Dans un contexte de vieillissement des élus municipaux, une enquête réalisée par l’INJEP cherche à mieux saisir les caractéristiques sociales et les trajectoires politiques des jeunes élus (18-35 ans), de leur entrée dans un conseil municipal à l’exercice de la fonction de maire. Elle fait ainsi apparaître les inégalités en termes de conditions d’accès à cette fonction et la forte sélectivité sociale qu’elles impliquent. Cette étude souligne également les enjeux des questions d’accès à la formation et de reconnaissance du statut de l’élu, nécessaires pour accompagner le renouvellement générationnel en matière de participation politique.
Dans un contexte de vieillissement des élus municipaux, une enquête réalisée par l’INJEP cherche à mieux saisir les caractéristiques sociales et les trajectoires politiques des jeunes élus (18-35 ans), de leur entrée dans un conseil municipal à l’exercice de la fonction de maire. Elle fait ainsi apparaître les inégalités en termes de conditions d’accès à cette fonction et la forte sélectivité sociale qu’elles impliquent. Cette étude souligne également les enjeux des questions d’accès à la formation et de reconnaissance du statut de l’élu, nécessaires pour accompagner le renouvellement générationnel en matière de participation politique.
L’âge moyen des élus municipaux s’élève, en particulier au niveau de l’exécutif, avec une part de maires de moins de 40 ans passant de 12,16 % en 1983 à seulement 3,80 % en 2014 (source DGCL–AMF). Le mandat municipal est de ce fait souvent perçu comme l’aboutissement d’une trajectoire sociale, associative et politique généralement acquise sur le long terme par les générations plus âgées. Pour les jeunes élus ne pouvant pas, par définition, faire valoir une longue expérience militante, force est de constater que la puissance des paramètres professionnels, scolaires et politiques se trouve renforcée pour combler leur déficit d’expérience militante, de notoriété ou d’identité locale. Il en résulte des logiques de sur-sélection des jeunes élus constatées au cours de l’enquête conduite par l’INJEP [encadré «Méthode»]. Elles s’expriment à la fois par des clivages sociaux dans l’accès au mandat municipal mais aussi, une fois élu maire, par une accentuation des inégalités dans l’exercice des fonctions.
D’importants clivages vont en effet apparaître au cours du mandat entre des jeunes maires « hypersocialisés politiquement » d’un côté, où l’élection n’est qu’une étape dans un projet de carrière politique plus large, et des « néophytes » de l’autre, qui découvrent au moment de leur élection les rouages de la politique municipale tout en étant fortement contraints par leur agenda professionnel. Ces polarisations invitent à une réflexion sur l’importance de la formation et de la reconnaissance du statut de l’élu pour réduire les écarts structurels entre professionnels de la politique et nouveaux entrants.
Des jeunes élus municipaux « surdotés » scolairement et professionnellement
La grande majorité des jeunes maires de notre enquête ayant eu précédemment à leur mandat une expérience de conseiller municipal (65 %), il importe au préalable de mieux connaître les principes de sélection pour ce premier échelon de la représentation démocratique. Un certain nombre de travaux ont récemment souligné une forte montée en compétences et une professionnalisation renforcée des représentants politiques locaux dans le contexte des nouvelles prérogatives des collectivités territoriales et de la complexité accrue du mandat municipal [2]. Si cette considération est à nuancer concernant les maires et conseillers municipaux, plusieurs enquêtes ayant souligné une composition sociale légèrement plus diversifiée par rapport aux élus départementaux ou régionaux [3], notre étude présente toutefois une population de jeunes élus municipaux nettement plus avantagée d’un point de vue professionnel et scolaire que les élus plus âgés. À titre d’exemple, 26 % des jeunes élus de cette enquête appartiennent à la catégorie des cadres et professions intellectuelles supérieures, contre seulement 16 % pour l’ensemble des élus municipaux toutes classes d’âge confondues (source : ministère de l’Intérieur). Ils ne sont en revanche que 3 % d’ouvriers contre 10 % pour l’ensemble des élus et 19 % pour l’ensemble des Français. Le constat est similaire s’agissant du parcours scolaire, avec des jeunes élus nettement plus diplômés que l’ensemble des jeunes Français : 72 % des jeunes élus ont un diplôme bac +2 ou plus, contre 43 % pour l’ensemble des jeunes Français sortis de formation initiale en 2010, 2011 et 2012 (INSEE, Enquête emploi).
À ces paramètres professionnels et scolaires s’ajoute également la dimension associative, avec des jeunes élus nettement plus engagés avant leur élection que les jeunes Français du même âge : 74 % étaient membres d’une association avant leur élection, contre 37 % pour l’ensemble des Français de 18 ans à 35 ans (EVS, 2019). Pour une large majorité de jeunes élus, les associations constituent un sas d’entrée incontournable vers un mandat municipal permettant de constituer ou de consolider des réseaux locaux.
MÉTHODE
Croisant une littérature en sociologie politique sur les élus locaux et celle portant sur les parcours biographiques, entendus en termes de parcours de vie, de trajectoire ou de « carrière militante » [1], cette recherche de l’INJEP, dont le rapport rassemblant l’ensemble des résultats sera rendu public début 2020, s’appuie sur :
• une enquête quantitative par questionnaire en ligne adressé par voie de publipostage électronique entre février et mai 2019 à l’ensemble des jeunes élus municipaux (maires, adjoints au maire, conseillers municipaux) de France métropolitaine et de territoires ultra-marins âgés de 18 ans à 35 ans en 2014. Ces derniers ont été contactés de manière exhaustive à partir du répertoire national des élus. L’échantillon ainsi constitué se compose de 4 784 élus, toutes fonctions confondues, ayant répondu de façon complète au questionnaire ;
• une enquête qualitative auprès de 36 jeunes maires (29 hommes et 7 femmes) interviewés en face à face dans l’ensemble du territoire métropolitain et dans des municipalités sélectionnées selon des critères de territoire, de taille de la commune, de caractéristiques économiques et sociales ainsi que d’orientation politique.
D’importantes disparités en termes de socialisation politique
Si notre enquête permet de faire ressortir un profil type des jeunes élus municipaux avec un niveau de diplôme supérieur aux autres classes d’âge, l’appartenance à des catégories socioprofessionnelles plus avantagées et une participation associative plus affirmée, d’importantes variations sont observables au niveau de la socialisation politique des jeunes élus. Entre ceux « du sérail », ayant grandi très tôt dans un univers familial politisé et dans lequel on retrouve parfois des parents eux-mêmes élus ou l’ayant été par le passé, et d’autres, « néophytes », découvrant sur le tard les rouages de la politique municipale, le spectre apparaît particulièrement large.
Pour rendre compte de cette diversité, nous avons construit un indicateur synthétique de socialisation politique à partir de cinq variables : les discussions politiques pendant l’enfance et l’adolescence avec les parents, avec les amis, l’appartenance à un mouvement de jeunesse, un syndicat lycéen ou un conseil de jeunes, la participation de l’un des parents à un conseil municipal. L’usage d’une analyse des correspondances multiples (ACM) combinée à une classification ascendante hiérarchique (CAH) permet de distinguer trois grands types de jeunes élus : les « hypersocialisés politiques », caractérisés par une forte imprégnation durant leur jeunesse à un environnement politique ou militant (14 % de notre échantillon), les « néophytes », marqués par l’absence de toute socialisation politique (20 % de notre échantillon), et les « socialisés politiques », qui correspondent à une situation intermédiaire dans laquelle la politisation intervient de manière plus indirecte (66 % de notre échantillon).
Les jeunes élus « hypersocialisés » politiquement correspondent à des individus ayant fréquenté pendant leur enfance et adolescence un environnement familial et/ou scolaire dans lequel la politique et, de façon plus générale, l’action militante constituent un sujet de discussion et d’échange régulier favorable à une transmission de valeurs d’engagement au service des citoyens et de l’intérêt général. Souvent issus d’une famille dans laquelle on retrouve un parent ayant déjà exercé des fonctions électives, les « hypersocialisés politiques » sont davantage constitués d’hommes (61 %) que de femmes (39 %). Ces différences très marquées du point de vue du sexe sont à rapprocher des travaux d’Anne Muxel qui soulignent le fait que la famille est le lieu de socialisation politique primaire différenciée pour les garçons et les filles avec « la prégnance d’un modèle masculin d’interprétation de l’intérêt comme de l’engagement politique » [4]. À ces différenciations de genre s’ajoute une disparité forte en ce qui concerne les classes sociales : les élus hypersocialisés politiquement pendant leur enfance sont généralement issus d’un milieu socio-économique favorisé là où les néophytes, très peu socialisés politiquement sont deux fois plus nombreux à avoir au moins un des deux parents qui est ouvrier.
Cette hypersocialisation politique durant l’enfance et l’adolescence, dont nous pouvons constater les fortes variations du point de vue du sexe et de la classe sociale, a des effets importants par la suite sur les premières responsabilités politiques ou militantes : plus les jeunes élus ont fréquenté de manière précoce un environnement politisé, plus ils participent activement par la suite aux activités d’une association, d’un mouvement, ou d’un parti en ayant plus souvent des responsabilités en leur sein. Et lorsque l’on sait, à la suite des travaux de Kerrouche, Behm pour les élus urbains [3] et de Marmont pour les ruraux [5], l’importance des activités associatives dans la constitution d’un capital politique, cette socialisation politique différenciée pendant l’enfance se révèle par la suite productrice d’importants clivages non seulement en termes d’accès à l’exécutif (les hypersocialisés accédant plus fréquemment aux fonctions de maire ou de maire adjoint que les néophytes), mais aussi en termes de territoire (plus la taille de la municipalité est importante, plus les jeunes hypersocialisés politiquement sont surreprésentés au détriment des autres) et en termes de formation (pour ceux qui ont bénéficié d’une socialisation politique précoce et d’un réseau politique plus important, on observe une forte adéquation entre type de formation choisi et accès au mandat de maire avec des filières d’études qui apparaissent comme un tremplin pour accéder à la fonction, notamment IEP de province, Sciences Po Paris, droit, communication politique, expertise en action publique territoriale).
Un clivage qui se creuse entre professionnels de la politique et nouveaux entrants
Compte tenu de la plus forte sélectivité sociale des jeunes maires comparativement aux conseillers municipaux, ils constituent un miroir grossissant des clivages observés. S’agissant des maires déjà formés au politique, dont le mandat vient en prolongement d’un parcours scolaire et universitaire, et qui ont esquissé une trajectoire professionnelle autour du politique (chef du cabinet du maire, assistant d’un député, etc.) ou initié une première expérience élective comme conseiller municipal et/ou adjoints au maire, ces expériences permettent de bénéficier d’une plus grande facilité à entrer dans leur mandat. Cela renforce chez eux un sentiment de compétence pour administrer une commune. Pour ceux qui n’avaient pas de socialisation antérieure à un mandat municipal, l’entrée dans la fonction peut être assez brutale, nécessitant une acquisition des compétences et des connaissances des dossiers sur un temps extrêmement court. Ainsi, cette jeune maire témoigne : « J’ai l’impression d’être passée sous un tsunami. Il y a eu la constitution des groupes de travail, et je me souviens que cela était très compliqué, car la première chose que nous avons eu à faire était de voter le budget. Donc, quand il faut tout découvrir et quand vous sortez de nulle part, cela pose une vraie question en termes de renouvellement politique. »
L’accentuation de la polarisation au cours du mandat entre professionnels de la politique et nouveaux convertis ne se manifeste pas seulement dans le domaine strictement technique en lien avec les dossiers à traiter, mais aussi au niveau humain du point de vue des compétences managériales à développer. Comme le souligne la politiste Lucie Bargel au sujet des jeunes des partis politiques [6] : « Débattre et écrire autour de questions de “politique publique”, parler en public, mettre en scène ses émotions, s’investir dans la concurrence et les conflits avec habileté et recul, être loyal à son “sousgroupe” », constitue des compétences politiques et des dispositions militantes majeures. Ceux qui sont socialisés très tôt dans un parti politique apparaissent plus solidement armés non seulement pour traiter les dossiers dès la prise de fonction, mais aussi pour affronter une campagne municipale parfois violente.
Pour les maires plus éloignés de la dimension militante, managériale ou technique du mandat municipal, le parcours de formation par le biais d’associations de maires ou par le biais d’autres réseaux peut rapidement s’avérer nécessaire. L’enquête nous a pourtant démontré que la participation à des formations demeure marginale, notamment pour les nouveaux entrants qui ont paradoxalement moins recours aux formations que les élus hypersocialisés, accroissant là encore les écarts entre ces deux profils. Les formations nécessitent bien souvent que les jeunes maires aient interrompu leur activité professionnelle ou que leur employeur soit ouvert à des prises de jours de congés. Malgré la loi du 31 mars 2015 qui donne un congé de formation à tout élu durant son mandat, les jeunes maires exerçant notamment dans le secteur privé témoignent régulièrement des difficultés à le faire.
Le clivage entre des maires surdotés en capitaux politiques antérieurement au mandat et intégrés politiquement dans le monde associatif ou dans les partis et ceux sous-dotés politiquement se rejoue par ailleurs à d’autres niveaux que le mandat municipal, entre autres dans l’accès à la présidence du conseil communautaire ou du conseil départemental. Rémy Le Saout [7] a, par exemple, démontré à ce sujet que ces nouveaux territoires d’exercice du politique contribuent à la production d’une division renforcée du travail politique local, où la concentration du pouvoir intercommunal est aux mains de ceux qui sont socialement et politiquement les mieux dotés. Les moins dotés politiquement parmi ces jeunes maires sont exclus de la gouvernance des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et ne peuvent investir les mandats des conseils départementaux en raison notamment du poids des partis pour y accéder, ces derniers étant le plus souvent non-encartés et n’ayant pas le temps disponible pour y prétendre.
Mandat et agenda professionnel : de fortes disparités entre élus
Le statut d’élu étant par définition inscrit sur un temps incertain et nécessairement provisoire, les maires qui doivent faire d’autant plus leurs preuves du fait de leur jeunesse entrent dans un engagement total, au détriment, pour certains d’entre eux de leur carrière professionnelle et de leur vie conjugale et familiale. Le resserrement de ces différentes sphères autour de la politique municipale peut mettre en difficulté les jeunes maires à la suite de leur mandat, en particulier pour ceux qui présentent un déficit de capitaux et d’entourages politiques. On observe là encore des différenciations fortes entre les jeunes maires dans le choix de se représenter : ceux qui bénéficient d’un réseau politique plus étendu et d’une insertion plus forte dans des partis vont plus souvent cumuler différents mandats politiques en maintenant leur ancrage dans les partis politiques. Le plus souvent élus dans des villes plus importantes avec des indemnités plus conséquentes, ils peuvent interrompre leur carrière professionnelle ou la maintenir quand ils sont en profession libérale, puisqu’ils peuvent déléguer certaines tâches aux services généraux.
Pour ceux moins socialisés en politique en amont du mandat, dont les professions et études sont éloignées du politique, plusieurs logiques d’appropriation du rôle de maire se dégagent face à l’ascétisme qu’exige le travail de maire et à la tension des agendas : une partie arrête totalement son activité professionnelle, se consacrant corps et âme au mandat ; une autre maintient son activité professionnelle, mais limite ses horaires à la mairie pour ne pas être sanctionnée dans sa trajectoire professionnelle et refuse de s’engager dans d’autres mandats politiques. Pour les jeunes maires ayant interrompu leur carrière professionnelle, le mandat peut représenter un coût symbolique fort en cas de non-réélection. Au cours des entretiens, ce sont eux qui expriment une demande de reconnaissance professionnelle des compétences acquises dans le mandat. Certains d’entre eux étaient déjà en train de constituer des dossiers de valorisation des acquis de l’expérience (VAE) dans la perspective de non-réélection ou d’abandon à l’approche des municipales 2020.
Gérer une collectivité à un âge de la vie où l’on est soit dans un temps d’« irresponsabilités provisoires » [8] qui ne poussent pas à choisir des fonctions qui requièrent un ascétisme important, soit dans une entrée dans la vie professionnelle et familiale qui éloigne le plus souvent de la sphère d’engagement, tend à privilégier ceux qui ont cumulé le plus de capitaux politiques depuis le plus jeune âge. Ces inégalités d’accès aux mandats politiques se trouvent légitimées par le fonctionnement même des instances municipales et intercommunales où la technicité des dossiers s’est fortement accrue et tend à privilégier les plus ajustés à la fonction, questionnant ainsi la difficulté de renouvellement politique. Ces clivages accrus entre « professionnels » et « nouveaux entrants » posent la question de la formation comme un enjeu majeur dans le renouvellement des élites locales, en visant notamment à ce que tous les élus se forment dès la première année de leur mandat pour réduire les différences structurelles constatées.
Sources bibliographiques
• [1] Fillieule O., « Carrière militante », dans Fillieule O., Mathieu L., Péchu C. (dir.), Dictionnaire des mouvements sociaux, Paris, Presses de Sciences Po, pp. 85-94, 2009
• [2] Douillet A.-C., Lefebvre R., Sociologie politique du pouvoir local, Paris, Armand Colin, 2017
• [3] Kerrouche É., Behm A.-S., « Les anonymes de la République. Portrait des conseillers municipaux urbains », Pôle Sud, vol. 39, n° 2, pp. 127-140, 2013
• [4] Muxel A., « Socialisation et lien politique », Thierry Blöss éd., La dialectique des rapports hommes-femmes, Presses universitaires de France, pp. 27-43, 2001
• [5] Marmont T., « Devenir “amateur” en politique. Les ressources politiques des élus ruraux », Sylvain Barone et Aurélia Troupel (dir.), Battre la campagne. Élections et pouvoir municipal en milieu rural, Paris, L’Harmattan, pp. 115-139, 2010
• [6] Bargel, L., « Apprendre un métier qui ne s’apprend pas. Carrières dans les organisations de jeunesse des partis », Sociologie, vol. 5, n° 2, pp. 171-187, 2014
• [7] Le Saout R., « L’intercommunalité, un pouvoir inachevé », Revue française de science politique, n° 3, vol. 50, p. 439-461, 2000
• [8] Bourdieu P., « La “jeunesse” n’est qu’un mot », Questions de sociologie, Paris, Éditions Minuit, pp. 143-154, 1984
Atlas national des fédérations sportives 2019 Hors collection
Jeunes, religions et spiritualités Agora débats / jeunesses
Jeunes et santé mentale : ressources et appropriations Agora débats / jeunesses
Les études… et à côté ? Les modes de vie des étudiant·e·s Agora débats / jeunesses