs. Sa définition, sa mise en pratique et l’évaluation de celle-ci semblent pourtant moins évidentes. Début 2019, le gouvernement annonce la phase pilote d’un service national universel (SNU) obligatoire à terme pour tous les jeunes de 16 ans, dont l’un des enjeux principaux est la mixité sociale et territoriale (1). Mais qu’entend-on par mixité sociale ? Comment définir ce concept ? Ces questions se posent dès lors qu’il s’agit de mettre en pratique la mixité.
LA MIXITÉ SOCIALE : DE QUOI PARLE-T-ON ?
Un premier constat apparaît lorsque l’on cherche à définir la mixité sociale : « bien que la notion de mixité soit omniprésente dans les politiques publiques, le concept n’a été défini par aucun texte » (Kirszbaum, 2008, p. 9) et reste donc une « notion floue » (Charmes, Bacqué, 2016).
Plus souvent définie par ce qu’elle est censée produire – la justice sociale – et combattre – la ségrégation –, la mixité sociale est une notion hybride qui mêle catégories savantes, politiques et administratives (Ben Ayed, 2015, p. 153). Nous pouvons cependant retenir l’idée de coexistence dans un même espace de groupes sociaux aux caractéristiques différentes (Selod, 2004). La mixité sociale fait donc référence aux mélanges de classes et groupes sociaux et peut concerner tous les domaines de la vie sociale. Cette description invite à poser la question de l’échelle d’action pour l’espace considéré (ville, quartier, école, classe, etc.) et des critères retenus concernant les caractéristiques des groupes (catégorie socioprofessionnelle, niveau de revenu, de diplôme, etc.).
En revanche, le terme mixité, isolé, désigne le plus souvent la mise en coexistence des deux sexes dans un même espace social, et est illustré par les reformes de l’école, l’instruction en commun des filles et des garçons et la coéducation. Dans certains domaines, comme le monde du travail, la notion de mixité est remplacée par celle de diversité.
ÉMERGENCE DANS LES POLITIQUES DE LA VILLE
Mélanger « les petits » et « les gros et dodus » (2)
La mixité sociale est d’abord une injonction des politiques urbaines. Dès 1973, la circulaire Guichard (21 mars 1973) a pour ambition de mettre un terme à la « ségrégation sociale par l’habitat ». Mais cette volonté ne date pas d’hier, au xvie siècle, François Miron, responsable de la sécurité à Paris, évoquait déjà, dans une lettre à Henri IV, la nécessité de « mélanger » « les petits », artisans et ouvriers et « les gros et dodus » pour éviter la « rébellion des quartiers pauvres » contre les « quartiers riches et le pouvoir ». Plus tard, c’est surtout avec le développement des politiques de la ville, à partir du rapport Dudebout, Ensemble, refaire la ville (1982), que la mixité sociale apparait de manière récurrente (Kirszbaum, 2008) dans les planifications urbaines. Mais c’est la loi Besson, loi d’orientation pour la ville, pour la solidarité et le renouvellement urbain (no91-662 du 13 juillet 1991) qui illustre le plus l’injonction à la « mixité sociale » et « l’équilibre entre les territoires » pour « faire disparaître les phénomènes de ségrégation ». Elle préfigure le quota de 20 % de logements sociaux fixé aux communes de plus de 3 500 habitants (1 500 en Île-de France) par la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU) du 13 décembre 2000.
Les effets que l’on prête à la mixité sociale ne sont pour le moment que très rarement prouvés (Dansereau et al., 2002). Cependant, des mesures sont possibles, en voici deux exemples :
– L’indice de dissimilarité (Duncan, Ducan, 1955) compare les distributions de deux groupes à travers des unités spatiales, et mesure ainsi leur séparation spatiale. Il varie de 0 (similitude parfaite) à 1 (dissemblance la plus grande). Cette valeur peut s’interpréter comme la proportion de la population qui devrait être redistribuée pour obtenir une répartition égale des deux groupes.
– L’indice d’entropie normalisé (Givord et al., 2016) mesure la diversité des groupes sociaux en comparant la diversité observée au sein d’un établissement scolaire, par exemple, à celle de la zone de référence (le département, ou l’académie). Compris entre 0 (ségrégation nulle) et 1 (ségrégation maximale), cet indice permet de regarder notamment les écarts moyens de diversité sociale entre collèges publics et privés.
Envisager la mixité sociale contre les ségrégations
Dans les différentes définitions de la mixité sociale, le seul point qui semble faire l’unanimité est son antithèse : la ségrégation (Queiroz, 2003), qui désigne la concentration et la séparation de certains groupes sociaux. Dans les textes législatifs, la mixité sociale est proposée comme moyen pour faire face aux problèmes de ségrégation et de séparation. En France plus particulièrement, la non-mixité est également associée au communautarisme (Charmes, Bacqué, 2016, p.. 20) qui remettrait en cause le modèle intégrationniste. Du côté de la recherche, les travaux portent principalement sur la ségrégation sociale et spatiale plutôt que sur la mixité sociale en tant que telle.
LA MIXITÉ SOCIALE SUR LES BANCS DE L’ÉCOLE
La mixité sociale s’est « imposée avec force dans les débats scolaires » depuis le début des années 2000 (Ben Ayed, 2009, p. 11) et est devenue un incontournable des politiques de l’éducation nationale. Initialement, l’injonction à la mixité sociale dans le champ scolaire vise à lutter contre les disparités territoriales d’enseignement entre établissements des centres-villes, des périphéries et des zones rurales, qui nuisent aux apprentissages des élèves en difficulté (CNESCO, 2015, p. 3). L’instrument emblématique de la carte scolaire a été créé en 1963 avec un double objectif : des prestations scolaires identiques sur tout le territoire et l’obligation pour l’usager de respecter la règle d’affectation dans l’établissement scolaire selon le lieu d’habitation. Depuis 2013 et la loi (no 2013-595 du 8 juillet 2013) de « Refondation de l’école de la République », la mixité sociale compte parmi les « missions du service public d’éducation ». Des initiatives pilotes visant à renforcer la mixité sociale dans les collèges sont mises en place en 2015. Cependant, les questions de mixité sociale ne se posent pas seulement entre établissements, mais aussi en interne à l’échelle de l’établissement lui-même, lorsque les filières et options sont ségrégatives (Van Zanten, 2012, p. 130).
Les enjeux de mixité sociale et d’éducation dépassent le cadre de l’école et peuvent s’appliquer aux activités extra-scolaires, notamment aux colonies de vacances (3) qui ne constitueraient que trop rarement la possibilité de l’expérience d’un espace-temps de mixité sociale (Bacou et al., 2016).
Cette expérimentation menée par l’académie de Paris et l’École d’économie de Paris propose de mettre en place, de différentes manières (choix régulé et montée alternée), des secteurs communs à plusieurs collèges afin de diversifier leur recrutement social et accroître ainsi la mixité sociale dans des établissements parisiens particulièrement ségrégés.
L’évaluation regarde l’impact des secteurs multicollèges en comparant les compositions sociales et spatiales des élèves dans les collèges (Grenet, Souidi, 2019).
CRITIQUES, LIMITES ET PERSPECTIVES
Avec un manque de consensus quant à la définition de la mixité sociale, le concept fait l’objet de critiques. Peut-être justement parce qu’on le présente comme une solution volontariste face à des problèmes importants tels que la ségrégation, les inégalités, les discriminations, le défaut d’intégration ou encore le manque de cohésion sociale. Les premières critiques sont idéologiques, elles se concentrent sur certains objectifs de la mixité sociale défendus par des urbanistes tels que les objectifs « civilisateurs » (Ben Ayed, 2015) et d’éducation des classes populaires. Les secondes proviennent notamment d’études faites sur les grands ensembles, dans les années 1960 (Chombart de Lauwe, 1965) remettant en cause l’intention urbanistique utopique de mixité sociale. Certains sociologues étudiant les grands ensembles (Chamboredon, Lemaire, 1970) ou plus récemment la gentrification urbaine ont montré que le bâti ne suffit pas à créer des liens sociaux et des formes de sociabilité, et que la cohabitation rend plus visibles les différences de normes. Ici, la critique est fondée sur les différents effets attendus de la mixité sociale, à savoir la cohésion sociale ainsi que l’égalité ou même l’équité. L’exemple de ce qui a été fait dans l’entreprise, à propos de la mixité homme-femme n’implique pas une réelle équité face à l’embauche, aux salaires, aux postes. Cependant, si l’on se concentre sur l’enjeu de la ségrégation, du séparatisme ou des séparations, la mixité sociale peut être une solution ou du moins une étape de co-présence indispensable à toute volonté intégratrice. Restera encore à évaluer empiriquement les politiques de mixité sociale.
POUR ALLER PLUS LOIN
Bacou M., Bataille J.-M., Besse-Patin B., et al., 2016, Des séparations aux rencontres en camps et colos. Rapport d’évaluation du dispositif #GénérationCampColo, Bagneux, Le social en fabrique
Ben Ayed C., 2009, « La mixité sociale dans l’espace scolaire : une non politique publique », Actes de la recherche en sciences sociales, no 180, p. 1-23
Ben Ayed C., 2015, La mixité sociale à l’école. Tensions, enjeux, perspectives, Paris, Armand Colin
Chamboredon J.-C., Lemaire M., 1970, « Proximité spatiale et distance sociale. Les grands ensembles et leur peuplement », Revue française de sociologie, no 11-1, p. 3-33
Charmes E., Bacqué M.-H., (dir.), 2016, Mixité sociale, et après ?, Paris, Presses universitaires de France
Chombart de Lauwe P.-H., 1965, Des hommes et des villes, Paris, Payot
CNESCO, 2015, « Mixités sociale, scolaire et ethnoculturelle à l’école. Chiffres clés et analyse scientifique », CNESCO, Dossier de synthèse
Dansereau F., Charbonneau S., Morin R. et al., 2002, La mixité sociale en habitation, Rapport de recherche réalisé pour la ville de Montréal, mai 2002
Duncan O. D., Ducan B., 1955, « A methodological analysis of segregation indexes », American Sociological, no 2, vol. 20, p. 210-217
Givord P., Guillerm M., Monso O. et al., 2016, « Comment mesurer la ségrégation dans le système éducatif ? Une étude de la composition sociale des collèges français », Éducation & formations, no 91, p. 21-51
Grenet J., Souidi Y., 2019, « Secteurs multicollèges à Paris: un outil efficace pour lutter contre la ségrégation sociale ? », in Kerivel A. et al. (dir.), Lutter contre les discriminations et les inégalités, Enseignements du Fonds d’expérimentation pour la jeunesse, Paris, La Documentation française
Kirszbaum T., 2008, Mixité sociale dans l’habitat. Revue de la littérature dans une perspective comparative, Paris, La Documentation française/HALDE
Queiroz J.-M. de, 2003, « Discrimination et mixité. Ingénierie sociale ou art des mélanges ? », Ville-école-intégration-enjeux, no 135, p. 51-66
Selod H., 2004, « La mixité sociale et économique », in Maurel F. et al. (dir.), Villes et économie, Paris, La Documentation française
Van Zanten A., 2012, « Postface. De la ségrégation aux inégalités : la réduction des opportunités », Formation emploi, no 120, p. 127-134
Atlas national des fédérations sportives 2019 Hors collection
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