Fortement mobilisée dans l’actualité médiatique comme dans les sciences sociales ou dans les politiques publiques, la vulnérabilité est une notion dont il peut être difficile de cerner les contours. Quelles réalités recouvre cette notion polysémique ? Quelles en sont les limites ? Qui sont les jeunes dits « vulnérables » que l’on dit aussi « jeunes en difficulté », « jeunes en rupture », ou encore « jeunes NEET » (ni en emploi ni en formation ni en études) ?
Fortement mobilisée dans l’actualité médiatique comme dans les sciences sociales ou dans les politiques publiques, la vulnérabilité est une notion dont il peut être difficile de cerner les contours. Quelles réalités recouvre cette notion polysémique ? Quelles en sont les limites ? Qui sont les jeunes dits « vulnérables » que l’on dit aussi « jeunes en difficulté », « jeunes en rupture », ou encore « jeunes NEET » (ni en emploi ni en formation ni en études) ?
En philosophie, la vulnérabilité s’entend comme la dépendance des personnes vis-à-vis d’autrui et de leur environnement. Tout le monde est dépendant des autres, par conséquent tout le monde est vulnérable à l’autre. Les travaux sociologiques insistent sur le fait que ces risques de blessure n’affectent pas les personnes de la même façon selon leurs positions, identités et trajectoires sociales. Autrement dit, tout le monde est vulnérable, mais l’est inégalement. C’est cette approche contextuelle et relationnelle de la vulnérabilité qui est retenue par les sciences sociales pour réfléchir à l’exposition des individus à des risques d’exclusion sociale (Garrau, 2019).
En effet, à partir des années 1980, les crises économiques et sociales ont poussé à une réflexion politique sur les risques liés à la pauvreté et la marginalisation (Brodiez-Dolino, 2016). La vulnérabilité, alors mobilisée dans le domaine des catastrophes naturelles et des problèmes environnementaux, se retrouve au coeur d’une nouvelle question sociale. Les terminologies pour caractériser des formes de détresse sociale – comme les notions d’exclusion, de désaffiliation, ou de disqualification – dépassent la seule dimension économique de la pauvreté pour s’intéresser à l’expérience pluridimensionnelle des difficultés (santé, logement, emploi, relations sociales, etc.). Selon Robert Castel, dès les années 1970, dans une époque marquée par des transformations des modalités d’intégration et de protection sociale, et notamment le recul des protections, la vulnérabilité permet de désigner une « zone intermédiaire » où se conjuguent la précarité de l’emploi et des relations sociales instables et fragiles (Castel, 1995). Dans cette zone, les individus manquent de ressources individuelles et collectives pour faire face aux difficultés et répondre aux attentes de la société. Pour Claire Lévy-Vroelant et al., la vulnérabilité se révèle lorsque se rencontrent des fragilités, des ressources variables, et un environnement social et institutionnel spécifique (Lévy-Vroelant et al., 2015).
La notion a été critiquée par des sociologues car susceptible de stigmatiser des groupes désignés comme « vulnérables » (Thomas, 2010), en leur attribuant l’étiquette d’une fragilité intrinsèque qui serait fixe, et qui dessinerait une frontière permanente avec d’autres groupes (ceux qui ne seraient pas vulnérables). Dans la même idée, des travaux viennent pointer les risques d’une qualification de vulnérable qui participerait à distinguer les « fragiles » des « autres » (les « forts ») et, de fait, à ne pas les considérer comme des acteurs de leur vie. Enfin, penser la vulnérabilité comme une caractéristique individuelle pourrait conduire à mettre de côté l’importance du contexte, et par conséquent à faire porter aux personnes vulnérables la responsabilité de leur situation.
Encadré
La vulnérabilité dans les institutions internationales
À l’échelle internationale, cette notion de vulnérabilité se décline de plusieurs manières. L’ONU s’en est emparée depuis les années 1990 pour désigner certains groupes nécessitant une protection, comme des communautés exposées aux catastrophes naturelles ou des migrants. La Convention d’Istanbul de 2011 insiste sur la vulnérabilité particulière des femmes, dans leur exposition à des violences liées au genre. Au niveau de l’Union européenne, la vulnérabilité est devenue une catégorie servant à réfléchir à la protection de groupes défavorisés ou exposés à des discriminations, comme pour la minorité rom, et à orienter l’actions des États membres, dans le cas du droit d’asile par exemple. La vulnérabilité influence aussi la construction de la catégorie des « jeunes ayant le moins d’opportunité » (JAMO), qui est utilisée par les institutions européennes depuis le début des années 2000 pour désigner des jeunes désavantagés par rapport à leurs pairs, que ce soit en raison d’obstacles sociaux, financiers, géographiques, culturels ou de santé.
En France, la notion de vulnérabilité sert à déterminer une catégorie d’action publique dans les domaines sociaux et sanitaires. Le succès du terme s’explique par la récurrence et la multiplication des contextes d’incertitude, et par la capacité de ce vocabulaire à requalifier des phénomènes déjà repérés.
Cette notion intervient pour dessiner le périmètre de certaines politiques (médico-)sociales, en justification d’une protection spécifique ou prioritaire proposée à certaines personnes : par exemple dans l’hébergement d’urgence, la mise à l’abri des femmes enceintes, des enfants en bas âge ou des personnes malades. Ce découpage des publics prioritaires s’appuie en partie sur la reconnaissance de la vulnérabilité dans le droit pénal, définie à partir d’une faiblesse physique supposée ou une incapacité à consentir, et visant différents segments de la population selon l’âge, le sexe, ou la maladie. Pour identifier les publics cibles des dispositifs agissant pour protéger les personnes vulnérables, une analyse des « facteurs de vulnérabilité » se développe : par exemple, le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie propose de retenir certains facteurs, comme la pauvreté monétaire, le handicap, l’isolement social, la précarité professionnelle, le mal-logement ou la relégation territoriale (CREDOC 2019).
La notion de vulnérabilité en ce qui concerne les jeunes peut s’entendre de multiples façons, y compris pour comprendre leur vulnérabilité par rapport à d’autres groupes d’âge, mais aussi au sein du groupe des jeunes, puisque la catégorie « jeunes » ne renvoie pas à un groupe social homogène.
La jeunesse est définie comme une phase au cours laquelle chacun entre progressivement dans l’âge adulte, caractérisé par certaines attentes en matière d’autonomie financière ou résidentielle, et trouve sa place dans la société. La jeunesse est ainsi une période présentant des risques de vulnérabilité en raison du caractère transitoire du passage à l’âge adulte, marqué par une exposition plus forte à l’incertitude quant à l’avenir. Par conséquent, l’intégration « réussie » des jeunes est un enjeu social majeur, et la jeunesse occupe de ce fait une position particulière dans les discussions sur l’exclusion sociale (Muniglia et al., 2012).
L’analyse des données sur la jeunesse donne à voir une distribution inégale des facteurs de vulnérabilité selon les groupes d’âge. En effet, les 18-25 ans, voire les 18-30 ans, sont plus exposés aux transformations du marché de l’emploi, notamment au chômage et aux emplois précaires. Selon l’INSEE, en 2022, le taux de chômage des 15-24 ans était de 17,3 %, contre 6,6 % chez les 25-49 ans et 5,2 % chez les 50 ans ou plus. Les données sur le taux de pauvreté confirment cette vulnérabilité d’une partie de la jeunesse : en 2019, 19 % des 18-29 ans avaient un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté1, contre 12,5 % des 30-39 ans, et 8,9 % des 65-74 ans.
Mais cela ne doit pas faire oublier les facteurs qui contribuent aux inégalités entre jeunes du même âge, notamment l’échec scolaire ou la relégation dans un territoire marginalisé (Becquet, 2012), qui viennent provoquer des vulnérabilités plus fortes chez certains jeunes. Les jeunes en situation de rupture familiale, comme ceux pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE), ou les jeunes en situation de handicap, sont également plus exposés à des ruptures de parcours et aux difficultés d’accès à l’enseignement et à l’emploi.
La faible qualification est déterminante pour comprendre les difficultés de certains jeunes, puisque 41 % des non diplômés sont au chômage entre un et quatre ans après leur sortie du système scolaire ( chiffres INSEE 2022). Toutefois, le diplôme n’est pas le seul facteur de vulnérabilité face à l’emploi : il faut aussi prendre en considération les effets de discriminations, liées au sexisme, au racisme ou à d’autres traitements inégaux. Parmi les jeunes ayant terminé leur formation initiale en 2017, et questionnés en 2020, les jeunes femmes et les résidents de quartiers prioritaires de la politique de la ville font davantage part d’un sentiment de discrimination face à l’emploi (17 % et 20 % respectivement, contre 14,5 % en moyenne, dans l’enquête Génération du CEREQ). La même enquête révèle les inégalités de genre qui marquent le début de vie active : toutes choses égales par ailleurs, les jeunes femmes ont moins de chance que les jeunes hommes d’être en emploi « stable » et plus de chance d’être en emploi peu qualifié (Di Paola, Epiphane, 2023).
Si lutter contre la vulnérabilité des jeunes est un axe des politiques publiques depuis le début des années 2000, de nombreux dispositifs ont mobilisé d’autres catégories, parfois plus connues du grand public, comme celle des « jeunes en difficulté » ou des jeunes « ni en études, ni en emploi, ni en formation » (NEET). Toutefois, la vulnérabilité a trouvé sa place aux côtés de ces autres terminologies, dont elle recoupe les enjeux, puisqu’elle est mobilisée pour évoquer de manière générale l’ensemble des difficultés d’insertion sociale et professionnelle des jeunes, et justifier la nécessité d’intervention de l’action publique.
Dans les dispositifs mis en oeuvre pour accompagner l’insertion des jeunes, la prise en charge varie principalement selon la position des jeunes vis-à-vis de l’emploi (Muniglia et al., 2012). C’est pourquoi certains groupes de jeunes sont désignés comme plus vulnérables, et davantage ciblés par des politiques publiques pour proposer un accompagnement, comme les jeunes de l’ASE, ceux suivis par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), ou les jeunes dits « éloignés de l’emploi ». Parmi les dispositifs récents, on peut citer la Garantie jeunes, créée en 2013, qui visait en particulier à accompagner l’insertion de jeunes « NEET » identifiés comme étant en situation de vulnérabilité économique et sociale (Couronné, Sarfati 2018). Ce dispositif a été récemment remplacé en mars 2022 par le contrat engagement jeune (CEJ), qui ne cible plus explicitement les jeunes vulnérables, mais qui mobilise la catégorie de « jeunes en rupture » pour souligner le besoin d’accompagnement spécifique de jeunes sans revenus et éloignés de l’emploi, cumulant aussi des difficultés familiales, et/ou dans les domaines de la santé et du logement.
Cette volonté d’agir par les politiques publiques pour cadrer et réduire la vulnérabilité des jeunes s’est renforcée depuis une vingtaine d’années, mais elle se heurte à la multiplication (on parle de « millefeuille des dispositifs ») et à une fragmentation des dispositifs qui deviennent peu lisibles et se retrouvent ainsi générateurs d’instabilité, voire de ruptures, dans les parcours d’insertion (Loncle, Chevalier, 2021).
1. Ce taux est fixé à 60 % du niveau de vie médian, ce qui revient à vivre avec moins de 1102 euros par mois pour une personne seule en 2019.
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