Les jeunes adultes âgés de 18 à 24 ans ont largement été touchés par la crise sanitaire liée au Covid-19, de leur expérience de l’emploi à la question du travail domestique, en passant par leurs conditions de logement. Ce sont les jeunes des classes les moins favorisées, les femmes et les jeunes en emploi qui ont été les plus touchés par les effets de la crise : près de la moitié des 18-24 ans en emploi ont déclaré avoir été totalement ou en partie en chômage partiel à cette période. Du côté des étudiants, on observe à la fois un retour chez les parents et une diminution des ressources liées à l’activité rémunérée en complément des études. La crise sanitaire souligne l’hétérogénéité des conditions de vie de la jeunesse et exacerbe les inégalités entre les jeunes d’une même classe d’âge.
Crise du COVID-19
Les jeunes adultes âgés de 18 à 24 ans ont largement été touchés par la crise sanitaire liée au Covid-19, de leur expérience de l’emploi à la question du travail domestique, en passant par leurs conditions de logement. Ce sont les jeunes des classes les moins favorisées, les femmes et les jeunes en emploi qui ont été les plus touchés par les effets de la crise : près de la moitié des 18-24 ans en emploi ont déclaré avoir été totalement ou en partie en chômage partiel à cette période. Du côté des étudiants, on observe à la fois un retour chez les parents et une diminution des ressources liées à l’activité rémunérée en complément des études. La crise sanitaire souligne l’hétérogénéité des conditions de vie de la jeunesse et exacerbe les inégalités entre les jeunes d’une même classe d’âge.
Au-delà du diagnostic partagé d’une fragmentation de la jeunesse en France (Van de Velde, 2019 ; Peugny, 2020), l’étude des conditions de vie (et leur dégradation pour une fraction de la jeunesse) et des conditions de logement à partir de l’enquête Épidémiologie et conditions de vie liées au Covid-19 (ÉPICOV) met en évidence l’accroissement des inégalités intragénérationnelles. Avant la crise sanitaire, les conditions de vie des jeunes étaient déjà hétérogènes et les différences de statut (étudiant et/ou en emploi, sans emploi) corrélées aux différences d’origines sociales, de niveau d’étude, de genre (Labadie, 2014).
Les résultats présentés ici, issus de l’enquête ÉPICOV [encadré « Méthode »] et d’entretiens menés au cours du printemps 2021, portent sur la succession des confinements et éclairent le constat d’un accroissement des inégalités entre jeunes.
Depuis mars 2020 en effet, le gouvernement français a mis en place une série de mesures sanitaires contraignantes – notamment trois confinements – qui ont eu pour résultat un arrêt partiel ou total des cours en « présentiel » chez les étudiants, des modifications importantes des conditions de travail (avec, notamment, des formes de travail à distance), voire un arrêt parfois brutal des contrats de travail ou de stage pour celles et ceux en formation ou en emploi. Cette situation affecte négativement les jeunes les plus modestes et s’imbrique dans des conditions de confinement inégalitaires, montrant par exemple une mise à contribution au travail domestique plus importante des jeunes femmes et des jeunes des classes populaires.
Par ailleurs, pour nombre de jeunes rencontrés en entretien [encadré « Méthode »] le discours médiatique ambiant sur la précarité étudiante révèle surtout l’existence d’une précarité juvénile qui existait avant la crise. Les jeunes non diplômés – plus souvent des jeunes de classe populaire et des garçons – se trouvaient déjà plus exposés que la moyenne à un accès différé à l’emploi et surtout plus concernés par le chômage (CÉREQ, 2017).
Méthode
Une enquête qualitative et quantitative
L’enquête ÉPICOV, menée par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) depuis le début de la crise sanitaire, a notamment pour objectif de mesurer les liens entre les conditions de vie et l’exposition au virus. Elle porte sur 135 000 personnes représentatives de la population âgées de 15 ans ou plus en 2020, en France métropolitaine, en Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion, à l’exception des personnes détenues en prison ou résidant en EHPAD. L’exploitation développée ici concerne la première vague (mai 2020).
Dans la perspective de comprendre les effets de la crise sanitaire sur les parcours de vie des jeunes, les auteurs ont mené au cours du printemps 2021 48 entretiens d’une durée de 1 h 30 à 3 h 30 (30 jeunes femmes et 18 jeunes hommes âgés de 18 à 24 ans, inscrits en études supérieures (BTS, IUT, DUT, licence ou master universitaire répartis sur l’ensemble du territoire national). Les jeunes interrogés sont issus de tous les milieux sociaux. Les entretiens ont porté à la fois sur leurs expériences des confinements, leurs conditions de vie et de logement, leur situation économique, leurs expériences professionnelles ou encore leurs relations amicales, familiales, amoureuses au cours de cette période.
Un jeune sur dix a perdu son emploi pendant le premier confinement
Même si l’identification de la jeunesse au monde étudiant est prégnante dans les représentations (Peugny, 2020), elle n’est pas à l’image de la réalité. En 2020, la précarité des 18-24 ans qui étaient en études avant le confinement a été beaucoup commentée, mais les jeunes non étudiants ont également été touchés par la crise. Il convient de garder à l’esprit que les étudiants représentent la moitié des jeunes de cette tranche d’âge (49 %), les autres étant pour 36 % en emploi et 15 % inactifs ou au chômage. Ces chiffres correspondent à la situation principale déclarée par les répondants, mais dans les faits, ces situations peuvent se cumuler : en 2016, 46 % des étudiants ont eu une activité rémunérée au cours de l’année universitaire (OVE, 2017).
Au cours du printemps 2020, les jeunes adultes ont été les plus sévèrement touchés par la crise sanitaire, notamment parce qu’ils sont plus fréquemment recrutés en contrats courts. Ainsi, la DARES estime que les trois quarts des destructions d’emploi, qui ont atteint un niveau historique au premier trimestre 2020 (INSEE, 2020), s’expliquent par des fins de CDD ou de contrats d’intérim non renouvelés (DARES, 2020). L’enquête ÉPICOV le confirme : 7 % des 18-24 ans en emploi avant la crise ont perdu leur emploi faute de renouvellement d’un contrat court, contre 1 % pour les 25 ans et plus. À ces 7 % s’ajoutent les 2,5 % qui ont été licenciés. Au total, ce sont 10 % des 18-24 ans qui ont perdu leur emploi, ce qui souligne combien les jeunes sont sensibles aux fluctuations conjoncturelles du marché du travail. Cette part s’élève à 14 % pour les jeunes dont le foyer fiscal appartient aux 20 % les moins riches, contre 7 % pour les 20 % les plus riches 1.
Les entretiens réalisés confirment par ailleurs la forte segmentation sexuée du marché du travail en France et la précarité générale des contrats des jeunes (temps partiel, fractionné…) : les jeunes femmes qui ont pu maintenir une activité professionnelle sont celles qui exerçaient dans les activités du care (aide à domicile, aide-soignante…) ou de la grande distribution ; les jeunes hommes ayant maintenu leur activité se retrouvaient quant à eux dans les secteurs de la livraison ou de la grande distribution.
Au-delà de la perte d’emploi, les jeunes ont été très concernés par le chômage partiel au cours du printemps 2020 : d’après ÉPICOV, 28 % pour les 18-24 ans contre 14 % des 25 ans et plus déclarent avoir été totalement en chômage partiel. Ces parts s’élèvent à 48 % et 35 % respectivement en incluant ceux qui déclarent avoir été seulement en partie au chômage partiel sur la période (c’est-à-dire avec maintien d’une partie de l’activité professionnelle).
Les expériences de ces pertes d’emploi ou du chômage partiel pendant la crise sanitaire affectent plus fortement les jeunes des milieux moins favorisés dans leurs parcours d’insertion professionnelle. Ce qui peut s’expliquer par le fait que les emplois précaires constituent chez les plus favorisés une période transitoire alors qu’ils sont, chez d’autres, la norme d’une entrée dans la vie active pouvant perdurer bien au-delà de la période de jeunesse (Pinto, 2010).
Une dégradation du niveau de vie pour les jeunes déjà moins favorisés avant la crise
Dans l’enquête ÉPICOV, les jeunes adultes déclarent davantage que dans les autres classes d’âge la dégradation de la situation financière du foyer au cours de la période 2. Les entretiens menés montrent que cette dégradation est parfois peu tangible pour les jeunes qui vivent chez leurs parents, même si certains perçoivent bien des difficultés croissantes à subvenir aux besoins du foyer, ou à rembourser des prêts. Pour celles et ceux vivant hors du foyer parental, les restrictions sont plus immédiatement perceptibles et conduisent par exemple à une modification du nombre et de la qualité des repas, voire à des non-recours aux soins.
Le poids de la classe sociale est déterminant dans l’évolution des conditions de vie : ce sont les jeunes des milieux les plus aisés, celles et ceux qui bénéficient de ressources familiales (aides financières ou en nature) qui s’en sortent le mieux (Duvoux, 2021). À l’autre bout de l’échelle sociale, on constate une dégradation financière pour les jeunes et leurs familles dès le 1er confinement. La crise sanitaire et ses répercussions économiques ont été plus importantes pour les étudiants les moins favorisés dépendant d’emplois complémentaires à leurs études (baby-sitting, soutien scolaire, hôtesse d’accueil, caissière, chauffeur livreur, coursier…) et plus largement pour les jeunes des classes populaires : d’après l’enquête ÉPICOV, 41 % d’entre eux (1er quintile de niveau de vie) décrivent une dégradation des conditions financières quand c’est le cas de 20 % des jeunes des classes sociales les plus aisées (5e quintile de niveau de vie, graphique 1). Les jeunes femmes, qui décohabitent souvent plus tôt, sont légèrement plus nombreuses (33 %) que les jeunes hommes (30 %) à déclarer que la situation de leur foyer s’est dégradée. Enfin, notons qu’on ne constate pas ici d’effet du territoire (urbain/rural) sur l’évolution des conditions de vie.
Près de deux jeunes sur dix ont changé de logement au cours du confinement du printemps 2020
La question du logement dans lequel vivre le confinement s’est imposée dans l’urgence et l’incertitude à nombre de jeunes adultes et à leurs familles.
Avant la crise, 61 % des 18-24 ans vivaient principalement au domicile parental. Lors du confinement du printemps 2020, 12 % y sont revenus exceptionnellement, portant à 73 % la part totale des jeunes de 18-24 ans qui ont vécu cette période avec leurs parents [tableau 1]. Les « cohabitants de circonstance », c’est-à-dire ces jeunes revenus pour le confinement, sont particulièrement nombreux parmi les étudiants (17 % d’entre eux) et les jeunes issus de milieux favorisés. À l’inverse, les jeunes en emploi sont plus nombreux à n’avoir pas vécu le confinement avec leurs parents (40 % contre 27 % de l’ensemble des 18-24 ans). La plupart de celles et ceux ayant changé de logement sont retournés chez leurs parents (69 %), mais pas tous : 14 % sont allés chez leur partenaire ou conjoint, et plus rarement chez des amis (4 %) ou dans une résidence secondaire ou location temporaire (5 %).
Les entretiens montrent que les lieux de résidence temporaires à l’occasion du premier confinement ont fait l’objet de discussions entre parents et enfants. À mesure que s’ancre l’habitude des confinements et reconfinements successifs, le retour chez les parents devient parfois moins évident pour des jeunes du fait d’une lassitude croissante évoquée par la plupart des enquêtés.
Des considérations liées à la taille des habitations et notamment à la possibilité de disposer d’un espace à soi ou d’une bonne connexion à internet expliquent des choix résidentiels différents lors des deuxième et troisième confinements par rapport au premier confinement de 2020.
Expériences genrées des confinements et inégalités dans le travail domestique
La cohabitation quotidienne ou le retour temporaire des jeunes au domicile de leurs parents se sont accompagnés d’une participation inégale au travail domestique.
L’analyse de la répartition du travail domestique révèle ainsi des inégalités de genre, et, dans une moindre mesure, de classe sociale. En effet, d’après l’enquête ÉPICOV, les jeunes ayant vécu le confinement avec leurs parents ont consacré moins de temps aux tâches domestiques (cuisine, courses, ménage, linge) que les autres : 52 % y ont consacré une heure ou plus de leur temps par jour (contre 63 % pour ceux qui ont vécu seuls ou avec des amis, et 77 % parmi ceux qui vivaient en couple). Cette part est sensiblement la même selon que les jeunes soient revenus spécifiquement pour le confinement ou non, laissant penser qu’une grande partie du travail domestique a été réalisée par les parents, et plus spécifiquement par les mères (Lambert, Cayouette-Remblière, 2021).
Parmi celles et ceux qui ont été confinés chez leurs parents, on observe des rapports de genre et de classe inégalitaires dans le travail domestique. Les jeunes hommes et les jeunes femmes des franges les moins aisées sont respectivement 56 % et 63 % à y consacrer plus d’une heure par jour, contre 42 % des hommes et 49 % femmes vivant dans les foyers les plus riches. Les entretiens révèlent des différences importantes entre jeunes selon la position sociale des parents et la composition de la famille : avoir des parents (et plus particulièrement une mère) ayant conservé un emploi pendant le confinement et une fratrie composée d’enfants plus jeunes (d’âges scolaires) a davantage impacté le quotidien confiné des jeunes femmes que de leurs alter ego masculins.
Ces données convergent avec nombre d’enquêtes en sciences sociales qui pointent la prise en charge des enfants assurée par les femmes, y compris lorsque celles-ci occupent un emploi (Albouy, Legleye, 2020). Cette situation est en outre corrélée aux milieux sociaux puisque davantage rencontrée chez les jeunes femmes de milieux modestes.
Ces inégalités de genre révélées par le déséquilibre du partage des tâches au sein des familles, contraignant une partie des filles à assurer une « double journée » étudiante et/ou professionnelle et domestique, ont des répercussions dans bien d’autres domaines de leur vie. Cela peut se traduire par un frein au maintien dans l’emploi ou à la réussite dans les études à distance, un frein dans la pratique sportive, mais aussi dans la difficulté du maintien de relations sociales à distance. Des activités qui demandent du temps et de l’investissement largement concurrencés par le fait de devoir s’occuper de l’intérieur et/ou des plus petits.
Sources bibliographiques
• Albouy V., Legleye S., « Conditions de vie pendant le confinement : des écarts selon le niveau de vie et la catégorie socioprofessionnelle », INSEE Focus, 197, 2020.
• CÉREQ, Quand l’école est finie. Premiers pas dans la vie active de la génération 2013. Résultats de l’enquête 2016, CÉREQ Enquêtes n° 1, 2017.
• DARES, « Les jeunes face à la crise sanitaire », Dossier www.dares.travail-emploi.gouv.fr, 2020.
• Duvoux N., « Introduction », La pauvreté démultipliée. Dimensions, processus et réponses, rapport du CNLE, mai 2021.
• INSEE, « À la fin du premier trimestre 2020, l’emploi salarié chute de 2,0 % », Informations Rapides n° 2020-145, juin 2020.
• Labadie F. (dir.), Parcours de jeunes et territoires : rapport de l’observatoire de la jeunesse 2014, La Documentation française.
• Lambert A., Cayouette-Remblière J. (dir.), L’explosion des inégalités. Classes, genre et générations face à la crise sanitaire, La Tour d’Aigues, INED, Éditions de l’Aube, coll. « Monde en cours », 2021.
• Observatoire de la vie étudiante (OVE), « L’activité rémunérée des étudiants », Enquête conditions de vie des étudiants 2016, www.ove-national.education.fr/, 2017.
• Peugny C., « Générations, jeunesses et classes sociales. Un quart de siècle d’analyse des inégalités », Agora débats/jeunesses, n° 86, p. 11-24, 2020.
• Pinto V., « L’emploi étudiant et les inégalités sociales dans l’enseignement supérieur », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 3, n° 183, p. 58-71, 2010.
• Van de Velde C., « Devenir adulte, 10 ans après », Revue française des affaires sociales n° 2, p. 197-202, 2019.
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