Cinq appels à projets, 16 expérimentations, des restitutions programmées, plus d’une centaine de projets soutenus, la mission d’animation du Fonds d’expérimentation pour la jeunesse (MAFEJ) rend public (ou s’apprête à le faire) de nombreux travaux sur la situation et les conditions de vie des jeunes ultramarins. Au menu : illettrisme, décrochage scolaire, violences faites aux femmes, co-éducation, santé, insertion socio-professionnelle…
Dans le cadre de son partenariat avec le ministère des Outre-mer, le Fonds d’expérimentation pour la jeunesse (FEJ) a lancé depuis 2009 cinq appels à projets spécifiquement en direction des territoires ultra-marins. Pour Malika Kacimi, cheffe de la mission d’animation du Fonds d’expérimentation pour la jeunesse, l’ambition est de répondre de manière adaptée aux problématiques spécifiquement vécues par les jeunes de ces territoires. Plus d’une centaine de projets ont été soutenus à ce jour.
Après la mise en œuvre de plus de cent expérimentations, puis leur évaluation, l’heure est au bilan. Que pouvez-vous annoncer s’agissant de la restitution de ces travaux ?
Malika Kacimi : Nous allons d’abord publier prochainement, une note de synthèse qui portera sur les enseignements des expérimentations soutenus par le FEJ sur les territoires ultramarins depuis 2009. Tout d’abord, elle dressera un état des lieux de la situation des jeunes et leurs conditions de vie sur ces territoires. Ensuite, elle présentera les enseignements d’évaluations de projets ultramarins en se focalisant sur trois thématiques essentielles : l’illettrisme et le décrochage scolaire, l’insertion professionnelle et la santé des jeunes. Enfin, cette note proposera des préconisations et des pistes de réflexion à partir des résultats présentés afin d’envisager de nouvelles expérimentations sur les territoires d’Outre-mer.
N’est-il pas également prévu de rendre publics les résultats de l’appel à projet « prévention des violences faites aux femmes par la lutte contre les stéréotypes sexistes dès le plus jeune âge » ? Sur quels axes reposent ces expérimentations ?
Malika Kacimi : C’est exact. L’appel à projet « Prévention des violences faites aux femmes par la lutte contre les stéréotypes sexistes dès le plus jeune âge » a donné lieu à seize expérimentations qui se sont déroulées entre 2014 et 2017. Les projets répondaient à plusieurs axes d’action : sensibilisation des jeunes en milieu scolaire et universitaire, en dehors du milieu scolaire, et formation des professionnels en contact avec les jeunes.
Quels enseignements peut-on tirer de ce travail ?
Malika Kacimi : L’évaluation du programme menée par un cabinet d’études a permis de tirer plusieurs enseignements : la nécessité d’un diagnostic en amont, l’acquisition de compétences liées à la question du genre pour les professionnels, et la possibilité d’espaces de discussion, ludique, pour les jeunes.
L’ensemble du rapport et des enseignements de l’évaluation seront à retrouver en ligne (http://www.experimentation.jeunes.gouv.fr ). Une restitution de l’évaluation a eu lieu le 28 mars 2018 à la direction générale des Outre-mer auprès des déléguées régionales aux droits des femmes et à l’égalité des Outre-mer.
Vous avez également soutenu trois expérimentations sur le thème particulier de l’illettrisme ultramarin. Dans un INJEP analyses et synthèses à paraître, vous y élevez la co-éducation, le développement de la confiance en soi et la valorisation des langues locales au rang de leviers essentiels pour lutter contre l’illettrisme des jeunes ultramarins. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Malika Kacimi : Ces expérimentations cherchaient à répondre à des questions très concrètes : comment lutter contre l’illettrisme des jeunes domiens ? Quels types de dispositif mettre en place sur les territoires pour une action efficace ?
Les enseignements dégagés de l’évaluation de trois expérimentations menée par le FEJ respectivement en Polynésie, en Guyane et dans l’ensemble des cinq départements d’Outre-mer (Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion et Mayotte) ; à des étapes différentes, de la trajectoire de l’élève du CP à l’apprentissage, nous permettent de nourrir quelques pistes de réflexion. Il semble tout à fait positif de travailler ces questions d’illettrisme auprès des enseignants qui ne maîtrisent pas forcément toutes les dimensions du problème, en particulier, leurs liens avec les réalités locales. D’où l’importance d’impliquer davantage les familles dans une logique de co-éducation et surtout, de repenser l’apport des langues parlées Outre-mer. Nous démontrons par exemple que le bilinguisme peut être tout à fait favorable aux enfants et aux jeunes à condition que ces langues aient le même statut social que le français. La dévalorisation de ces langues au profit du français conduit entre autre à une perte de confiance en soi dont les effets peuvent être tout à fait néfastes au plan cognitif. Il faut absolument avoir conscience de cela si nous voulons mener des politiques publiques résolues contre l’illettrisme dans ces territoires.
Outre ces expérimentations, la MAFEJ a lancé des expérimentations déconcentrées dans le cadre de l’appel à projet « Outre-mer » n°5. De quoi s’agit-il ?
Malika Kacimi : L’appel à projet dit « Outre-mer » n°5 a deux particularités fortes. La première est d’avoir été mise en œuvre de manière déconcentrée de façon à être au plus près des réalités de chaque territoire. La seconde tient au fait qu’il est multithématique et construits autour de réalités identifiées et choisies par les territoires. Des problématiques évaluatives ont été co-construites par le FEJ, les équipes d’évaluateurs, les référents des directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale ainsi que les porteurs de projets. Comment atteindre les jeunes visés par des dispositifs qui les concernent ? Telle est l’une des questions posées en Martinique et en Guadeloupe. L’occasion de questionner également l’inclusion des familles au sein des dispositifs et de permettre une continuité entre les temps passé en internat et dans la famille, sujet particulièrement prégnant à Mayotte. A la Réunion, en lien avec le plan d’investissement d’avenir (PIA) jeunesse, il s’agira de poser la question de la place des compétences dans la construction de parcours à la fois à l’école puis dans le parcours vers l’emploi (par Social Lab). Enfin, au regard de l’urgence à traiter le problème des mules en Guyane, ces jeunes qui ingèrent de balles de cocaïne pour les transporter principalement en métropole. L’évaluation, porté par une agence partenaire s’interroge sur l’absence d’acteurs légitime à l’échelle nationale ou locale dans la lutte contre ce phénomène et l’impact que cela peut avoir sur la mise en place de dispositifs de prévention cohérents et pérennes à l’échelle du territoire.
Un comité de pilotage sera organisé le mardi 15 mai 2018 avec l’ensemble des évaluateurs. Cette matinée sera l’occasion pour chacun d’entre eux de présenter l’avancement de ces travaux qui s’achèveront en septembre 2019, et alimenteront le travail de capitalisation des enseignements des expérimentations.