Dans quelle mesure les séjours à l’étranger pendant les études favorisent- ils l’employabilité et l’insertion des jeunes sur le marché du travail ? L’exploitation de données nouvelles issues de l’enquête « Génération 2013 » fait apparaître que les différences entre jeunes dans l’accès à la mobilité se doublent de disparités dans la valorisation de celle-ci au sein des parcours professionnels. Les jeunes d’origine modeste et les moins qualifiés pâtissent de cette situation. La mobilité internationale semble en effet surtout influer sur la qualité des emplois obtenus : les jeunes ayant effectué un séjour d’études long et diplômant ou des stages certifiants, qui sont généralement issus de milieux plus favorisés, accèdent plus facilement que les autres aux emplois de cadre, et à un meilleur salaire.
Dans quelle mesure les séjours à l’étranger pendant les études favorisent-ils l’employabilité et l’insertion des jeunes sur le marché du travail ? L’exploitation de données nouvelles issues de l’enquête « Génération 2013 » fait apparaître que les différences entre jeunes dans l’accès à la mobilité se doublent de disparités dans la valorisation de celle-ci au sein des parcours professionnels. Les jeunes d’origine modeste et les moins qualifiés pâtissent de cette situation. La mobilité internationale semble en effet surtout influer sur la qualité des emplois obtenus : les jeunes ayant effectué un séjour d’études long et diplômant ou des stages certifiants, qui sont généralement issus de milieux plus favorisés, accèdent plus facilement que les autres aux emplois de cadre, et à un meilleur salaire.
L’étude de l’enquête « Génération 2013 » [encadré « Comprendre »], réalisée par le Centre d’études et de recherche sur les qualifications (CÉREQ) et financée par l’INJEP, montre que certaines expériences à l’étranger ont des effets positifs sur l’accès aux emplois de cadre et sur le niveau des salaires. Les jeunes qui visent l’acquisition d’un diplôme ou d’une certification, notamment scientifiques, tirent particulièrement profit de ces expériences en dehors des frontières nationales. En revanche, elle amène à questionner la plus-value de ces séjours en ce qui concerne l’insertion socioprofessionnelle des jeunes les plus modestes et les moins diplômés. Non seulement ces derniers partent moins souvent que les autres, mais lorsqu’ils partent, leurs séjours semblent avoir eu moins d’effets sur leur insertion professionnelle trois ans après leur entrée sur le marché du travail que les jeunes mieux dotés. Des résultats qui conduisent à interroger les politiques nationales et européennes ainsi que la valorisation de ces expériences à l’étranger en cours d’études pour les plus défavorisés.
Inégalités sociales d’accès à la mobilité
Au sein de la « Génération 2013 », 324 000 jeunes, soit 47 % de la cohorte tous niveaux de diplômes confondus, déclarent avoir effectué au moins un séjour à l’étranger, dans et hors du cadre de leurs études, durant leur formation initiale, et 34 % affirment même en avoir effectué plusieurs. Parmi les jeunes partis à l’étranger pendant leur scolarité, 34 % ont réalisé au moins un séjour dans le cadre d’un stage encadré par une convention ou d’une période d’études dans un établissement de formation. Seules les caractéristiques du séjour le plus long réalisé pour une période d’études ou de stage sont prises en compte lorsque l’individu a vécu plusieurs fois ce type d’expérience pendant ses études.
COMPRENDRE
Données issues de l’enquête « Génération 2013 »
Les résultats de cette publication sont issus de l’exploitation des données de l’enquête « Génération 2013 ». Cette dernière a été menée auprès d’un échantillon de 19 500 jeunes représentatif des 693 000 jeunes sortis pour la première fois du système éducatif en 2013 en France (Métropole et DOM), interrogés trois ans après leur sortie du système éducatif entre avril et juillet 2016. Seuls les jeunes résidant en France au moment de l’interrogation sont pris en compte par l’enquête. Les jeunes sont interrogés notamment sur leur parcours scolaire ainsi que sur leur situation mensuelle d’activité pendant les trois années qui ont suivi la fin de leurs études. Le module spécifique sur les mobilités à l’étranger en cours d’études dans le questionnaire de l’enquête « Génération 2013 » a été cofinancé par l’agence Erasmus + France et la sous-direction des systèmes d’information et des études statistiques (SIES) de la direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (DGESIP), ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.
L’Union européenne apparaît comme la principale destination des jeunes de la « Génération 2013 » partis à l’étranger pour des études ou un stage (67 %), notamment le Royaume-Uni (21 %), l’Espagne (13 %) et l’Allemagne (9 %), suivie par l’Amérique qui représente 17 % des séjours. Ces expériences de mobilité sont par ailleurs plus ou moins longues : 27 % durent moins d’un mois et 34 % plus de six mois. Partir à l’étranger pendant ses études demeure toutefois surtout réservé à une élite étudiante (Erlich 2012). Élément constitutif du processus de professionnalisation de certaines formations de l’enseignement supérieur, ces séjours pour une période d’études ou de stage concernent plutôt les jeunes les plus diplômés du système éducatif. Les non-diplômés, c’est-à-dire les jeunes sans diplôme ou ayant uniquement le brevet des collèges, et les diplômés de CAP-BEP sont les moins nombreux à avoir effectué des séjours à l’étranger pendant leur scolarité pour leurs études ou un stage (respectivement 3 % et 4 %). À l’inverse, les plus concernés (environ 70 % d’entre eux) sont les ingénieurs et les diplômés d’école de commerce, pour lesquels la mobilité internationale est partie intégrante du cursus.
Tous les jeunes n’ont ainsi pas la possibilité de partir à l’étranger pendant leurs études. La mobilité transnationale demande des conditions matérielles favorables, une acculturation au déplacement, au voyage et un investissement familial pour favoriser le départ à l’étranger. L’ensemble de ces dimensions sont regroupées sous le terme de « capital de mobilité » (Murphy-Lejeune 2003), qui se construit pendant la jeunesse et qui est lié aux caractéristiques sociodémographiques des jeunes. Autrement dit, le niveau d’études, les effets de genre, le poids des origines sociales (c’est-à-dire l’origine géographique, les qualifications ou la situation des parents sur le marché du travail) ont une incidence forte sur les probabilités qu’ont ces jeunes de partir ou non à l’étranger pendant les études [tableau 1]. Les jeunes issus des milieux favorisés, définis dans le cadre de cette étude comme ceux dont au moins un des parents est cadre, partent plus souvent à l’étranger (70 % contre 42 % des jeunes d’origine populaire). La possibilité pour les jeunes d’avoir un soutien matériel et financier de leur famille est donc déterminante dans le processus de mobilité. Par ailleurs, les jeunes dont les parents sont issus de l’immigration ont également plus de chances de partir à l’étranger que les autres, mais ils ont moins la possibilité de partir dans le cadre d’un séjour d’études ou de stage. Pour eux, la mobilité transnationale est davantage liée à un retour dans leur pays d’origine, qui s’effectue, par exemple, pendant les vacances, qu’à une expérience inscrite dans le parcours scolaire. Enfin, le niveau d’études des parents est déterminant sur la probabilité de partir à l’étranger pendant les études. Un tiers des jeunes dont les deux parents sont diplômés de l’enseignement supérieur sont partis à l’étranger dans le cadre d’études ou de stages. En revanche, ils ne représentent que 10 % des jeunes dont les parents ne sont pas diplômés de l’enseignement supérieur. Le fait que les parents soient sensibles à l’intérêt de ces mobilités accroît les chances de partir à l’étranger pendant les études.
Des séjours différemment valorisables selon les publics
Les expériences à l’étranger sont multiformes et ne sont pas toutes aussi valorisables sur le marché du travail, même parmi les séjours effectués uniquement dans le cadre d’un stage encadré par une convention ou d’une période d’études dans un établissement de formation. Ainsi, tous les types de séjours à l’étranger ne concernent pas les mêmes publics et diffèrent selon l’origine sociale.
Les jeunes d’origines sociales les plus modestes et dont les parents sont le moins souvent diplômés du supérieur, partant déjà moins souvent à l’étranger, effectuent par ailleurs des séjours moins valorisables sur le marché du travail. En effet, ils durent moins longtemps et aboutissent moins souvent à l’obtention d’une certification (diplôme, certificat de stage…) permettant aux jeunes de mettre en valeur leur expérience à l’étranger auprès des recruteurs [tableau 2]. Par exemple, parmi les jeunes dont au moins un parent est cadre, 70 % des séjours pour études ou stages sont certifiants, contre seulement 45 % des jeunes d’origine populaire. Ces séjours préparent également moins souvent que les autres à des diplômes de niveau supérieur.
Les aides financières à la mobilité internationale sont également inégalement réparties entre les jeunes. Ainsi, les jeunes d’origines modestes, qui partent moins souvent que les autres à l’étranger, bénéficient moins souvent d’aides financières en dehors de leur famille (indemnité de stage, bourses…) lorsqu’ils partent à l’étranger dans le cadre de leurs études (période en établissement de formation ou stage). Ainsi, 51 % des jeunes dont au moins un parent est cadre sont concernés, contre 43 % des jeunes dont les deux parents sont ouvriers ou employés. Les incitations à partir à l’étranger des politiques nationales et européennes, telles que les bourses, n’arrivent donc pas à gommer les inégalités en termes d’origines sociodémographiques.
Afin d’appréhender au mieux l’effet des expériences à l’étranger sur l’insertion professionnelle, six types de séjours peuvent être distingués en fonction de leurs quatre caractéristiques principales [graphique] : le motif du séjour (stage ou études), sa durée (plus ou moins de trois mois), l’obtention d’une certification (diplôme français ou étranger, crédits ECTS ou certificat de stage) et la présence d’un financement (indemnité de stage ou bourses).
Les jeunes d’origines modestes sont sous-représentés dans les deux catégories de séjours d’études longs et diplômants, et leur proportion est la plus élevée dans les séjours d’études courts et/ou non diplômants.
Effets sur les conditions d’emploi et non sur l’insertion professionnelle
La plus-value des expériences à l’étranger sur l’insertion professionnelle est souvent questionnée et les études sur le sujet concluent à un effet limité [1]. Les estimations économétriques réalisées à partir de l’enquête « Génération 2013 » vont dans ce sens : les jeunes qui sont partis à l’étranger dans le cadre d’études ou de stages ne semblent pas avoir plus de chances d’être en emploi ou employés en contrat à durée indéterminée [EDI : emploi à durée indéterminée – CDI, fonctionnaires, travailleurs indépendants, ndlr] que les autres, à niveau de diplôme, sexe, lieu de résidence et origine sociale semblable, et ce quel que soit le type de séjour considéré [tableau 3].
Cependant, des effets existent notamment sur les conditions d’emploi. Ainsi, les jeunes partis dans le cadre d’un séjour d’études long diplômant financé ou d’un stage financé ont significativement plus de chances d’accéder à un emploi de cadre trois années après leur sortie du système éducatif que ceux qui ne sont pas partis. C’est sur l’accès à ces positions les plus élevées sur le marché du travail que la plus-value est la plus importante. Plusieurs types de séjours permettent d’obtenir un gain salarial trois années après la sortie du système éducatif. Cependant le rendement est faible, inférieur ou égal à 5 %. Les effets des séjours à l’étranger sur l’insertion professionnelle après trois années de vie active sont donc faibles et concernent les expériences les plus valorisantes, celles où les jeunes issus des milieux les plus défavorisés sont relativement absents.
Le gain des séjours à l’étranger pendant les études ne se résume pas aux seuls effets sur l’insertion professionnelle des jeunes en début de vie active. Leur bénéfice s’exprime notamment par l’acquisition de compétences multiculturelles ou linguistiques (Schomburg et Teichler 2008). D’autres aspects plus subjectifs sont mis en avant par les jeunes issus de la « Génération 2013 » qui sont partis à l’étranger pendant leurs études. Ainsi, les jeunes ayant effectué des séjours d’études courts et/ou non diplômants sont ceux qui déclarent le moins souvent que leur séjour a été bénéfique pour trouver un emploi à la fin de leurs études (moins de 40 % contre plus de 60 % pour les autres séjours). On retrouve à nouveau avec ces éléments subjectifs le résultat obtenu précédemment : les jeunes d’origines sociales les plus modestes sont plus concernés par des séjours dont les bénéfices sur l’insertion professionnelle sont limités. Au final, ces jeunes pâtissent d’un triple effet cumulatif : ils partent moins souvent à l’étranger et, lorsqu’ils partent, ils reçoivent moins souvent une aide financière et leurs séjours sont moins valorisables sur le marché du travail.
Sources bibliographiques
• [1] Havet N., « Mobilité internationale des étudiants du supérieur et débuts de vie active », Revue Française d’économie, 2017
• Parey M., Waldinger F., « Studying Abroad and the Effect on International Labor Market Mobility : Evidence from the Introduction of ERASMUS », IZA Discussion Papers, 3430, Institute for the Study of Labor (IZA), 2008
• Erlich V., Les mobilités étudiantes, La Documentation Française, 2012
• Murphy-Lejeune E., L’étudiant européen voyageur, un nouvel étranger, Didier, Paris, 2003
• Schomburg H. et Teichler U., « Mobilité internationale des étudiants et débuts de vie active », Formation Emploi, n° 103, p. 41-55, 2008