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Discriminations à l’embauche : la sensibilisation des recruteurs en question

ENSEIGNEMENTS D’UN TESTING EN ENTREPRISES


Les discriminations sur le marché du travail constituent une réalité désormais bien documentée, en particulier pour les jeunes. Pour lutter contre celles-ci, le Fonds d’expérimentation pour la jeunesse, piloté par l’INJEP, a financé et évalué deux actions de sensibilisation aux discriminations auprès des recruteurs. Une évaluation basée sur la méthode du testing montre que, cinq mois après avoir participé à ces actions, les entreprises ne réduisent pas davantage leur risque de discrimination que celles qui n’ont pas été sensibilisées. Cependant, ces résultats ne permettent pas de conclure à l’inefficacité de ce type d’intervention. Ils soulignent plutôt la nécessité de repenser le rythme et l’intensité des formations et des sensibilisations pour maximiser leur impact.


Discriminations à l’embauche : la sensibilisation des recruteurs en question

ENSEIGNEMENTS D’UN TESTING EN ENTREPRISES

Les discriminations sur le marché du travail constituent une réalité désormais bien documentée, en particulier pour les jeunes. Pour lutter contre celles-ci, le Fonds d’expérimentation pour la jeunesse, piloté par l’INJEP, a financé et évalué deux actions de sensibilisation aux discriminations auprès des recruteurs. Une évaluation basée sur la méthode du testing montre que, cinq mois après avoir participé à ces actions, les entreprises ne réduisent pas davantage leur risque de discrimination que celles qui n’ont pas été sensibilisées. Cependant, ces résultats ne permettent pas de conclure à l’inefficacité de ce type d’intervention. Ils soulignent plutôt la nécessité de repenser le rythme et l’intensité des formations et des sensibilisations pour maximiser leur impact.

Faut-il repenser les actions de sensibilisation des employeurs pour lutter contre les discriminations à l’emploi ? La question mérite d’être posée au regard de deux évaluations de formations auprès des recruteurs, menées par les missions locales de Chambéry et de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA). Ces projets et leur évaluation ont été soutenus par le Fonds d’expérimentation pour la jeunesse (FEJ), piloté par l’INJEP au sein du ministère des Sports, de la Jeunesse et de la Vie associative, dans le cadre de l’appel à projets « Prévention et lutte contre les discriminations envers les jeunes » [1].

Malgré le recul du chômage en France au cours de la dernière décennie, les jeunes restent particulièrement exposés au sous-emploi. Les facteurs explicatifs sont multiples et se cumulent : insuffisances de l’enseignement professionnel, de la professionnalisation des parcours de formation, faiblesse de l’accompagnement vers l’emploi, problèmes de mobilité, discriminations dans l’accès à l’emploi, etc. En réponse, de nombreux dispositifs de politiques publiques sont mis en œuvre, tels que le développement de l’apprentissage, avec la réforme de 2018 suivie du plan « un jeune, une solution », la transformation de la voie professionnelle au lycée, les réformes régionales de l’offre de formation, etc. Les évaluations des politiques d’emploi ciblées sur les jeunes semblent pourtant rendre compte d’une efficacité limitée [2].

En parallèle des dispositifs de politiques publiques visant l’insertion socioprofessionnelle des jeunes, plusieurs initiatives de lutte contre les discriminations sont expérimentées sur le terrain. Leur objectif est d’améliorer l’accès à l’emploi des jeunes confrontés à un risque de discrimination dans un contexte où ceux-ci se déclarent plus souvent victimes de discriminations ou de traitements inégalitaires que les plus âgés (particulièrement les jeunes descendants d’immigrés et les jeunes femmes). Parmi les contextes de discrimination les plus cités figurent les études, mais aussi l’emploi. À titre d’exemple, 7 % des 18-30 ans déclarent avoir subi une discrimination dans l’emploi [3].

Repères

Plusieurs actions complémentaires de lutte contre les discriminations expérimentées

Portée par l’ARML PACA, l’expérimentation « Un engagement national des missions locales pour lutter de façon systématique contre les discriminations » vise à diffuser et institutionnaliser un référentiel commun en matière de prévention et de lutte contre les discriminations. Un premier axe a concerné la formation des salariés du réseau des missions locales. Un deuxième axe a été consacré au développement d’approches communes (via des ateliers participatifs) contre les discriminations et à la démultiplication des ateliers menés dans ce cadre auprès des jeunes fréquentant le réseau. Enfin, un dernier axe a consisté en la participation des entreprises engagées dans le projet à travers une journée de formation de sept heures, intitulée « Objectiver les critères de recrutement ».

Portée par la mission locale de Chambéry, l’expérimentation « Projet TALENT : Technique d’Accompagnement vers l’ENTreprise » visait à améliorer l’accès à l’emploi des jeunes confrontés à un risque de discrimination, notamment lié à l’origine supposée ou au territoire. Cette expérimentation a adopté une approche à double entrée avec des actions de coaching à destination des jeunes, afin de les préparer au contact avec les recruteurs et de travailler sur leur employabilité (sentiment de compétence professionnelle, co-construction d’un projet professionnel en adéquation avec leur profil), et des actions envers les entreprises, afin de faire évoluer leurs comportements et pratiques de recrutement. Ce dernier axe consiste à fournir un accompagnement à des entreprises qui recrutent, lequel repose sur une co-construction de nouveaux processus de recrutement non discriminants. Par exemple, une objectivation des critères de recrutement, une prise systématique d’un rendez-vous dans l’entreprise des candidats pressentis sans passer par des étapes de CV et/ou lettre de motivation, mais aussi des job datings atypiques, des recrutements organisés au sein de la mission locale, etc.

Des discriminations réelles mais des dispositifs de lutte rarement évalués

De nombreuses études mettent en évidence l’existence de discriminations liées à l’origine sur le marché du travail. Quelle que soit la profession examinée, les personnes issues de l’immigration ont toujours sensiblement moins de chances d’accéder à un entretien d’embauche, et c’est d’autant plus le cas dans un contexte économique dégradé [4, 5]. Toutefois il existe très peu d’évaluations quantitatives de l’efficacité de dispositifs de lutte contre les discriminations (LCD) et de promotion de la diversité, malgré leur nombre croissant. Parmi ces actions, la formation, obligatoire pour les entreprises de plus de 300 salariés depuis la loi Égalité et Citoyenneté du 29 janvier 2017, et les actions de sensibilisation des recruteurs cherchent à lutter contre les discriminations conscientes, directes ou implicites, car associées à des stéréotypes dont les discriminants n’ont pas toujours conscience.

Ces objectifs ont été repris par la mission locale de Chambéry et l’Association régionale des missions locales de Provence-Alpes-Côte d’Azur (ARML PACA). Entre 2019 et 2022, celles-ci ont expérimenté plusieurs actions complémentaires de lutte contre les discriminations [encadré « Repères », p. 2], dont deux actions de formation et de sensibilisation auprès des recruteurs. L’une consiste en une co-construction de nouveaux processus visant à objectiver les critères de recrutement afin de les rendre non-discriminants ; l’autre, en une formation de sept heures visant à prévenir les discriminations dans le recrutement.

Méthode

Mesurer et comparer le niveau de discrimination : un testing statistique


La méthode d’évaluation combine une double approche : i) mesure des discriminations à l’aide d’un test par correspondance administré avant et après l’action de formation et de sensibilisation (méthode de testing) ; ii) comparaison des pratiques de recrutement au sein des entreprises qui ont bénéficié des actions de formation et de sensibilisation et d’entreprises témoins n’en ayant pas bénéficié (même secteur d’activité, même bassin d’emploi, effectifs comparables).

On construit les identités de deux candidats fictifs à l’emploi, de même sexe, signalant, pour l’un, un prénom et un nom à consonance française et, pour l’autre, à consonance maghrébine. Chacun des deux candidats fictifs adresse dans un ordre aléatoire à l’entreprise traitée et aux entreprises témoins un message de demande d’information sur les opportunités d’emploi dans une profession habituellement recrutée dans ce type d’entreprise (aucun envoi de CV). Deux vagues de tests sur chaque entreprise traitée (et sur chaque entreprise témoin qui lui est associée) sont réalisées : la première a lieu deux semaines avant que l’entreprise traitée bénéficie de l’action, la seconde intervient cinq mois après.

Une stratégie d’estimation en triple différence est retenue. Elle consiste à comparer, toutes choses étant égales par ailleurs, les chances de recevoir une réponse positive pour le candidat d’origine française et le candidat d’origine maghrébine, dans les entreprises sensibilisées et les entreprises témoins, avant et après la conduite de l’action de formation et de sensibilisation auprès des entreprises sensibilisées. L’évaluation porte sur 213 entreprises sensibilisées et 629 entreprises témoins.

Des entreprises exposées au risque discriminatoire avant l’intervention

L’évaluation de ces expérimentations a pour objet principal de répondre à la question : après avoir eu accès à l’un de ces dispositifs, un recruteur présente-t-il un risque discriminatoire durablement plus faible que s’il n’en avait pas bénéficié ?

Avant l’intervention des actions de sensibilisation, les entreprises sensibilisées présentaient un risque discriminatoire statistiquement significatif. En effet, elles réservaient plus de réponses positives1 à la demande d’information émanant d’un individu portant un prénom et un nom à consonance d’origine française qu’à celle d’une personne supposée d’origine maghrébine. Cette discrimination était comparable à celle observée dans les entreprises du groupe témoin, avec un écart de réussite de l’ordre de 10 points de pourcentage entre les candidats d’origine française et ceux d’origine maghrébine.

Dans l’expérimentation menée par la mission locale de Chambéry, les 69 entreprises du groupe test, publiques et privées, ont reçu des demandes fictives. Dans 45 % des cas, un candidat avec un prénom et un nom à consonance française a obtenu une réponse non-négative. En comparaison, le taux était de 30,5 % pour un candidat portant un prénom et un nom à consonance maghrébine, soit un écart de 14,5 points, significatif au seuil de 5 % [tableau 1]. Ce phénomène est également observé dans le groupe témoin, où 36 % des candidats avec un nom à consonance française ont reçu une réponse non-négative, contre 22 % pour les candidats avec un nom à consonance maghrébine, soit un écart de 14 points.

Ce constat se retrouve dans les entreprises concernées par l’expérimentation de l’ARML PACA. Parmi les 144 entreprises du groupe test, des écarts de taux de succès entre la candidature d’origine française (48 %) et celle d’origine maghrébine (38 %) atteignent 10 points ; l’écart est proche (13 points) pour les 420 entreprises du groupe témoin.

Après l’action de sensibilisation, le risque discriminatoire n’est pas sensiblement plus faible

Les résultats des deux évaluations montrent que, contrairement aux attentes, les actions de sensibilisation aux discriminations n’ont pas modifié de façon notable les pratiques de recrutement. Avant l’intervention, le risque de discrimination était similaire dans les entreprises sensibilisées et celles du groupe témoin. Cinq mois après l’intervention, ce risque reste inchangé dans les deux groupes d’entreprises.

Ainsi, dans l’expérimentation menée par la mission locale de Chambéry, cinq mois après l’action de sensibilisation, les entreprises du groupe test présentent toujours un écart de 16 points entre la candidature d’origine française (39 % de réponses non-négatives) et celle d’origine maghrébine (23 %). Dans les entreprises du groupe témoin, cet écart atteint 15 points. L’ampleur de la discrimination reste comparable dans les deux groupes et l’évolution observée entre les deux vagues de tests (0,5 point) n’est pas statistiquement significative. Un constat similaire est observé dans l’expérimentation de l’ARML PACA, où la discrimination persiste dans les deux groupes (test et témoin).

Les limites de la méthode et des actions

La méthode utilisée pour évaluer le risque discriminatoire comporte inévitablement quelques limites. Premièrement, l’action de sensibilisation a été menée à petite échelle, ce qui introduit une incertitude statistique dans les résultats, rendant difficile la détection d’effets de faible ampleur. Deuxièmement, l’étude se concentre sur les réponses à des demandes d’information sur des opportunités d’emploi en fonction de l’origine supposée d’un candidat, sans examiner l’ensemble du processus de recrutement. Enfin, l’évaluation ayant été réalisée cinq mois après l’action de sensibilisation, il est possible que des effets positifs à court terme aient été produits, mais n’aient pas perduré suffisamment pour être observés. Malgré ces limites, il apparaît que les actions de sensibilisation et de formation évaluées n’ont pas engendré d’effets suffisamment marquants pour être détectés cinq mois après leur mise en œuvre.

Les résultats décevants de cette étude pourraient s’expliquer par le caractère ponctuel et possiblement trop peu intensif des actions évaluées, qui n’ont pas réussi à engendrer des changements de pratiques durables.

Ce constat est en accord avec les conclusions d’Osikominu (2013), qui a démontré que l’effet d’une formation sur les chances de réinsertion d’un chômeur est proportionnel à la durée de cette formation : plus elle est longue, plus les chances de maintenir un emploi après un épisode de chômage augmentent. Cela suggère que l’intensité et la continuité des interventions sont cruciales pour obtenir des effets significatifs [6].

Pour aller plus loin

Ce document s’appuie sur les rapports d’évaluation remis au FEJ par les chercheurs de la Fédération de recherche « Théorie et évaluation des politiques publiques » (FR CNRS 2042) disponibles sur https://telemaque.injep.fr.

Ces rapports s’inscrivent dans un programme plus large soutenu par le FEJ intitulé « Prévention et lutte contre les discriminations envers les jeunes » (www.injep.fr, rubrique « Fonds d’expérimentation pour la jeunesse »).

Un phénomène qui semble nécessiter des interventions de grande ampleur

De nombreux travaux soulignent la complexité de lutter contre le caractère systémique de la discrimination à travers des actions isolées et ponctuelles [1]. Le phénomène de discrimination étant profondément ancré dans les pratiques et les structures sociales, il nécessite des interventions de grande ampleur, à la fois sur la durée et en termes de portée, pour provoquer un véritable changement. C’est dans cette perspective que les actions financées par le Fonds d’expérimentation pour la jeunesse et mises en oeuvre par les missions locales ne se sont pas limitées aux deux actions évaluées ici. Ces initiatives visaient un impact plus large en ciblant non seulement les jeunes eux-mêmes, mais aussi les structures et les professionnels qui les accompagnent, ainsi que les entreprises. Le testing présenté ici s’inscrit par ailleurs parmi les récentes recommandations du Défenseur des droits en matière de bonnes pratiques, invitant à évaluer la bonne application du droit de la non-discrimination, mais aussi l’efficacité du déploiement d’actions antidiscriminatoires [7].

À l’avenir, des recherches supplémentaires seront nécessaires pour mieux comprendre les conditions de succès des dispositifs innovants qui visent à améliorer l’accès à l’emploi des jeunes confrontés à un risque de discrimination. Cela inclut l’exploration de stratégies qui permettent d’intégrer ces actions dans un cadre plus large, capable d’influencer durablement les mentalités et les pratiques des différents acteurs impliqués.

  1. On considère que la réponse du recruteur est négative s’il ne répond pas ou s’il indique explicitement l’absence d’opportunité d’emploi. On considère que la réponse est non-négative si l’employeur demande des informations supplémentaires (CV), met le candidat en contact avec le service RH, etc. On compare alors les réponses que donnent les entreprises aux demandes des deux candidats fictifs.

Sources bibliographiques

  • [1] Bricet R., James S., Grevin A., « Expérimenter pour prévenir et lutter contre les discriminations envers les jeunes », INJEP Notes & rapports, 2023.
  • [2] Cahuc P., Hervelin J., Quelles politiques de l’emploi pour les jeunes, Presses de Sciences Po, 2023.
  • [3] Vicard A., « Les discriminations subies par les jeunes », INJEP Fiches repères, 2024.
  • [4] Du Parquet L., Petit P., « Discrimination à l’embauche : retour sur deux décennies de testing en France », Revue française d’économie, vol. 34, 2019.
  • [5] Challe L., L’Horty Y., Petit P., Wolff F.-C., « Cyclical behavior of hiring discrimination. Evidence from repeated experiments in France », The Annals of Regional Science, vol. 72, 2023.
  • [6] Osikominu A., « Quick job entry or long-term human capital development? The dynamic effects of alternative training schemes », Review of Economic Studies, vol. 80, 2013.
  • [7] Défenseur des droits, « Lutter contre les discriminations : les recommandations transversales

SUR LE MÊME SUJET

  • Anne D., Chareyron S., Leborgne M., L’Horty Y., Petit P., « Discriminations dans l’accès à l’emploi : une exploration localisée en pays Avesnois », Revue d’économie régionale et urbaine, p. 413-430, 2022.
  • Chareyron S., L’Horty Y., Petit P. « Discriminations dans l’accès à l’emploi : les effets croisés du genre, de l’origine et de l’adresse », Économie et statistique / Economics and Statistics, no 541, 2023.