Accueillies par le Conseil économique social et environnemental, troisième assemblée de la République et lieu de dialogue entre les pouvoirs publics et la société civile, les Rencontres 2017 de l’INJEP ont été ouvertes par Antoine Dulin, vice-président du CESE et membre du groupe des organisations étudiantes et mouvements de jeunesse. L’événement qui s’est tenu le 14 décembre 2017 a réuni près de 300 personnes et largement relayé les débats sur les réseaux sociaux.
En introduction, Thibaut de Saint-Pol, directeur de l’INJEP, a expliqué que le programme de la journée avait été construit autour d’un paradoxe. En France, un jeune sur deux a le sentiment que son avis ne compte pas. Néanmoins, un jeune sur trois s’engage bénévolement et un jeune sur quatre le fait de manière régulière. Il s’agit de l’un des taux d’engagement les plus élevés d’Europe. « A n’en point douter, nous vivons un temps de mutation démocratique et les jeunes sont à la pointe de ce mouvement », a fait valoir Thibaut de Saint Pol. Le comprendre permet « une analyse pertinente de la place des jeunes dans la société, tout en saisissant les modalités de leur socialisation politique », a-t-il par ailleurs affirmé.
Loin de se désengager de la vie publique, les jeunes privilégient toutefois de nouvelles formes pratiques citoyennes, en marge des partis traditionnels. Ces évolutions nécessitent de réinterroger leur rapport à la politique et à la démocratie. Les initiatives sont particulièrement foisonnantes et intéressantes.
Les différentes communications et table-rondes qui se sont succédé au cours de la journée ont permis d’approfondir plusieurs thématiques, liées à la crise de la démocratie institutionnalisée et aux nouveaux comportements des jeunes, aux déterminants de la participation citoyenne et aux leviers du renouvellement et du développement de cette dernière.
Dans une allocution vidéo, Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, a rappelé que l’avenir de la démocratie et de la citoyenneté représentait un enjeu crucial. L’idée que les jeunes ne s’intéresseraient pas à la politique et plus largement à la vie de la cité est largement partagée dans l’opinion publique. La hausse de l’abstention des moins de 30 ans dans la plupart des élections tend à le confirmer.
Pourtant, a indiqué Jean-Michel Blanquer « de nouvelles formes de participation et d’implication émergent. Les travaux de l’INJEP en attestent. Les jeunes sont nombreux à s’engager pour défendre des idées et des idéaux ». Ils ne sont pas désabusés et se projettent dans le futur mais de manière différente. Ces constats permettent d’être optimistes.
Le baromètre DJEPVA sur la jeunesse de l’année 2017 dont les résultats viennent d’être rendus publics, attestent que les jeunes sont nombreux à s’engager bénévolement dans les associations en France, mais qu’ils signent aussi beaucoup de pétitions en ligne et qu’ils recourent aisément au numérique et aux réseaux sociaux pour s’engager politiquement ou défendre des idées. Les jeunes se caractérisent aussi par leur usage de la protestation et de nouvelles manières de vivre la démocratie ainsi que le montre le numéro 73 de la revue Agora portée par l’INJEP et consacré à l’alter-activisme. Enfin des évaluations d’expérimentations récentes du Fonds d’expérimentation pour la jeunesse (FEJ) montrent un fort désir d’implication dans l’action conduisant à un renouvellement des modes de gouvernance associative.
Conscient des enjeux, Jean-Michel Blanquer a rappelé que les « rencontres visent à permettre de comprendre pourquoi et comment se transforme le rapport à la politique dans la nouvelle génération mais aussi comment les jeunes prennent part dans les mutations démocratiques à l’œuvre ». Il s’agit, a-t-il répété « de comprendre les évolutions et, en s’appuyant sur l’intelligence collective, de recréer de la confiance ».
LA PARTICIPATION DES JEUNES D’AUJOURD’HUI : ENTRE LA DÉFIANCE ET L’IMAGINATION DE NOUVELLES FORMES DE VIE DÉMOCRATIQUE
Au cours de la conférence introductive, Loïc Blondiaux, professeur de science politique à Paris I Panthéon-Sorbonne, a rappelé un certain nombre de points de repères. Le malaise démocratique n’atteint pas que les jeunes, même s’il les touche aussi et en particulier. Néanmoins, ils ne sont pas concernés de la même façon et à la même hauteur.
La société se trouve au mieux dans une phase de transition, au pire dans un processus d’obsolescence des institutions politiques. La démocratie est un idéal complexe, composé de différents éléments parfois contradictoires. Elle est constituée d’institutions qui essaient de donner une réalité à la souveraineté du peuple. Bien qu’elle se résume souvent à l’élection, elle reste indissociable de la reconnaissance de droits et de formes de vie politique reposant sur l’égalité. Les citoyens doivent avoir conscience de leur capacité à influencer le processus politique et de leur légitimité à le faire, en acceptant la pluralité.
Aujourd’hui, les dimensions institutionnelles, juridiques et sociologiques sont remises en cause. Les institutions de la démocratie représentative s’épuisent. Elles continuent de fonctionner mais ne remplissent plus totalement leur rôle. Le pouvoir politique s’efface de plus en plus face à des pouvoirs non élus. L’Etat de droit régresse, avec les libertés menacées par des dispositions de tous ordres qui contrôlent de plus en plus étroitement les faits et gestes des citoyens. Ces derniers ont un sentiment d’impuissance. L’alternance ne produit que peu d’effets et le vote perd de son sens.
En réaction, « on assiste à ce qu’il convient d’appeler un retour à l’imagination politique, a avancé Loïc Blondiaux. Pendant très longtemps la démocratie s’est limitée à des votes, des manifestations. Ce à quoi nous assistons c’est à un épuisement de ce modèle et à une aspiration à réinventer la démocratie ». Cette aggiornamento démocratique prend les formes fortement innovatrices des outils numériques permettant le partage et la collaboration, mais « il s’incarne également dans la redécouverte de modalités plus anciennes, à l’instar du tirage au sort ou le mandat impératif », a relevé Loïc Blondiaux. Les signaux sont désormais trop nombreux et convergents pour être ignorés par les autorités politiques. Cependant, les réflexions qui sont engagées au plan institutionnel visent davantage à renforcer la légitimité des institutions classiques qu’à changer de paradigme.
Pour le professeur de sciences politiques, les jeunes « vivent de manière exacerbée ces deux phénomènes ». Ils se sentent de plus en plus éloignés des instances de démocratie représentative et refusent de s’engager dans un système dont ils se sentent exclus. L’abstention croissante en témoigne. Toutefois, leur intérêt pour la politique ne faiblit pas. A preuve, ils participent activement à de nouvelles formes de mobilisation, comme les pétitions en ligne, les manifestations ou le boycott. Ils abordent leur engagement de manière très pragmatique. Généralement intermittent et ciblé sur la défense d’une cause, celui-ci doit d’être le plus efficace possible.
Ces constats permettent également à Loïc Blondiaux de formuler hypothèse d’une crise plus fondamentale, qui « toucherait l’idée même de représentation ». Pour les jeunes, celle-ci ne signifie plus rien, « sauf si, a défendu Loïc Blondiaux, elle s’accompagne d’un mandat impératif. Or le mandat de représentation constitue la clé de voûte des institutions classiques. Toutes les nouvelles expériences de mobilisation citoyenne, comme Nuit Debout ou les civic-techs, montrent pourtant un refus fondamental de la représentation sous la forme actuelle ». Dans les mouvements étudiants, où les assemblées générales prévalent, ces modes de fonctionnement vont à l’encontre de toutes les habitudes du système politique actuel.
Néanmoins, comme l’avait souligné Pierre Bourdieu, la jeunesse n’est qu’un mot. « Il existe d’importantes cassures au sein des jeunes, ce qui en fait une catégorie de la population tout à fait hétérogène » et marquée par des profondes inégalités, a insisté Loïc Blondiaux.
La maîtrise des civic-techs, par exemple, exige un niveau de compétences relativement élevé. Les milieux populaires ne participent pas aussi facilement à ces nouvelles expériences démocratiques. Celles-ci concernent principalement des jeunes éduqués et intégrés socialement. Les autres ne parviennent pas à dépasser le refus de la politique traditionnelle.
Le risque est d’assister à une oligarchisation encore plus marquée qu’aujourd’hui, avec des plateformes numériques où les citoyens seraient consultés sans avoir été préalablement formés. Or l’histoire a montré que les classes populaires ne se mobilisaient que si elles pouvaient s’appuyer sur des intermédiaires issus des classes moyennes. L’existence de corps intermédiaires constitue un enjeu majeur, surtout dans une société de plus en plus individualiste, qui incite davantage à consommer qu’à s’engager.
Enfin, il est urgent d’innover dans les objectifs, les codes et les méthodes de notre système éducatif en apprenant aux élèves à interpeller ceux qui détiennent le savoir et le pouvoir, à s’exprimer en public, à animer un débat. A défaut, a soutenu Loïc Blondiaux, « le malaise démocratique actuel perdurera ».
Vincent Tiberj, professeur de sociologie à Sciences Po Bordeaux, a souligné que la crise du système démocratique durait depuis plusieurs décennies. Par conséquent, celle-ci peut davantage être considérée comme une transformation profonde, conduisant à l’avènement de nouvelles formes de participation. Celle-ci n’est plus dirigée par les élites mais les remet en question, comme le politologue Ronald Inglehart l’expliquait dès les années 1990. Les citoyens refusent la verticalité et recherchent, en dehors de l’élection, des moyens de peser autrement sur leur destin collectif.
Le renouvellement générationnel accélère les évolutions du rapport à la politique, comme en témoigne la montée de l’abstention. La plupart des élections sont concernées, sauf la présidentielle qui mobilise toujours autant. « La participation électorale est toutefois de plus en plus intermittente. Le vote avait été construit comme un devoir vis-à-vis de la société et du système démocratique mais, à part pour les citoyens nés avant-guerre, cette logique ne fonctionne plus », avancé Vincent Tiberj pour qui «les rapports à la politique diffèrent en fonction des générations. Les individus nés avant-guerre estimaient qu’ils n’avaient pas les compétences suffisantes et faisaient confiance aux responsables politiques. Ils s’en remettaient au système. Cette culture de déférence vis-à-vis des élites est en train de disparaître, avec l’émergence d’une société plus critique ». Eduquée et informée, elle refuse de suivre des leaders aveuglément et n’hésite plus à les remettre en question. « Chez les plus jeunes, le rapport à la citoyenneté devient distant. Il ne traduit pas forcément une mise en retrait mais une forte attente d’horizontalité, qui peut donner lieu à des réactions plus contestataires », a noté Vincent Tiberj.
Au cours de la table-ronde, différentes formes d’engagement ont été mises en évidence.
Ainsi, Edouard Marchal, co-fondateur du mouvement We Are Ready Now !, a expliqué que celui-ci était né à l’occasion de la COP21, autour d’un engagement pour le climat. Il ne repose sur aucune structure juridique mais rassemble des jeunes d’horizons très divers, qui souhaitent se mobiliser à travers de nouvelles formes d’action. Edouard Marchal parle ainsi « d’action-cratie ». « Les jeunes qui s’engagent politiquement aujourd’hui le font au profit de la cité et non plus pour un parti. Ce qui prime à leurs yeux c’est la valeur de la cause, de l’action et de l’effet qu’elle porte concrètement sur la société. Ainsi par exemple, des campagnes sur les modes de consommation peuvent avoir des effets forts et immédiats », a expliqué Edouard Marchal.
Emelyn Weber, , a choisi quant à elle de s’investir dans la démocratie représentative en tant que présidente du groupe des organisations étudiantes et mouvements de jeunesse au CESE. Elle a également présenté son engagement militant au sein de la Jeunesse ouvrière chrétienne. Ce mouvement fonctionne toujours selon une approche en trois temps, « voir-juger-agir », mais a commencé à adopter de nouvelles méthodes d’action, notamment avec sa pétition en faveur de l’emploi digne. Joaquim Timotéo, chef de la mission observation et évaluation à l’INJEP, s’est référé au dernier baromètre DJEPVA sur la jeunesse conduit en partenariat entre l’INJEP et le CREDOC, pour affirmer que les jeunes restaient fortement attachés à la démocratie, malgré une insatisfaction croissante.
« Cette montée de l’abstention ne signifie pas que le vote a perdu sa légitimité notamment auprès des jeunes générations, a prévenu Joaquim Timotéo, les motifs de l’abstention envisagée à l’élection présidentielle sont d’abord d’ordre idéologique ». Citant le baromètre DJEPVA, il a affirmé que le « sentiment d’un manque de représentation de leurs idées est le principal frein au vote des jeunes (23%) » devant les « 12% qui souhaitent manifester leur mécontentement à l’égard des partis politiques à travers cette abstention ».
Lorsqu’ils sont interrogés sur le sujet, les jeunes évoquent avant tout des motifs d’abstention idéologiques. Ils ont le sentiment que leurs idées ne sont pas portées par la classe politique et que l’action de celle-ci n’a que peu d’impact sur leur vie quotidienne. L’idée que les élections ne changeront rien à leur vie quotidienne est la seconde raison (20%) la plus invoquée par les jeunes qui ne sont pas certains d’aller voter. « Viennent ensuite un ensemble des considérations plus pratiques pour environ 22% des cas au total », a exposé Joaquim Timotéo.
Au-delà du vote, les jeunes expriment de fortes attentes de renouvellement démocratique. Pour Joaquim Timotéo « ces aspirations relèvent principalement de deux registres : d’une part, la régénération de la démocratie représentative ; d’autre part, l’instauration de formes de démocratie participative ». Ils n’hésitent pas à exprimer leur mécontentement vis-à-vis des partis traditionnels et sont en attente d’un renouvellement, impliquant notamment un renforcement de la démocratie participative. Parmi les thèmes qu’ils soutiennent figurent l’interdiction du cumul des mandats dans le temps, l’organisation de référendums ou la systématisation des concertations publiques.
Pascal Jarry, directeur de la mission démocratie participative/égalité femmes-hommes au conseil départemental de la Haute-Garonne, a insisté sur la nécessité pour les professionnels de la participation, d’ « aller-vers » plutôt que « faire-venir » les jeunes, avec pour objectif d’en tirer des enseignements et de réellement impacter les politiques publiques. Cette approche permet de les replacer dans le système politique tout en tenant compte de leur diversité.
Laurent Lardeux, chargé d’études et de recherche à l’INJEP, a expliqué que les jeunes avaient un rapport plus distancié à la politique. Ils doutent davantage de l’efficacité du vote. Néanmoins, ils n’ont pas renoncé à se faire entendre au-delà des formes d’expression classique.
Ce que montre également très bien les travaux d’Anne Muxel et de Vincent Tiberj, c’est que « ce rapport distancié à la politique dans son sens le plus restrictif, ne l’est plus nécessairement quand on prend en compte la participation effective des jeunes à travers le bénévolat, le volontariat, l’engagement associatif », a-t-il déclaré. Autrement dit : « Ces formes de participation politique, propre à une génération, agissent sur la démocratie, pour autant qu’on les reconnaisse comme la capacité du peuple à gouverner par lui-même et pour lui-même ».
Ces mobilisations peuvent toutefois avoir des visées diverses, en se positionnant comme une aide à la décision pour les élus, comme une opposition aux formes instituées de la démocratie ou comme une manière de sensibiliser les citoyens.
Il existe une relation entre l’engagement et la situation socio-économique des jeunes mais il est difficile de déterminer quelle est la cause et quelle est la conséquence. Le fait d’être inséré socialement facilite-t-il la mobilisation ou est-ce l’inverse ?
L’INJEP mène actuellement une recherche sur les parcours militants et sur les ressorts de cet engagement. Elle a permis d’identifier différents types de profils de jeunes, qui ne sont pas exclusifs les uns et des autres et qui peuvent se recouvrir au sein d’un même individu.
Le « pragmatique » inscrit son engagement dans une recherche de cohérence entre un « un contexte social, politique, sociétal, d’une part ; et d’autre part, un environnement professionnel et de formation », a exposé Laurent Lardeux. L’ « initié », lui, a grandi très tôt dans une sphère militante. Son engagement politique dans des mouvements de transition démocratique s’inscrit dans un parcours biographique. Le moteur de l’engagement du profil « altruiste » relève davantage de l’affect et du choc moral provoqué par le sentiment d’injustice. Enfin, Laurent Lardeux relève un dernier profil, « celui de l’ « idéaliste », au croisement des sentiments moraux et du contexte structurel ».
En ce qui concerne les leviers de l’engagement, de grands évènements peuvent le déclencher mais celui-ci peut également trouver son origine dans le contexte familial, la situation personnelle ou la volonté de défendre des principes moraux.
Des évènements comme la COP21 suscitent un engagement pragmatique. Un certain nombre de militants initiés peuvent également être en recherche de rétribution secondaire, quand leur mobilisation s’inscrit en cohérence avec leur formation et leur parcours professionnel. Ils ont souvent baigné très tôt dans cet environnement. Pour les altruistes, le moteur de l’action réside plutôt dans les sentiments moraux. Enfin, les idéalistes expriment une forte défiance, voire une colère vis-à-vis des institutions actuelles, et une volonté de déstabiliser le système pour mettre en place d’autres règles du jeu. Ils trouvent notamment leur place dans les mouvements révolutionnaires.
Céline Martin, ingénieure d’études UCP – Projet européen Partispace – et membre de la chaire de recherche sur la jeunesse à l’EHESP Rennes, a présenté dans sa communication les premiers résultats d’une recherche comparée sur la participation des 18-30 ans dans huit villes européennes (programme Horizon 2020).
Sans considérer que tout est forcément politique, les travaux qui ont été réalisés ont envisagé la participation de manière très large. L’objectif était, derrière le manque d’intérêt apparent des jeunes pour l’engagement citoyen, d’identifier de nouvelles formes de participation, de repérer les nouveaux espaces investis et de déterminer si ceux-ci étaient reconnus par les adultes.
De manière générale, les jeunes vivent une pression sociale forte et intériorisée. Ils ont le sentiment d’être responsables de leurs propres moyens de subsistance, de leur réussite et de leur capacité à devenir quelqu’un. Ils expriment la nécessité mais aussi la difficulté de mener de front la formation, souvent le travail, les loisirs et les relations. Certains choisissent de s’engager pour se construire. Ils veulent développer des compétences, éventuellement pour faire carrière. Leurs motivations sont pragmatiques et traduisent une volonté d’être respectés et de voir leurs capacités reconnues.
D’autres veulent expérimenter pour se trouver. Ils veulent agir sur le monde mais cherchent leur place. Cet engagement repose largement sur l’émotion, bien que son objectif soit de répondre à des problématiques sociétales. L’engagement est également un moyen de se reconstruire une identité après avoir été victime d’isolement ou de rejet. Il intervient parfois en référence à un modèle ou à son absence. La rencontre avec l’autre reste un moteur majeur, même si elle peut entraîner des réactions ambivalentes.
Les jeunes se mobilisent dans un cadre classique ou adoptent de nouveaux styles de participation, y compris dans des collectifs artistiques ou culturels, des centres communautaires ou des coopératives de services. Les dimensions individuelles et collectives ont toujours tendance à être opposées mais elles sont généralement très liées. L’engagement permet de répondre à un besoin personnel.
L’étude a été menée dans des villes étudiantes, qui, c’est une limite de la recherche, ne sont pas forcément représentatives des pays où elles se trouvent. Elle devrait toutefois permettre de formuler des propositions à la Commission européenne. Les jeunes participent à la vie citoyenne. L’enjeu est désormais de reconnaître ces formes d’engagement différentes et alternatives qui réinterrogent le politique.
Quels déterminants à l’engagement ? Une nouvelle table-ronde a été l’occasion de poursuivre un tour d’horizon des moteurs et de la diversité des formes d’engagement.
Adèle Muller, co-directrice de Générations Cobayes, a expliqué que même si la cause défendue apparaît pertinente et légitime, ce sont les actions de terrain qui permettent la prise de conscience et convainquent les jeunes de s’engager. Evidemment, l’utilisation du numérique s’est fortement développée. Toutefois, le réseau des amis et des connaissances conserve également une grande importance. La place des pairs est essentielle. Pour les mouvements qui abordent des sujets assez techniques, ceux-ci permettent d’organiser la formation des bénévoles, indispensable pour vulgariser le discours et faire passer des messages.
S’agissant du ton de son discours, Génération Cobayes, a évolué au fil du temps. A l’origine, celui-ci était plus dramatique. Puis, la stratégie a été adaptée pour aller au plus près des jeunes et privilégier des actions locales autour de la prévention et de la promotion de solutions. Cette nouvelle approche s’est avérée plus mobilisatrice.
Claire Thoury, déléguée générale d’Animafac, a rappelé que cette structure était née en 1996 pour accompagner les initiatives étudiantes. Il s’agit d’un réseau horizontal où toutes les associations qui le composent ont le même poids.
L’engagement dans les associations étudiantes demeure et tend à croître. Il concerne toutefois majoritairement des hommes issus de classes supérieures, un peu plus âgés que la moyenne. Pour ces jeunes, la cause est plus importante que la structure. Ils sont en recherche d’épanouissement et d’expérimentation et sortent souvent de cette expérience plus politisés. Beaucoup s’impliquent de manière très intense, ce qui structure ensuite leur parcours de vie, sur les plans privé et professionnel.
Firas Jaïdi, secrétaire national du MRJC, a insisté sur la nécessité de partir des envies et des colères des jeunes. Les parlements de jeunes constituent une démarche intéressante pour les capter car elles permettent de s’exprimer et de s’organiser pour agir dans la société. Au sein du mouvement rural de jeunesse chrétienne, la mise en responsabilité est rapide, avec des mandats qui ne peuvent pas se renouveler et qui ne peuvent pas être conservés au-delà de 30 ans.
François Cathelineau, co-fondateur de l’Agence Phare, a fait part de son expérience sur le profil des jeunes qui prennent des responsabilités en tant que salariés ou élus au sein des différentes structures. Il apparaît qu’ils sont généralement les plus âgés. Il existe un équilibre en termes de genres mais l’ancienneté dans l’organisation et le niveau de diplôme sont souvent assez élevés. Au final, la diversification reste relativement limitée.
Au cours des débats, a été abordée la problématique des relations entre les mouvements de jeunes et les élus. Claire Thoury, déléguée générale d’Animafac, a reconnu que les politiques avaient des difficultés à reconnaître l’expertise des jeunes, même si le fait de représenter une organisation ancienne et reconnue facilite les relations.
François Cathelineau, co-fondateur de l’Agence Phare, a confirmé que les relations entre ces deux mondes n’étaient pas simples. Les jeunes ont souvent l’impression d’être une caution. Ils sont parfois consultés mais sont rarement associés à la construction des politiques publiques. D’une manière générale, les pouvoirs publics privilégient les interlocuteurs uniques, ce qui ne cadre pas avec cette diversité des jeunesses et des formes d’engagement.
Firas Jaïdi, a néanmoins relevé de fortes disparités entre les territoires, en fonction des élus locaux et de leur attachement aux questions de jeunesse. Il a par ailleurs regretté que « les jeunes ne soient interpellés que pour parler de jeunesse, alors que d’autres sujets les concernent aussi ».
Lors des échanges avec la salle, a été évoqué l’engagement auprès d’organismes caritatifs comme le Secours Populaire. Les jeunes rejoignent avant tout ces structures pour aider, même s’ils peuvent aussi y trouver un intérêt personnel. La diversité des bénévoles est très enrichissante et permet d’apprendre des uns et des autres, de grandir, de découvrir de nouveaux moyens. L’enjeu est en effet de mettre en mouvement les jeunes pour la solidarité et non seulement pour les jeunes.
Nombre de voix ont souligné que l’expression des jeunes était souvent envisagée par les décideurs publics sous l’angle de la violence ou de la délinquance. Il s’agirait d’un mécanisme de défense auquel recourent commodément beaucoup d’élus pour justifier leur absence d’écoute. Cette approche est paradoxale. Comment en effet se plaindre d’un manque de participation tout en discréditant à bon compte les nouvelles formes d’engagement ?
Claire Thoury, a rappelé que ces réactions n’étaient pas nouvelles. Les acteurs publics oscillent souvent entre stigmatisation et complaisance jeuniste. Pour la déléguée générale d’Animafac, la seule posture qui vaille est celle qui vise la co-construction des politiques publiques, dans un climat de confiance et favorisant le développement de l’expression.
Cette table-ronde a permis de revenir sur différentes expériences des civic-techs, abréviation de civic technology, ou technologie civique, elles renvoient à l’ensemble des procédés, outils et technologies qui permettent d’améliorer le système politique.
Léonore de Roquefeuil, directrice exécutive et co-fondatrice de Voxe.org, explique que l’objectif de cette structure était de proposer un comparatif neutre des programmes des candidats à l’élection présidentielle de 2012. Le projet est en effet né d’un constat. Les jeunes s’intéressaient à la politique mais ne parvenaient pas à s’y retrouver dans les propositions des uns et des autres. L’outil a été enrichi, avec notamment l’introduction d’un chatbot, ou « agent conversationnel », permettant aux utilisateurs de poser des questions. Il offre aussi la possibilité de communiquer avec les candidats, en laissant des messages.
Les jeunes n’ont pas de désintérêt vis-à-vis de la politique mais ont l’impression qu’ils n’ont pas de prise sur les décisions qui sont prises. Ils ne croient plus dans le pouvoir de changement de la politique, raison pour laquelle beaucoup s’orientent vers d’autres formes d’engagement.
Joséphine Bouchez, co-fondatrice de Ticket for Change, a expliqué que ce projet visait avant tout à lutter contre le gâchis de talents. Le projet a été développé en partenariat avec HEC Paris et a pour objectif d’outiller les individus qui veulent se mettre en mouvement. Des MOOCs sont disponibles mais le dispositif repose également sur des mises en relation. Les outils numériques ne sont qu’un alibi pour permettre des échanges et déclencher l’action concrète. A ce jour, 1 300 entreprises sociales ont été créées depuis 2014.
Armel Lecoz, co-fondateur du collectif Démocratie Ouverte, a expliqué que ce réseau d’acteurs regroupait des innovateurs démocratiques, des associations, des start-ups, etc. Tous ont en commun une volonté de transparence et de valorisation de l’intelligence collective, en encourageant la participation des citoyens. Le numérique n’est qu’un outil mais il permet une massification de l’engagement qu’il serait difficile d’obtenir par d’autres moyens.
Virginie Poujol, ethnosociologue et directrice du LERIS, a souligné que la participation des jeunes à la vie citoyenne prenait des formes différentes. Le numérique supporte de plus en plus souvent leur engagement. Il peut être utilisé comme un outil facilitateur, pour s’organiser et travailler ensemble. Il peut être un moyen de valoriser l’action, de lui donner de la visibilité et de communiquer. Il peut aussi être le prolongement d’un projet citoyen existant. Certains décident toutefois de ne pas y recourir et privilégient une mise à distance, qui correspond à un véritable choix.
A été questionnée l’apparition de nouveaux lieux facilitant la participation et l’engagement des jeunes.
Géraldine Farage, directrice du Shadok à Strasbourg, a présenté cet espace, porté par une régie municipale. Il est destiné aux étudiants en fin de parcours, aux chercheurs, entrepreneurs ou aux artistes. Il permet de leur accorder des moyens pour avancer sur des projets qui questionnent les mutations de la société, en échange d’une restitution du processus de travail et des résultats obtenus. Celle-ci peut prendre la forme d’ateliers, de conférences ou d’expositions.
Le numérique est évidemment très présent mais demeure un outil. Le lieu se veut collaboratif. L’objectif est de casser les silos et de s’intégrer sur le territoire, en s’appuyant sur une structure de type fablab’ pour attirer les jeunes, des résidences d’artistes, etc. Cette approche permet de toucher des publics plus diversifiés et de créer du lien social.
Mathilde Renaud-Tinacci, chercheuse-doctorante en sociologie politique au CERLIS-CNRS/université Paris-Descartes, chargée de l’observatoire de la vie associative pour la ville de Paris, a expliqué que ces travaux avaient porté sur le rapport au politique au sein du tissu associatif parisien. Une enquête a été menée sur le sujet dans le courant de l’année 2017 démontre que les relations des structures avec les pouvoirs publics y sont plus importantes et la proximité avec les mouvements citoyens également plus étroite. L’engagement y est, en revanche, plus volatile, souvent multiple et de courte durée.
Les débats ont été l’occasion d’aborder les freins à l’engagement des jeunes. Aude Kerivel, responsable du pôle évaluation et capitalisation du FEJ à l’INJEP, a reconnu que la mobilisation des jeunes était un objectif parfois difficile à atteindre. L’un des leviers consiste à miser sur les pairs. En revanche, cette démarche présente l’inconvénient de limiter la mixité sociale. Celle-ci se réalise quand elle est présentée comme un des objectifs assignés à une action. Elle reste néanmoins compliquée à modéliser et à généraliser.
Blandine Sillard, doctorante au CESSP/Paris I Panthéon-Sorbonne et coordinatrice du pôle recherche d’Astérya, a rappelé que des codes existaient toujours pour entrer dans un univers inconnu. Il est donc indispensable d’accompagner les publics en tenant compte de l’histoire de la structure accueillante.
Yannick Blanc, haut-commissaire à l’engagement civique et président de l’Agence du Service Civique, est revenu sur les attentes des jeunes vis-à-vis de la démocratie et sur la manière dont ils peuvent se projeter dans la société. « Le développement démocratique à venir, a prédit Yannick Blanc, va reposer sur d’autres mécanismes que ceux que nous avons connus au 20e siècle ». Il a affirmé que « les mécanismes classiques de la démocratie représentative existant depuis la Libération sont en train de s’essouffler ». Le défi posé aux décideurs publics est sans ambiguïté : « Nous venons d’assister à l’effondrement de la quasi-totalité des partis politiques, et donc il faut imaginer d’autres mécanismes d’engagement, de participation, et au-delà, de la capacité d’agir du citoyen ».
En réponse à ce défi, Antoine Dulin, vice-président du CESE, a insisté sur la nécessité pour la société civile de trouver « des modes d’organisation capables d’attirer les jeunes. Il leur faut pour cela fournir des propositions en adéquation avec leurs attentes. La force des organisations de la société civile est probablement de mieux y répondre » que les partis politiques, a-t-il plaidé. Pauline Raufaste, membre du comité d’animation du FFJ et vice-présidente de l’UNEF, a rappelé que les jeunes devaient être au cœur des discussions qui concernent leur avenir. Leur participation à la vie citoyenne doit être redynamisée, pour lutter contre une défiance croissante vis-à-vis des institutions.
Pour Pauline Raufaste, les institutions politiques sont évidemment concernées en premier lieu « mais pas de manière exclusive ». « Cette évolution passe par exemple par le non-cumul des mandats dans le nombre et dans le temps, afin de faciliter la représentation des jeunes mais aussi des femmes ». La problématique est beaucoup plus large et touche l’ensemble des champs où s’exercent des mandats sociaux et citoyens : les associations et les organisations syndicales, pour ne citer qu’elles.
Il existe un besoin de renforcement de la démocratie directe, avec la mise en place de consultations à tous les niveaux, par des référendums locaux, des conférences de consensus, etc. Il paraît nécessaire d’impliquer les citoyens au plus proche de leurs réalités.
Tommy Veyrat, représentant le CNAJEP, a insisté « sur la nécessité de valoriser l’engagement, de le soutenir et de lui redonner du sens ». De ce point de vue, le service civique peut constituer un levier. Il est en tout cas indispensable de multiplier les opportunités de s’impliquer, à tous les âges de la vie.
Les débats ont ensuite évoqué la nécessité d’augmenter le pouvoir d’agir des jeunes les plus en difficultés. Aussi Yannick Blanc, a rappelé que les expériences réussies en la matière étaient très nombreuses dans ce domaine et qu’elles ne devaient pas être ignorées. Citant l’expérience de la Fabrik à Déclik il ardemment plaidé « en faveur d’une meilleure visibilité des innovations sociales et afin de faciliter les initiatives ». C’est précisément ce que propose Tommy Veyrat, par un plaidoyer en faveur du secteur de l’éducation populaire dont les associations « permettent de faire participer les jeunes à des concertations et in fine à la construction des politiques publiques ».
Pauline Raufaste a insisté sur « l’importance de la reconnaissance des compétences acquises dans l’expérience associative ». S’engager c’est prendre un risque. Par conséquent, le fait que cette expérience soit peu valorisable représente un frein. Le marché du travail devrait davantage valoriser ces expertises. L’accès à la VAE devrait également être facilité. Le service civique pourrait aussi constituer un levier. Le contrôle et l’encadrement de ce dispositif sont toutefois essentiels, à la fois pour qu’il soit réellement ouvert à tous les profils et qu’il ne se substitue pas à l’emploi.
Yannick Blanc a rappelé que le service civique avait connu une croissance extrêmement rapide. Sa qualité et son intégrité doivent être maintenues mais l’essentiel est de convaincre de son utilité. Les collectivités locales proposent encore trop peu de missions, alors que celles qui le font obtiennent des résultats. Entre l’exigence des pouvoirs publics qu’une mission de service civique soit utile au jeune ainsi qu’à la société sans se substituer à l’emploi public, et la nécessité de conserver une souplesse dans ces contrôles, l’Agence du Service civique doit se construire une ligne de conduite. Il s’agit de concilier efficacité et déontologie.
En clôture, Jean-Benoît Dujol, directeur de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative et délégué interministériel à la jeunesse, est revenu sur la nécessité de poursuivre l’effort de compréhension des pratiques des jeunes et de continuer de réfléchir à la diversification des formes d’engagement. En effet, il a jugé que si les jeunes ne distinguaient pas tellement des autres générations, dans leur retrait vis-à-vis des formes de démocraties instituées, « ce qui les caractérise en revanche, c’est leur capacité à en investir de nouvelles ». Service civique, bénévolat associatif, « civic techs » en constituent les réceptacles. La mécanique du pouvoir repose sur la relation entre représentants et gouvernés. Elle pose la question du contrôle des seconds sur les premiers et notamment du rôle fonctionnel de la société civile dans l’exercice de contrôle. « Or, les mécanismes électifs s’ils permettent l’encadrement du pouvoir législatif, n’autorisent pas ou mal l’examen du pouvoir qui agit, le pouvoir exécutif », a jugé Jean-Benoît Dujol. D’après le délégué interministériel à la jeunesse, les jeunes sont en train d’inventer rien de moins qu’ « un contrôle social et sociétal du pouvoir exécutif », à travers un investissement massif de la société civile. L’enjeu pour l’acteur public, a-t-il déclaré, « est de prendre ces nouvelles formes démocratiques au sérieux sans chercher à les instrumentaliser par des consultations étroites destinées à valider des raisonnements déjà construits ». A rebours de ces pratiques, l’ambition affirmée par Jean-Benoît Dujol tient dans la construction d’un dialogue de qualité, documenté et structuré entre la société civile et les pouvoirs publics. Ambition auxquelles ces rencontres donnent corps, de toute évidence.