La diversité des approches qui peuvent être employées pour définir l’engagement des jeunes contribue à entretenir un certain flou sémantique. Qu’il s’agisse de qualifier une démarche personnelle en faveur d’une cause (« s’engager pour ») ou une contrainte formelle (« s’engager à »), le recours à la notion d’engagement se fait souvent de manière imprécise. L’objectif est ici d’apporter quelques éléments d’éclairage sur la notion afin de mieux saisir les différentes dimensions qui s’expriment dans l’engagement des jeunes et la manière dont les politiques publiques de soutien à l’engagement s’en emparent.
La diversité des approches qui peuvent être employées pour définir l’engagement des jeunes contribue à entretenir un certain flou sémantique. Qu’il s’agisse de qualifier une démarche personnelle en faveur d’une cause (« s’engager pour ») ou une contrainte formelle (« s’engager à »), le recours à la notion d’engagement se fait souvent de manière imprécise. L’objectif est ici d’apporter quelques éléments d’éclairage sur la notion afin de mieux saisir les différentes dimensions qui s’expriment dans l’engagement des jeunes et la manière dont les politiques publiques de soutien à l’engagement s’en emparent.
La notion d’engagement se trouve saturée de sens et de contresens, entretenant non seulement des confusions dans la délimitation sémantique du terme, mais aussi dans le degré d’intensité entre ce qui relève d’une simple mobilisation ponctuelle pouvant survenir en réaction à un évènement particulier (attentat, crise sanitaire, évènement climatique, etc.) et ce qui est lié à une participation pérenne sur une plus longue période et pour une cause particulière. Cette imprécision nécessite de revenir sur les délimitations pouvant être apportées par les dictionnaires généralistes, notamment le Grand Robert de la langue française qui définit l’engagement par « l’action de mettre quelque chose en gage » et comme « l’action de lier quelqu’un, de se lier par une promesse ou une convention ». Dans cette définition subsiste ainsi une certaine ambiguïté entre démarche personnelle et contrainte contractuelle en lien avec les obligations morales et/ou formelles que ce type d’action peut impliquer.
La langue anglaise apparaît en revanche plus précise en employant différents termes pour distinguer libre choix d’une part et contrainte d’autre part. Alors que le terme anglais engagement exprime l’idée d’une obligation imposée de l’extérieur, la notion d’involvement, que l’on retrouve plus fréquemment dans la traduction anglaise, fait plus directement référence à l’implication citoyenne, et renvoie à un acte délibéré. La notion intermédiaire de commitment, reprise également dans certaines traductions, sous-entend davantage l’expression d’une promesse (« s’engager à ») qui n’est pas attachée à une force extérieure, mais qui se définit bien plus comme une ligne d’action cohérente se fondant sur un ensemble d’intérêts, de valeurs ou de normes auxquels doit souscrire celui ou celle qui s’engage.
La langue française englobant dans un même terme l’ensemble de ces nuances, une lecture ambiguë peut être entretenue entre un engagement conventionnel lié notamment à la loyauté, la fidélité, voire la déférence à l’égard des organisations à travers lesquelles l’engagement se matérialise et se déploie, et un engagement plus autonome, éventuellement réversible, non linéaire et moins contraignant. Au-delà des différences sémantiques, ces variations correspondent aussi à des évolutions sociohistoriques avec des générations récentes marquées par un engagement plus volatil et affranchi de toute affiliation à un groupe d’appartenance, à l’inverse des générations plus anciennes dont l’engagement « affilié » était marqué par l’appartenance à un groupe et à son référent idéologique et politique (Ion, 2012).
Du fait de la forte charge symbolique que représente la participation électorale dans les démocraties représentatives, le niveau d’abstention est utilisé à chaque échéance comme outil de mesure du niveau d’engagement citoyen des jeunes (Lardeux, Tiberj, 2022). Par extension, les formes de participation conventionnelle, par exemple dans un parti ou un syndicat, restent souvent perçues comme des marqueurs centraux de l’engagement citoyen, sans tenir compte d’autres formes d’engagement, notamment associatif ou au sein de mouvements parfois plus alternatifs ou protestataires. Par effet mécanique, lorsque le niveau d’abstention atteint des niveaux inégalés, il agit alors comme miroir grossissant et déformant d’un engagement qui serait en perte de vitesse.
Selon l’Enquête européenne sur les valeurs (EVS), alors que la part d’« électeurs »1 croît proportionnellement avec l’âge, la part des « protestataires » qui déclarent une participation électorale intermittente en même temps qu’une participation à des actions protestataires (marches, pétitions, boycotts, grèves) se trouve significativement plus importante parmi les nouvelles générations et les générations intermédiaires (Tiberj, 2021). Une absence d’investissement régulier dans les lieux traditionnels de la politique, l’isoloir en tête, peut ainsi coexister avec un intérêt général pour des causes collectives via des cadres de mobilisation plus souples (des « collectifs » fonctionnant sur des organisations horizontales plutôt que des associations plus traditionnelles adoptant des modes de fonctionnement plus hiérarchisés par exemple). Les causes défendues se tournent également davantage vers des questions qui touchent plus directement le quotidien des jeunes (climat, LGBT+, discrimination, justice sociale notamment). Mais tous et toutes ne sont pas engagés. L’enquête EVS révèle une part de « non-participants » (ni protestataires ni électeurs) plus conséquente parmi les 18-29 ans que pour les autres tranches d’âge.
Des clivages liés notamment au niveau de diplôme montrent qu’il existe une forte corrélation entre la formation initiale et la propension de certains jeunes à participer à différents types d’engagement, qu’ils soient militants, politiques ou encore associatifs. D’après le baromètre DJEPVA sur la jeunesse 2024, 32 % des 25-30 ans2 ayant un diplôme du supérieur déclarent donner de leur temps bénévolement de manière régulière, contre 24 % des titulaires du bac ou d’un diplôme inférieur au bac. De même, 80 % des 18-35 ans titulaires d’un diplôme supérieur à bac+2 déclarent avoir voté aux deux tours de l’élection présidentielle de 2022, contre seulement 60 % de ceux ayant un diplôme inférieur au bac (Lardeux, Tiberj, 2022).
L’engagement peut aussi être abordé à partir d’un ensemble de mesures et dispositifs (service national universel, service civique, « démocratie scolaire », reconnaissance de l’engagement étudiant notamment) mobilisés par les politiques publiques en vue, selon les termes généralement employés, d’« accompagner », « stimuler », « encourager », « favoriser » l’engagement des jeunes. Dans les travaux de recherche entrepris pour analyser les objectifs explicites et implicites des politiques de soutien à l’engagement, le terme y est alors très souvent associé à la notion de citoyenneté (Becquet et al., 2012). Les dispositifs de soutien à l’engagement des jeunes se donnent ainsi pour objectif de soutenir leur intégration politique en vue de consolider la cohésion nationale. Celle-ci ne saurait exister, selon les initiateurs des dispositifs d’engagement, sans la formation, puis la contribution des « jeunes générations ». Cette perspective soulève des réflexions dans le débat public sur l’équilibre à trouver entre démarche volontaire d’une part et encadrement/accompagnement institutionnel d’autre part (Muxel, 2012). Au-delà de favoriser l’exercice de la citoyenneté, certains dispositifs se donnent par ailleurs pour objectif de favoriser l’insertion professionnelle des jeunes à travers les actes de rétribution de l’engagement, notamment étudiant (Testi, 2021). Ces initiatives soulèvent d’autres réflexions sur la place de la rétribution/valorisation dans l’engagement et des points d’articulation ou d’opposition pouvant apparaître entre action désintéressée d’une part et recherche de profits individuels d’autre part.
Ces différentes dimensions de l’engagement, qu’il s’agisse des politiques publiques pour l’accompagner, le favoriser ou le réguler, ou des pratiques à travers lesquelles il s’exprime, ne sont pas cloisonnées, mais apparaissent au contraire fortement articulées entre elles. Tout le sens des travaux menés sur les questions d’engagement vise justement à saisir ces points d’articulation entre ces deux dimensions (individuelle et institutionnelle) et à saisir leurs évolutions dans le temps, et selon les territoires :
– Du niveau individuel vers le niveau institutionnel, en explorant comment certaines pratiques d’engagement des jeunes, pouvant apparaître « par le bas », participent à transformer par la suite des cadres plus institués du rapport des citoyens aux institutions. L’enjeu est également de voir dans quelle mesure les jeunes citoyens et citoyennes peuvent, par leurs pratiques d’engagement, contribuer à modifier le champ des valeurs comme cela a pu être observé au cours des évènements de mai 1968 par exemple (Bantigny, 2018), ou encore de manière plus récente dans le champ de l’activisme en faveur du climat et dans l’influence de certaines organisations de jeunesse sur le cours de la Conference of Youth (COY) réunie en parallèle de la COP 21 (Lardeux, 2023).
– Du niveau institutionnel vers le niveau individuel, en saisissant les effets de certains dispositifs de soutien à l’engagement sur les pratiques effectives des jeunes. L’attention se porte plus spécifiquement ici sur la façon dont certaines mesures entreprises peuvent avoir des effets désirés et d’autres plus imprévisibles ou implicites. Concernant par exemple le service civique, face aux objectifs d’accessibilité plus élargie du dispositif, l’exploitation des données de l’Agence du service civique par l’INJEP (Venet, 2024) a ainsi permis d’observer une plus forte hétérogénéité des profils de volontaires au fil des années : en 2023, au moment de leur entrée en service civique, 29 % des volontaires n’ont pas le baccalauréat, 41 % ont un baccalauréat comme plus haut diplôme, et 30 % sont diplômés du supérieur.
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