Les jeunes de 16 à 30 ans hébergés en foyer de jeunes travailleurs sont le plus souvent en emploi ou en formation, et majoritairement de jeunes hommes, issus de cursus scolaires courts et professionnels, âgés d’une vingtaine d’années. Ils sont souvent issus des classes populaires et disposent de ressources économiques modestes. Cependant, au-delà de ce portrait-type, deux profils peuvent être distingués, ceux inscrits dans des situations socio-économiques très précaires et d’autres relevant de situations plus stabilisées. Pour les premiers, l’hébergement et l’accompagnement en foyer représentent la prise en charge d’une situation d’« urgence sociale ». Pour les seconds, c’est un « coup de pouce » afin d’accéder à un hébergement et à un emploi à la hauteur de leurs attentes et de leur diplôme.
ENTRE « URGENCE SOCIALE » ET « COUP DE POUCE »
Les jeunes de 16 à 30 ans hébergés en foyer de jeunes travailleurs sont le plus souvent en emploi ou en formation, et majoritairement de jeunes hommes, issus de cursus scolaires courts et professionnels, âgés d’une vingtaine d’années. Ils sont souvent issus des classes populaires et disposent de ressources économiques modestes. Cependant, au-delà de ce portrait-type, deux profils peuvent être distingués, ceux inscrits dans des situations socio-économiques très précaires et d’autres relevant de situations plus stabilisées. Pour les premiers, l’hébergement et l’accompagnement en foyer représentent la prise en charge d’une situation d’« urgence sociale ». Pour les seconds, c’est un « coup de pouce » afin d’accéder à un hébergement et à un emploi à la hauteur de leurs attentes et de leur diplôme.
En France, l’Union nationale pour l’habitat des jeunes (UNHAJ) propose à des jeunes âgés de 16 à 30 ans 45 000 logements situés pour la plupart au sein de foyers de jeunes travailleurs (FJT). Les FJT sont des structures qui fournissent un hébergement temporaire ainsi qu’un accompagnement socio-éducatif à des jeunes ayant une activité professionnelle ou étant en voie d’insertion sociale et professionnelle [encadré « Comprendre »,]. L’un des enjeux importants portés par ces structures consiste à assurer au sein des établissements la « mixité » des publics et un « brassage social ». Au-delà de ce principe, qu’en est-il dans la réalité ? L’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP) a mené – en partenariat avec l’UNHAJ – une enquête quantitative et qualitative qui examine le profil des jeunes accueillis au sein des foyers de jeunes travailleurs.
Le principe de mixité et de brassage social, placé au cœur de la philosophie d’intervention des FJT, répond aussi à une injonction émanant des pouvoirs publics. Les professionnels rencontrés ont présenté ce brassage social comme étant un équilibre, parfois difficile à atteindre, entre la volonté d’héberger davantage de jeunes femmes, et celle d’accueillir des profils différents, au-delà des jeunes en emploi (jeunes étudiants ou en formation, ou sans activité). La reconstitution des parcours des jeunes à partir des différentes dimensions biographiques (origine sociale, logement, parcours scolaire, conditions d’emploi, parcours migratoire) permet de questionner cette variété de profils¹.
Comprendre
Organisation et fonctionnement des foyers de jeunes travailleurs
Depuis une quinzaine d’années, l’UNHAJ s’emploie à développer la notion d’« habitat jeunes », plus large que celle de « logement » ou de « foyer », qui englobe « l’ensemble des fonctions de la quotidienneté » comme « se loger », « être en emploi ou en formation », « se nourrir », « se reposer », « accéder aux loisirs » (UNHAJ, 2018). Cette enquête se concentre uniquement sur les FJT adhérents à l’Union et à son projet.
Juridiquement, les FJT sont à la fois des établissements et services sociaux et médicosociaux et des résidences sociales. Ils représentent, avec les logements du centre régional des œuvres universitaires et scolaires (CROUS, 2017), la seule offre de logement social spécifiquement destinée aux jeunes. Ces structures leur proposent une solution de logement meublé temporaire et un accompagnement socio-éducatif (le plus souvent pour une durée maximale de deux ans). Elles offrent plusieurs types de logements, « en résidence » (qui comprend des logements individuels et des espaces collectifs) ou « en diffus » (par exemple des sous-locations dans le parc privé ou public). Les FJT ont trois missions : mettre en place des actions d’accueil, d’information et d’orientation, fournir une aide à la mobilité et à l’accès au logement autonome et enfin soutenir l’insertion sociale et professionnelle des jeunes. Ils se destinent aux jeunes âgés de 16 à 30 ans en activité ou en voie d’insertion sociale et professionnelle. Les FJT ont également la possibilité d’accueillir des étudiants non-salariés, des lycéens et des apprentis, des jeunes relevant de l’aide sociale à l’enfance ou de la protection judiciaire de la jeunesse. Cette définition du public cible recouvre ainsi une grande variété de situations : salariés plus ou moins précaires, jeunes en apprentissage ou en alternance, en formation professionnelle, en stage ou en recherche d’emploi.
Le portrait statistique réalisé [encadré « Méthode »] décrit un public hébergé en FJT comme étant âgé d’une vingtaine d’années et plutôt masculin, les hommes représentant près de 7 jeunes sur 10. Ce public est également issu de cursus scolaires courts et professionnels. 23 % des jeunes avaient un niveau d’étude équivalent ou inférieur à un CAP/BEP lors de leur entrée en FJT. Autre caractéristique, ces jeunes sont majoritairement en emploi ou en formation, avec une présence importante d’apprentis. Leurs ressources économiques modestes, avec en moyenne 774 € mensuels, proviennent avant tout de leurs activités professionnelles. Avant leur entrée en FJT, la moitié des jeunes vivaient chez un membre de leur famille. Le choix de ce type d’habitat se justifie d’abord par des besoins de mobilité liée à la formation ou à l’emploi ainsi que par des raisons matérielles, cette solution d’hébergement constituant un moindre coût au regard du marché immobilier. De plus, les durées de séjour sont souvent courtes : 58 % sont restés en FJT moins de six mois (y.c. séjours de moins d’un mois) et 20 % entre six mois et un an. Les durées plus longues de résidence ne sont cependant pas rares : 22 % des jeunes ont été hébergés pendant un an ou plus. Au-delà de ce portrait général, nous observons une diversité de profils. Les jeunes en formation et en emploi, notamment les plus diplômés et les travailleurs les plus stables, sont originaires de régions lointaines. Ils étaient plus nombreux que les autres à louer un logement avant d’arriver dans la structure. Ils déménagent davantage pour des raisons professionnelles (rapprochement d’une formation ou d’un travail) et restent relativement peu longtemps en FJT : pour eux, il s’agit avant tout d’une solution temporaire pour pouvoir s’installer sur un territoire et/ou pour réaliser un projet scolaire ou professionnel. A contrario, pour les moins diplômés, les travailleurs les plus précaires, les demandeurs d’emploi, les jeunes scolarisés dans le secondaire et les jeunes sans activité, cette solution d’hébergement vient pallier des difficultés plus importantes et durables. Originaires de territoires jouxtant la structure, ils cherchent plus souvent à échapper à la précarité et pour une partie d’entre eux à une grande vulnérabilité (jeunes à la rue ou vivant à l’hôtel, passage par l’Aide sociale à l’enfance, rupture familiale, logement insalubre, etc.). Leurs ressources économiques sont plus restreintes que la moyenne.
Méthode
Cette enquête se compose d’un volet quantitatif et d’un volet qualitatif. L’enquête quantitative a plus spécifiquement porté sur les jeunes qui ont logé au moins une nuit dans une résidence ou un service adhérent de l’Union et utilisant son système d’information (SIHAJ), entre le 1er janvier 2018 et le 31 décembre 2019. Cela représente au total près de 42 000 jeunes pris en charge par 104 structures. Des jeunes des classes populaires des plus précaires aux plus stabilisées
L’enquête qualitative quant à elle s’appuie sur 42 entretiens menés entre juillet 2019 et février 2021 auprès de jeunes hébergés au sein de deux FJT franciliens et des professionnels qui les accompagnent. Les 34 jeunes rencontrés (à deux occasions pour 9 d’entre eux) ont entre 19 et 30 ans. Parmi eux, 19 femmes et 15 hommes, qui sont pour une grande majorité de nationalité étrangère, nés au Maghreb, en Asie centrale, en Afrique de l’Ouest ou centrale.
La démarche qualitative vient confirmer la variété des profils, parmi des jeunes issus toutefois principalement des classes populaires. Ces dernières se caractérisent par trois dimensions : « petitesse du statut professionnel ou social, étroitesse des ressources économiques – sans que cela signifie nécessairement précarité –, éloignement par rapport au capital culturel, et d’abord par rapport à l’école, même s’il ne s’agit aujourd’hui que d’un éloignement relatif » (Schwartz, 2009). Toutefois, ces jeunes sont issus des différentes fractions des classes populaires, des plus précaires aux franges les plus stabilisées, voire, pour certains, des classes moyennes. Cette recherche a identifié plusieurs clivages entre ces fractions.
Le premier concerne la situation professionnelle des parents. De manière générale, ces derniers exercent des métiers moyennement ou faiblement rémunérés. Les deux parents ne sont pas toujours en emploi et apporteurs de ressources financières ; souvent la femme est au foyer ou l’un des deux est en recherche d’emploi. D’autres sont à la retraite et perçoivent de « petites pensions ». Les situations d’emploi du couple parental sont souvent entravées par la séparation, la maladie ou le décès d’un des parents qui contribuent à un basculement pour ces familles dans une condition précaire. En revanche, une petite partie des jeunes relatent avoir des parents propriétaires du logement dans lequel ils vivent ou des parents exerçant des emplois rémunérateurs et stables.
Le second clivage renvoie au rapport à l’école et au niveau de diplôme. Sur les 34 jeunes enquêtés, un peu plus d’un tiers sont sortis du système scolaire sans diplôme ou avec un diplôme de type CAP/BEP. Les jeunes en rupture scolaire racontent leurs difficultés d’apprentissage et leur orientation subie ou déçue, des raisons fréquemment mises en avant dans les travaux portant sur l’échec scolaire. S’ajoutent à ces jeunes pas ou peu diplômés, sept titulaires du baccalauréat général ou professionnel. Ces jeunes sont allés à l’université mais ils ont échoué, éprouvant des difficultés à gérer le temps universitaire et à se mettre au travail de manière autonome (Beaud, 2003). Notre population d’enquête se compose aussi de jeunes titulaires (ou en cours d’obtention) d’un BTS, d’une licence ou d’un master, inscrits au sein d’écoles privées ou d’écoles de commerce. Ces jeunes se considèrent plutôt comme de bons élèves et en réussite. Nous observons ainsi des rapports plus ou moins distanciés à l’institution et à la culture scolaires.
Le troisième clivage se rapporte aux parcours migratoires des enquêtés. Au sein des deux foyers franciliens faisant l’objet de l’enquête qualitative, 22 jeunes sur 34 sont de nationalité étrangère. Parmi ces jeunes migrants, certains ont quitté leur pays natal relativement récemment (pour l’un d’eux à l’âge de 13 ans). Pour les plus dotés socialement et économiquement, cette migration a été effectuée dans le cadre d’un regroupement familial. Ils disposent d’un titre de séjour d’une durée pouvant s’étendre jusqu’à dix ans. Plus généralement, les jeunes arrivés légalement en France sont souvent en contact avec les membres de la famille déjà installés sur le territoire ou des amis de la famille. Ils disposent alors d’un « réseau social migratoire » plus ou moins important (Massey et al., 1993) grâce auquel ils s’insèrent professionnellement par la suite ou disposent de solutions d’hébergement temporaires. En revanche, d’autres, surtout des jeunes hommes, ont traversé les frontières de manière illégale, dans des conditions parfois très dangereuses. Ces voyages illégaux ont un coût économique important au regard de leurs ressources et sont dans la plupart des cas financés par un ou des membres de la famille. Le renouvellement de leur titre de séjour (tous les ans) est source d’inquiétude et représente une épreuve administrative.
Repères
Un difficile accès au logement pour les jeunes
L’offre de logement social spécifique pour les jeunes se concentre essentiellement sur les résidences étudiantes, gérées par les CROUS, et les foyers de jeunes travailleurs. En 2017, les 772 résidences CROUS réparties sur l’ensemble du territoire fournissaient près de 174 000 places (CROUS, 2017). Ce chiffre doit être mis en rapport avec le nombre d’étudiants, et plus particulièrement le nombre d’étudiants boursiers, soit 697 000 pour l’année 2017-2018 (Papagiorgiou, 2019).
Les FJT disposent d’un parc plus réduit. Entre le dernier trimestre 2017 et le premier trimestre 2018, 15 370 demandes de logement ont été déposées auprès de l’Union. Près de quatre demandes sur dix n’ont pas été satisfaites, principalement à cause du manque de places (UNHAJ, 2018).
De plus, les coûts afférents au logement pèsent fortement dans le budget des jeunes. Si pour les 18-34 ans, ce poste représente 19 % de leur budget (hors remboursement de prêts pour l’acquisition d’un bien immobilier), il représente 14 % du budget des 35-64 ans (Portela, 2018). Ils sont également 70 % à estimer que les garanties à apporter au propriétaire ou à l’agence sont le principal obstacle à surmonter pour trouver un logement (Fondation Abbé Pierre, 2013).
Pour les jeunes inscrits dans des situations « précaires », mais aussi pour celles et ceux qui sont dans des situations relativement plus « stabilisées », accéder à un logement autonome relève du parcours du combattant, l’offre immobilière actuelle étant limitée au regard des ressources économiques et sociales dont ils disposent [encadré « Repères »].
Le premier profil regroupe celles et ceux, issus des fractions les plus précaires des classes populaires, dont les parcours sont marqués par la précarité économique et sociale ainsi que par une instabilité résidentielle. En étant hébergés en FJT, ces jeunes sécurisent en partie et momentanément leurs conditions de vie en accédant à un logement « à soi » afin de faire face à une situation d’urgence. Certains éprouvent un vrai soulagement à gagner en autonomie et à échapper à des conflits familiaux à l’origine du départ du domicile des parents ou à mettre fin à un placement en foyer de protection de l’enfance. Ces profils regroupent les jeunes faiblement ou pas diplômés, en rupture familiale, ayant des problèmes de santé et/ou ayant un ou des enfants à charge. Peu d’entre eux disposent du permis de conduire et d’un véhicule, ce qui représente un frein à l’emploi pour celles et ceux habitant dans l’un des deux FJT étudiés, situé au cœur d’une zone industrielle francilienne. Ils exercent des emplois précaires et alternent des périodes de chômage et d’activité. On y retrouve aussi une partie des ex-mineurs non accompagnés, qui ont été pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance jusqu’à leur majorité, et plus rarement jusqu’à l’âge de 21 ans. Ces derniers exercent un emploi précaire, souvent en intérim, dans des conditions de travail qui nécessitent des horaires décalés, des tâches répétitives et mobilisant beaucoup les corps. Leur salaire est aux alentours du SMIC. La relative faiblesse des loyers pratiqués par les FJT leur permet de reverser une partie – plus ou moins importante – de leurs revenus à leur famille restée au pays. Cette « solidarité familiale inversée » (Couronné et al., 2019) – qui caractérise les jeunes issus des classes populaires les plus précaires – est l’un des enjeux de la migration auquel s’ajoute l’espoir d’accéder à de meilleures conditions de vie. Ces ex-mineurs non accompagnés sont présentés par les professionnels comme un « nouveau » public au sein des FJT, un public qui répond aux attentes des institutions (Marmié, 2021) ce qui leur permet d’obtenir le soutien de l’Aide sociale à l’enfance afin d’être orientés en FJT à leur sortie du dispositif de protection de l’enfance (Dietrich-Ragon, 2018). Le second profil concerne des jeunes ayant des conditions sociales plus stabilisées. Pour eux, l’hébergement en FJT représente un « coup de pouce », une aide temporaire pour leur permettre d’accéder à une condition sociale à la hauteur de leurs études et de leurs attentes. Diplômés de l’enseignement supérieur, d’écoles de commerce, d’écoles privées ou toujours en études, ils et elles sont issus des classes populaires les plus dotées, et pour certains des classes moyennes. Cet hébergement s’inscrit dans un projet de vie qui se caractérise par l’accès à un emploi stable ainsi que l’accès à la propriété d’un bien immobilier (en envisageant de contracter un crédit bancaire). Cet habitat leur permet d’exercer un emploi qu’ils considèrent comme une « bonne place » ou de réaliser un apprentissage dans une « grande » entreprise. Le FJT apparaît alors comme un « bon plan », un logement à moindre coût dans un marché immobilier saturé [encadré « Repères »]. Par exemple, l’hébergement en FJT vient apporter un soutien pour sécuriser la situation résidentielle de Claudia. De nationalité étrangère, sans réseau social à Paris, cette jeune femme de 26 ans éprouve des difficultés à se loger dans la capitale car elle est en période d’essai d’une durée de plusieurs mois, une situation socioprofessionnelle qui ne suffit pas pour apporter les garanties nécessaires aux agences immobilières malgré un salaire net mensuel de plus de 2 000 euros.
L’analyse des parcours des jeunes fait donc apparaître une tension au sein des FJT entre prendre en charge des situations d’urgence sociale pour des jeunes très précaires et apporter un « coup de pouce » à des jeunes inscrits dans des situations sociales et économiques plus stabilisées. Cette analyse montre aussi la difficulté pour les jeunes, qu’ils soient diplômés ou pas, de se confronter à une société de « plein chômage » (Maruani, 2001) et à un marché immobilier saturé (Maunaye, 2016). Si les plus stabilisés s’en sortent mieux que les plus précaires, les jeunes rencontrés ont été mis à rude épreuve et ont fait part de leurs nombreuses déceptions à ne pas trouver de logement de manière autonome et/ou à ne pas accéder à la « place » qu’ils souhaiteraient sur le marché de l’emploi. La crise sanitaire qui a débuté en 2020 participe à renforcer ces difficultés en amplifiant les inégalités sociales intra et intergénérationnelles (Amsellem-Mainguy, Lardeux, 2022).
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