En 2020, les adolescents qui partent en colonie de vacances sont pratiquement tous connectés. Les usages numériques des jeunes ont pris une grande place au sein de leurs pratiques de sociabilité, si bien qu’il parait impossible aujourd’hui de s’en passer lors d’un séjour. Le téléphone portable est couramment perçu comme un ennemi de la colo par les professionnels de l’animation, car il menace la possibilité d’extraire totalement le jeune de son environnement quotidien le temps du séjour. Il peut aussi être à l’origine de tensions entre les jeunes, ou entre les jeunes et les équipes quand il vient brouiller les rôles et places de chacun, en faisant par exemple intervenir trop souvent les parents. Pourtant, le portable peut aussi devenir un support important de la sociabilité des jeunes et des animateurs au sein de la colonie et même après le séjour.
UN OBJET QUI INQUIÈTE, DES USAGES QUI FÉDÈRENT
En 2020, les adolescents qui partent en colonie de vacances sont pratiquement tous connectés. Les usages numériques des jeunes ont pris une grande place au sein de leurs pratiques de sociabilité, si bien qu’il parait impossible aujourd’hui de s’en passer lors d’un séjour. Le téléphone portable est couramment perçu comme un ennemi de la colo par les professionnels de l’animation, car il menace la possibilité d’extraire totalement le jeune de son environnement quotidien le temps du séjour. Il peut aussi être à l’origine de tensions entre les jeunes, ou entre les jeunes et les équipes quand il vient brouiller les rôles et places de chacun, en faisant par exemple intervenir trop souvent les parents. Pourtant, le portable peut aussi devenir un support important de la sociabilité des jeunes et des animateurs au sein de la colonie et même après le séjour.
En 2020, presque tous les adolescents vivant en France possèdent un smartphone [encadré « Repères »]. Pour les 12-17 ans, il constitue le principal support de connexion numérique, un objet qui les accompagne partout, y compris lorsqu’ils partent en colonies de vacances. Cet état de fait n’est pas sans poser question aux organisateurs de séjour collectifs de mineurs, aux équipes d’animation comme aux parents et, dans une certaine mesure, aux adolescents directement. Aussi, l’enquête Être connecté·e en colonie de vacances s’est intéressée à la généralisation des téléphones portables au sein des colonies, tant du côté de leur gestion par les équipes d’animation que du côté des usages des jeunes au sein du séjour (entre jeunes et avec les animateurs et animatrices) et vers l’extérieur. L’enquête propose une immersion dans la colonie de vacances du point de vue des jeunes, sous l’angle des usages numériques, de leurs fonctions et de leurs effets. Le téléphone portable décloisonne des espaces, allant à l’encontre d’une fonction essentielle des colonies : offrir au jeune un temps loin de son environnement familier. En effet, sa présence facilite le maintien du lien avec les amis, les parents, ou encore la connexion et l’alimentation de contenus sur les médias sociaux. Ces difficultés ne conduisent pas pour autant les organisateurs à interdire la présence du portable en séjour. Toutefois, son usage est l’objet de régulations et sources d’un certain nombre de tensions avec les jeunes.
La régulation des usages par les équipes, à l’origine de tensions avec les jeunes
Si l’usage du portable ne fait l’objet d’aucune interdiction stricte dans les séjours étudiés, c’est sur le temps d’utilisation quotidien du portable que se fonde la régulation. Elle peut dans certains cas cristalliser les tensions entre jeunes et animateurs. Pour les équipes d’animation, la limitation du portable signifie l’organisation du ramassage des smartphones (parfois uniquement des cartes SIM), leur mise à l’abri dans un lieu sécurisé (coffre, bureau, boîte), leur restitution sur des temps autorisés, puis leur récupération (sur un temps qui doit permettre de les recharger). Ces usages contraints instaurés en colonie de vacances n’apparaissent pas toujours légitimes aux jeunes (qui ont le sentiment d’être injustement privés d’un objet qui leur appartient) et parfois à certains animateurs (qui n’apprécient pas « le rôle de flic » que cela leur donne et considèrent la logistique associée à cette tâche un peu lourde). En début de chaque séjour (parfois même en amont), lors de la mise en place des règles de vie, un volet spécifique est désormais souvent dédié au portable. En plus de l’objet, sa valeur monétaire et le respect de la vie privée et de l’intimité, l’isolement et le refus de participation aux activités du séjour qu’induirait l’utilisation excessive du portable sont évoqués par les équipes d’animation avec les jeunes. C’est sur ces éléments que se fonde l’argumentaire de la régulation. D’autres arguments sont également mobilisés, comme la préservation du temps de sommeil qui permet de justifier le retrait du portable la nuit. Dans les quatre séjours où l’enquête a été menée, les jeunes se plaignent des restrictions qui encadrent l’utilisation du portable sur leur temps de vacances, ressemblant parfois de près aux règles imposées dans leur établissement scolaire.
Présomption de confiance ou de méfiance : deux modes principaux de régulation
En colonie de vacances, les adolescents sont en premier lieu occupés par les activités proposées par les équipes d’animation et profitent de leurs vacances sans parents (Amsellem-Mainguy & Mardon, 2011). L’arrivée des smartphones introduit du changement au sein des colonies (les jeunes viennent désormais avec leur propre support de distraction, peuvent facilement contacter les amis et parents) sans en changer les grandes orientations (la priorité accordée aux activités organisées par les animateurs et à la vie du groupe). En effet, comme dans d’autres institutions fréquentées par les jeunes (écoles, clubs sportifs…), l’équipement massif de portables au sein des colonies de vacances a contraint les équipes d’animation à gérer à la fois les objets et leurs usages.
Parmi les nombreuses modalités de gestion du portable par les équipes d’animation, deux peuvent être distinguées en colonie de vacances. La première est une gestion quantitative et repose sur une présomption de méfiance (Potin et al, 2018) vis-à-vis de l’usage du téléphone portable. Elle vise à limiter la durée d’utilisation du portable par les jeunes, considérant l’usage des portables comme un problème a priori. La seconde gestion du portable est davantage qualitative. Il s’agit plutôt d’accompagner les pratiques des jeunes en les amenant à réfléchir aux enjeux de leur utilisation du portable, aucune limitation n’est alors réellement envisagée. Cette gestion repose sur une présomption de confiance, le portable n’étant pas perçu comme un problème en soi (Potin et al, 2018). Ces deux modalités de gestion se concrétisent en séjour dans les règles mises en œuvre : dans le premier cas, les jeunes ont un temps restreint et contraint d’utilisation de leur portable, et se le voient confisquer le reste du temps. Dans le second cas, aucune limitation n’est prescrite tant que l’usage ne nuit pas au fonctionnement du séjour, et les équipes d’animation incitent et invitent les jeunes à définir leurs propres règles. Au-delà de ces deux types de fonctionnements, l’âge reste un facteur essentiel pour déterminer les règles mises en place. Dans les séjours d’adolescents, les plus jeunes (âgés de 10 à 13 ans) se voient plus souvent restreindre l’accès à leur téléphone que les autres (âgés de 14 à 17 ans). Ceci contribue à consacrer le smartphone et son accès en tant que marqueur d’âge important pour les jeunes, concrétisant ainsi leur gain d’autonomie.
Repères
Évolution de l’équipement en smartphones des jeunes
• 86 % des jeunes de 12 à 17 ans possèdent un smartphone en 2019.
• Le smartphone est un support de plus en plus privilégié pour accéder à Internet.
• 23 % des 12-17 ans indiquent que les réseaux sociaux constituent le média qui permet le mieux de suivre l’actualité.
• L’usage des messageries instantanées progresse : 38 % des 18-24 ans utilisent plus souvent les messageries instantanées que les SMS. Les jeunes sont les principaux utilisateurs de ces modes de communication, dont les nombreuses fonctionnalités (GIF, stickers, partage de localisation, messages vocaux, envoi de fichiers) augmentent l’attractivité par rapport aux SMS.
• Les applications les plus utilisées par les 12-17 ans sont YouTube, Instagram et Snapchat.
Données issues du Baromètre du numérique 2019 du CRÉDOC.
Liens à l’intérieur de la colo
Mais le sujet du portable en colonie de vacances dépasse largement la question de la régulation : dans la plupart des séjours s’observe la création de groupes sur les messageries instantanées auxquels les animateurs référents sont inscrits. Les jeunes se créent également des groupes « entre eux » ce qui leur permet de soustraire, en partie, leurs échanges aux yeux et aux oreilles des équipes d’animation. Des groupes « colos » apparaissent donc (sur WhatsApp ou Messenger) et des relations numériques se mettent en place (sur Instagram, Snapchat, ou TikTok, etc.). Ces médias sociaux communs alimentent les liens en train de se construire et les prolongent au-delà du séjour lorsqu’il s’agit de revivre les meilleurs moments du séjour en regardant les vidéos et photos réalisées. Les groupes de discussion servent avant tout à échanger des blagues, des musiques ou des commentaires sur la colonie. Plus rarement, ils contiennent des insultes, des humiliations et peuvent parfois devenir des lieux d’expression du harcèlement plus difficilement décelables par les équipes d’animation que dans les interactions quotidiennes. Au-delà des messageries instantanées, les jeunes se suivent sur les médias sociaux où ils diffusent des images, des « stories » ou encore des commentaires sur le séjour à l’attention de leurs amis, y compris à ceux ne participant pas au séjour, à leurs parents et/ou leur famille et plus largement à leur audience. Dans le même temps, les animateurs et animatrices cherchent à limiter la diffusion d’images qui pourraient nuire à certains jeunes, au séjour et à son bon déroulement.
Interactions avec les familles
Le lien avec les parents est un enjeu important en colonie de vacances : aux correspondances écrites qui existent depuis toujours s’ajoutent des temps d’appels aux familles surtout lorsque les séjours durent plusieurs semaines. L’équipement individuel de portable permet des envois de messages ou des appels en dehors des plages horaires dédiées entre parents et jeunes, que les uns ou les autres en soient, ou non, les initiateurs. Des malentendus peuvent naître de cette possibilité. Lors d’un séjour, un jeune informa ses parents de son ennui lors d’un moment calme. Plus tard dans la journée, la mère appela le centre de vacances pour savoir comment allait son fils. Le sentiment furtif et instantané d’ennui que le jeune partageait avec sa mère lui avait donné l’impression que son fils passait un mauvais séjour. Ces types d’échanges avec les parents souffrent d’un effet d’immédiateté qui s’accorde mal avec la temporalité de la colonie de vacances. De plus, les contacts directs et en temps réel entre parents et enfants peuvent brouiller la place et le rôle des équipes d’animation comme lorsqu’un jeune se fait mal et prévient ses parents avant d’en parler aux animateurs (répondant en cela à l’injonction des parents « en cas de problème, tu m’appelles »). Les parents sont ainsi au courant d’événements avant les animateurs, fragilisant les équipes et les contraignant à gérer les familles en plus des jeunes.
Le portable se fait une place dans les différents temps de la colonie
Plutôt que de transformer les colonies de vacances, le téléphone portable s’intègre y compris dans ses différentes temporalités. Ainsi, lors des premières heures de la colonie de vacances, lorsque personne ne se connaît ou presque, le téléphone tient lieu de « compagnon » indispensable et vient occuper ce temps particulièrement anxiogène pour une partie des jeunes (Amsellem-Mainguy & Mardon, 2011). Le portable accompagne les temps collectifs (musique diffusée à partir des portables sur des enceintes, jeux en réseau, création de « délires » et de moments mémorables par la prise de photos et de vidéos), comme les temps calmes (lecture, photos, etc.), ou les temps plus « personnels » ou solitaires (communication avec les amis et parents, lecture ou série du soir dans les séjours où le portable n’est pas récupéré). Les usages numériques se font une place dans les différents temps de la colonie de vacances.
Les usages numériques comme mode de transmission de pratiques culturelles entre jeunes
Les usages numériques des jeunes en colonie de vacances sont, comme c’est le cas d’ailleurs le reste de l’année, en grande partie consacrés à des pratiques culturelles : musique, clips, séries, films, jeux vidéo, lecture, photos. Les préférences culturelles sont montrées, partagées, débattues et donnent lieu à des échanges de références, de contenus entre jeunes. Elles constituent en cela une forme de transmission culturelle intragénérationnelle qui passe par exemple par la constitution collective d’une « playlist de la colo ». Certaines sélections sont ainsi très éclectiques et comprennent des morceaux de rap, variété, disco, électro et métal qui s’enchaînent, à l’image de la diversité des profils de jeunes et animateurs participants au séjour. Le portable assure une continuité dans les pratiques (dessin, lecture, film ou série) et devient un support d’ouverture vers d’autres champs culturels. Ces « découvertes » des pratiques des autres dans les séjours peuvent se prolonger au-delà de la colonie, notamment grâce aux médias sociaux. La mixité sociale dans certaines colonies de vacances permet aux jeunes de milieux sociaux différents de partager leurs coups de cœur musicaux ou cinématographiques. Les échanges culturels avec les animateurs et animatrices participent aussi à l’ouverture et aux découvertes sur le temps restreint de la colonie. Si les transmissions de pratiques culturelles vont des jeunes de milieux populaires aux jeunes de milieux plus aisés et inversement, cette possibilité est particulièrement fructueuse pour les jeunes de milieux les plus modestes qui ont moins de possibilités de multiplier les rencontres avec des jeunes d’univers sociaux dont les capitaux sont valorisés dans la société et en particulier à l’école. Par exemple, au contact d’un camarade, un jeune commencera à regarder ses séries américaines sans sous-titres pour améliorer son anglais.
Un rapport plus ou moins affectif à l’objet : différence de genre et de classes sociales
Derrière l’homogénéité apparente des usages numériques juvéniles se cachent des disparités qui renvoient à des différences de socialisation et l’enquête menée met au jour combien ces pratiques sont liées aux positions d’âge, de genre et de classe sociale : les plus jeunes, les filles et les jeunes de milieux populaires sont les plus grands utilisateurs de leur portable dont ils et elles disent ne pas pouvoir se passer. Du côté des âges, on observe que les plus jeunes (12-14 ans) surinvestissent leur portable comme symbole d’un gain d’autonomie, tandis que pour les 15-17 ans l’attachement au portable vient plutôt de la manière dont ils se sont approprié les usages. Les plus jeunes cherchent avant tout à garder leur téléphone sur eux. Ce dernier symbolise leur autonomie naissante (marquant leur sortie de l’enfance), bien qu’ils n’aient pas souvent besoin de l’utiliser. Disposer de l’objet et le montrer est, pour eux, une fin en soi. Les plus grands, habitués depuis plus longtemps à avoir un portable, sont moins attachés à l’objet en tant que tel qu’aux usages qu’ils en font, ou à son « utilité ».
Si pour l’ensemble des jeunes, le téléphone portable permet de se montrer disponible et de faire valoir sa popularité via les sollicitations et démonstrations d’intérêt visibles par les messages reçus et les diverses notifications des applications, cela ne prend pas le même sens selon le genre. Les filles ont un usage plus relationnel et affectif de leur téléphone portable, en lien avec une socialisation de genre marquée par l’importance de l’amitié et la nécessité d’investir le champ relationnel. Les garçons ont un usage avant tout utilitaire, préférant les jeux vidéo et le téléchargement de vidéos. Au sein de leurs pratiques, l’aspect relationnel est minoré, c’est d’abord leur performance qui est en mise sur le devant de la scène. De même, les réactions des unes et des autres aux sollicitations des parents diffèrent : les filles doivent se montrer disponibles et répondre aux sollicitations familiales tandis que les garçons s’autorisent davantage de souplesse, laissant traîner jusqu’à ce que ce soient les animateurs qui interviennent pour leur demander de répondre à leurs parents.
À côté de ces différences de genre, l’enquête pointe également le poids du milieu social d’origine. D’abord parce que si tous les adolescents ont un portable, leur performance et leur valeur diffèrent et participent aux processus de classements entre jeunes, significatifs de leur intérêt pour l’objet et pour les médias sociaux. Dans les usages aussi, on observe des différences notables : les jeunes de milieux populaires sont ceux qui se montrent les plus attachés à leur portable. Ils décrivent plus souvent l’objet comme une extension corporelle (« c’est ma main droite », « c’est un bout de moi »). Les jeunes de classes moyennes et supérieures, bien qu’attachés eux aussi à leur téléphone, affichent des propos plus mesurés, reprenant à leur compte les discours parentaux sur les éventuels méfaits d’une utilisation trop fréquente du téléphone et acceptent une restriction relative à la durée de l’usage (« je ne suis pas accroc à mon portable, c’est juste un objet bien pratique », « c’est un objet dont je peux facilement me passer »). Cette différence s’explique par un contrôle plus fréquent du temps d’utilisation du portable de la part des parents de classes moyennes et supérieures que des parents de classes populaires, ce qui participe à modeler l’appropriation des jeunes vis-à-vis de l’objet. On comprend ainsi que la privation du téléphone en séjour n’affecte pas tous les jeunes avec la même intensité. Cela dépend du rapport que chaque jeune entretient avec cet objet personnel, la manière dont il l’a investi.
Méthode
Une enquête de terrain associant entretiens et observations
L’analyse repose sur une enquête de terrain, réalisée entre juillet 2019 et février 2020 auprès de 30 jeunes (en entretiens individuels ou collectifs), 12 animateurs et animatrices, 3 directeurs et directrices de séjour et 10 formateurs et formatrices au brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (BAFA).
La première phase de terrain s’est déroulée au sein de quatre colonies de vacances en juillet et août 2019 (durée moyenne de quatre jours par séjour) associant observations in situ et entretiens avec des jeunes de 12 à 17 ans et des membres des équipes d’animation (direction et animateurs/animatrices). Les entretiens avec les jeunes portaient sur leurs expériences des colonies de vacances, leurs rapports au numérique et leurs usages du téléphone portable dans leur quotidien (en famille et à l’école), et au sein du séjour. Les entretiens avec les équipes d’animation avaient trait à leurs expériences dans l’animation, et leur gestion des usages numériques en colonie de vacances.
La deuxième phase de terrain s’est déroulée entre novembre 2019 et février 2020 au sein de quatre stages BAFA. Elle a associé observation du déroulement des stages et entretiens avec des formateurs et formatrices.
Le smartphone comme support d’usages collectifs
L’isolement des jeunes, leur refus de participer à certaines activités que viendrait renforcer l’usage individuel du portable sont les principales raisons évoquées par les équipes d’animation pour en justifier la régulation. C’est pour éviter toute mise à l’écart que les équipes mettent en place des règles de fonctionnement au sein des séjours pour restreindre les usages du portable par les adolescents, usages qui pourraient venir perturber la construction et l’existence du collectif. Les observations montrent que les usages numériques des jeunes se font très souvent au profit du collectif et contribuent à « faire groupe ». Loin de concurrencer la sociabilité des jeunes présents en séjour, les pratiques numériques sont l’occasion d’amorcer des échanges, servent la sociabilité en train de se faire, cimentent les liens créés. Avoir une connexion 4G sur le lieu du séjour et disposer d’un forfait généreux en données mobiles n’est pas situation courante et ceux qui en disposent n’hésitent pas à partager leur connexion pour en faire profiter les autres, qui resteraient sinon tributaires du wifi. De même, les rares jeunes sans smartphones se voient aisément prêter celui d’un copain pour appeler parents ou amis, voire envoyer un « Snapchat » en se connectant à leur compte.
L’ensemble de ces constats vient confirmer les résultats d’enquêtes antérieures (Balleys, 2011 ; Boyd, 2016 ; Pasquier, 2005) sur l’imbrication des sociabilités en ligne et hors ligne. Les moments forts de la colonie sont enregistrés, photographiés, filmés, diffusés sur les réseaux sociaux et les commentaires faits en ligne sont discutés en présentiel. Les sociabilités en ligne et hors ligne se complètent et s’alimentent. Le téléphone portable est outil du meilleur comme du pire : capable de cimenter le groupe il peut aussi le fragiliser voire le détruire. Quoi qu’il en soit, c’est avec le portable que les colonies de vacances s’organisent à présent, et ceci semble désormais impensable qu’il en soit autrement du point de vue des jeunes tant il joue un rôle capital dans la construction et l’entretien de leur sociabilité. Les résultats de cette enquête pourront enrichir les réflexions pédagogiques, déjà amorcées par les professionnels de l’animation, sur les usages numériques juvéniles.
Sources bibliographiques
• Amsellem-Mainguy Y., & Mardon A., Partir en vacances entre jeunes : l’expérience des colos, INJEP, Paris, 2011.
• Potin E., Henaff G., Trellu H., & Sorin F, La correspondance numérique dans les mesures de placement au titre de l’assistance éducative, Rapport de recherche, GIP Droit et Justice, Observatoire national de la protection de l’enfance, 2018.
• Balleys C., « Socialisation adolescente et usages du numérique », Revue de littérature, INJEP, Paris, 2011.
• Boyd D., C’est compliqué. Les vies numériques des adolescents, Ed. Broché, 2016.
• Pasquier D., Cultures lycéennes. La tyrannie de la majorité, Paris, Ed. Autrement, 2005.
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