Souvent définis seulement par les actes qui les ont menés en prison, les jeunes détenus sont rarement interrogés sur leur vie affective, amoureuse et/ou sexuelle. Cette enquête qualitative originale, menée pendant un an dans cinq prisons pour mineurs en France métropolitaine, montre la diversité des expériences des filles et des garçons incarcérés en matière d’intimité et de gestion de la sexualité, dans et hors les murs.
Souvent définis seulement par les actes qui les ont menés en prison, les jeunes détenus sont rarement interrogés sur leur vie affective, amoureuse et/ou sexuelle. Cette enquête qualitative originale, menée pendant un an dans cinq prisons pour mineurs en France métropolitaine, montre la diversité des expériences des filles et des garçons incarcérés en matière d’intimité et de gestion de la sexualité, dans et hors les murs. Elle souligne une grande proximité des parcours sexuels et affectifs de ces jeunes avec les « autres jeunes » de leur génération et de leur milieu social, bien que la détention produise des effets singuliers sur leurs parcours.
Chaque année, les tribunaux pour enfants incarcèrent de nombreux jeunes de 13 à 18 ans, le plus souvent des garçons (cf. encadré), de classe populaire, prévenus (en attente de jugement) ou condamnés pour des raisons diverses : vols, violences, agressions sexuelles ou viols 1. Nous nous intéressons à ces jeunes non sous un aspect pénal ou éducatif, mais à partir de la question de la sexualité, au sens large. Il s’agit dans cette enquête de comprendre quel est le rapport de ces jeunes à la vie affective et sexuelle dans une période marquée par le processus d’entrée dans la sexualité, voire par la conjugalité ou encore la parentalité (Amsellem-Mainguy, Coquard, Vuattoux, 2017). Étudier les jeunes détenus sous cet angle contribue à mieux les situer dans leur génération, en interrogeant leurs expériences de la sexualité (« premières fois », pratiques préventives et contraceptives, événements de santé liés à la sexualité, etc.) ainsi que leurs représentations (stéréotypes de genre, attentes vis-à-vis de la sexualité, types de liens affectifs, etc.). La sexualité est une manière de saisir le contexte social et politique dans lequel vivent les jeunes. De plus, elle renseigne sur leur rapport à l’intimité et aux institutions (comment, quand, auprès de qui s’informent-ils sur ces questions ?), dans la suite des travaux antérieurs menés par l’INJEP sur la santé et la sexualité des jeunes suivis en milieu ouvert (suivis éducatifs, foyers…) par la protection judiciaire de la jeunesse (Amsellem-Mainguy, Dumollard, 2015).
Contrairement aux élèves du milieu scolaire, considérés par l’Éducation nationale comme des « apprenants asexués » (DuruBellat, 2010), en prison les détenus, y compris les mineurs, sont d’abord séparés en fonction de leur sexe. Encouragée pour les jeunes scolarisés, la mixité est redoutée lorsqu’il s’agit des jeunes détenus. Et si les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) ont été pensés dans une optique d’ouverture progressive des établissements pénitentiaires à la mixité (Chantraine et al., 2011), dans les faits, seuls deux des six EPM accueillent des filles (elles sont incarcérées dans une unité à part). L’un des deux EPM étudiés est mixte (dans l’autre, l’unité prévue pour les filles reste vide), mais à raison de seulement quatre filles pour une cinquantaine de garçons. La mixité reste donc limitée en prison, qui demeure une institution masculine (gérée essentiellement par des hommes, à destination d’autres hommes), malgré la féminisation de certaines professions (François, 2016).
L’entrée en prison : le corps au centre de tous les regardsDès l’entrée en prison, les jeunes sont soumis à une dépossession d’une grande partie de leurs biens. Dépourvus d’attributs leur permettant de rendre visible leur statut dans le groupe, c’est sur le corps que vont se porter tous les regards (Solini, 2012). Les manières de s’habiller, de marcher, de se tenir, de s’apprêter, sont scrutées par l’ensemble des jeunes, ainsi que par les professionnels. Pour les garçons et les filles rencontrés, le corps revêt encore plus qu’ailleurs une importance considérable tant il constitue un étendard de l’identité sexuée et devient un instrument de communication ainsi que de respectabilité. C’est alors « avec les moyens du bord », malgré la limitation du nombre et du type de vêtements dont ils peuvent disposer (les vêtements transparents, trop courts, avec certains logos ou motifs, ou de grandes marques, sont la plupart du temps refusés à la fouille), que les jeunes travaillent leur apparence en prison pour renforcer leur identité sexuée, en s’inscrivant de façon conforme et stratégique dans un modèle hétéronormé.
Des filles et des garçons inégaux face aux parloirsLes parloirs constituent un enjeu important pour saisir les spécificités de l’expérience carcérale chez les filles et les garçons. Souvent précédés de plusieurs jours, voire de plusieurs semaines, sans contact avec l’extérieur, et suite à une procédure pénale éprouvante (gardes à vue, temps d’attente au tribunal, etc.), les jeunes, une fois passée l’entrée en détention, doivent penser à la manière de rendre publique leur incarcération et de reprendre contact avec leurs proches (parents mais également partenaires amoureux ou amis).
Les filles ont moins de visites au parloir que les garçons. C’est là un constat partagé par les professionnels (surveillants et éducateurs) et les jeunes rencontrés. La première raison invoquée est celle de l’inégale répartition territoriale des lieux de détention pour les mineures : pour exemple, sur une région étudiée, seule une prison est en mesure de prendre en charge les filles de 13 à 18 ans, ce qui implique des déplacements de plusieurs heures pour les familles qui voudraient demander des parloirs. Difficulté qui s’accroît lorsqu’une fille détenue est transférée dans une région encore plus éloignée de son lieu de résidence.
Mais la différence relatée à propos de la moindre fréquence de parloirs des filles par rapport aux garçons s’explique aussi par l’inégale acceptation par l’entourage (famille, partenaires amoureux, conjoints) du passage en prison. En effet, si l’incarcération de certains garçons est relativement acceptée socialement (elle serait « dans l’ordre des choses » pour des jeunes entrés dans la délinquance), elle l’est beaucoup moins pour les filles (pour qui l’incarcération est parfois « pathologisée »). À cela s’ajoute l’autocensure des jeunes quant à la visite de leur partenaire amoureux en prison. Là encore, les filles sont davantage concernées et expriment leur conscience du stigmate de la prisonnière : elles cachent parfois leur détention ou refusent d’être vues sans apparats, avec leurs kilos en trop (les jeunes rencontrés déclarent tous avoir pris du poids en prison).
L’analyse repose sur une enquête qualitative menée en 2016-2017 dans cinq prisons de France métropolitaine : 2 EPM – dont un mixte – et 3 maisons d’arrêt avec des quartiers mineurs (QM), dont un au sein d’une maison d’arrêt de femmes. Ces cinq prisons sont réparties sur l’ensemble du territoire : deux sont situées en Île-de-France, les trois autres en région. Les prisons comme les personnes enquêtées ont été « anonymisées » pour garantir la confidentialité des propos et des observations ; les entretiens ont été enregistrés.
Des observations et des entretiens individuels ont été menés auprès de 72 jeunes incarcérés âgés de 14 à 18 ans (dont 12 filles), tous volontaires pour participer à l’enquête. Parmi eux, 9 sur 72 ont arrêté l’école avant la classe de 6e, 39 ont poursuivi leur scolarité jusqu'à mi-parcours au collège et plus rarement jusqu’au baccalauréat. Ils sont issus majoritairement de milieux populaires et leurs parents disposent de faibles ressources économiques. Leur expérience de l’incarcération est variable : si 16 garçons et 3 filles sont interrogés au cours de leur première incarcération, d’autres en sont à leur cinquième expérience ; près de la moitié d’entre eux avaient déjà connu des modes de prise en charge antérieurement (mesure en milieu ouvert, foyer, centre éducatif renforcé ou fermé). Dans le même temps, des entretiens ont été menés avec 60 professionnels présents au quotidien avec les jeunes (19 surveillants, 26 éducateurs, 8 enseignants, 6 membres du corps médical).
Cette enquête a été réalisée avec le soutien de la Direction générale de la santé, de la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse et de la Direction de l’administration pénitentiaire.
D’autres dimensions de la vie carcérale fragilisent l’intimité et sont soumises au regard des autres. C’est le cas pour les jeunes prenant des traitements anxiolytiques ou des somnifères, perçus comme des « schlags » (des usagers de drogue, ou des « cas sociaux ») par les autres jeunes, ou pour les filles ayant leurs règles et craignant que cela « se voie », du fait des protections hygiéniques sommaires fournies par la prison. Certaines filles expliqueront d’ailleurs préférer s’isoler dans leur cellule (en refusant d’aller en classe ou en promenade) pendant leurs menstruations, quitte à être punies par l’administration (c’est-à-dire privées de télévision pendant plusieurs jours).
Ces exemples révèlent la difficulté à gérer l’intimité en prison et combien la prison n’est pas adaptée à la protection de l’intimité, du fait de la très forte circulation des informations et de l’organisation de la détention (visites chez le médecin visibles par tous depuis les cellules en EPM, informations privées dites à voix haute dans les couloirs, etc.).
Une sexualité dans la prison ?L’« encellulement » individuel des jeunes et la durée moyenne des incarcérations, relativement courte, limitent les contacts physiques entre jeunes. Lors des entretiens avec les jeunes, deux aspects de la sexualité en prison ont été mis en avant : la masturbation et la pornographie.
La masturbation est parfois « exposée » par les jeunes, volontairement (lorsque les garçons se masturbent au même moment et en font un sujet de blague) ou involontairement (lorsqu’un surveillant ouvre la cellule « au mauvais moment »). C’est aussi un sujet de blague entre détenus. Elle permet ainsi d’aborder la sexualité avec les jeunes en prison, tant elle est courante et peu dissimulée, du moins chez les jeunes garçons. L’accès à la pornographie est limité en prison, du fait de règles internes aux établissements appliquant l’interdiction des films pornographiques, et même érotiques, aux jeunes de moins de 18 ans. À cela s’ajoute l’arrêt des télévisions autour de minuit dans la plupart des établissements (justifié par l’obligation scolaire et le besoin de sommeil). Les jeunes peuvent cependant y avoir accès illégalement, via des clés USB ou des téléphones portables. Un autre moyen d’accéder à des images « suggestives » consiste à « cantiner » [acheter] la presse « people », dont les articles mettent en scène des photos de femmes dénudées, ou encore à regarder les programmes de téléréalité.
En France, le dispositif carcéral s’est étendu au début des années 2000 : en plus des quartiers mineurs (QM) – ailes réservées aux mineurs dans des prisons pour majeurs –, ont été créés des établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM), avec la loi Perben I en 2002. Les premiers EPM ont ouvert en 2007-2008 et, en 2017, six sont ouverts, avec une capacité de 40 à 60 cellules individuelles 2.
Au 1er mai 2017, on dénombre 69 679 personnes incarcérées (dont 2 379 femmes) parmi lesquelles 792 mineurs (dont 46 filles) âgés de 13 à 18 ans. L’âge moyen des mineurs détenus est de 16,4 ans (16 ans pour les filles contre 16,5 ans pour les garçons), et l’âge médian des mineurs détenus est de 17 ans (16 ans pour les filles contre 17 ans pour les garçons) 3 . Le nombre de mineurs incarcérés à un instant « t » est resté relativement stable dans les dernières années, mais cette stabilité s’est doublée d’un plus fort recours aux alternatives répressives à la prison (placements en centres éducatifs fermés). Les mineurs représentent ainsi près de 1,1 % des détenus. Parmi eux, environ un tiers sont incarcérés dans des EPM et les autres dans des QM 4.
Aucun acteur n’a pour mission spécifique de faire de l’éducation à la sexualité en prison. Les établissements proposent parfois des séances d’information et de discussion sur la sexualité, menées par les professionnels du quotidien carcéral (essentiellement éducateurs, enseignants ou unité sanitaire) ou par des associations extérieures qui, souvent, n’ont pas une connaissance spécifique du public. Il s’agit généralement de séances perçues par les jeunes comme trop « magistrales », auxquelles ils reprochent de ne pas prendre en compte leur réalité et de les stigmatiser. Pour autant, les jeunes rencontrés reconnaissent une légitimité à la prison de mener des actions en faveur de la santé sexuelle, à condition qu’elles soient non moralisantes et ludiques, sous forme d’échanges ou de débats. Une des difficultés est que ces actions sont annualisées et rythmées par le calendrier scolaire général, sans correspondre aux durées de peines des jeunes : certains peuvent être incarcérés sans en bénéficier, quand d’autres sont concernés par deux ou trois ateliers, lors d’une période marquée par le Sidaction, par exemple. Malgré tout, cette enquête montre que la question de la sexualité s’impose à tous les professionnels en charge du quotidien (Amsellem-Mainguy, Dumollard, 2015), et avant tout à ceux directement en contact avec les jeunes, notamment dans les unités de détention (surveillants et éducateurs). Les jeunes ont en effet des questions à divers moment de la journée avec, souvent, un impératif d’immédiateté. Ces interpellations ont lieu lorsqu’ils sont en cellule – plutôt le soir (avec des surveillants) – ou encore pendant les cours (avec des enseignants). Elles commencent parfois par une blague ou un commentaire d’une émission de télévision, ou un incident venant rompre l’intimité du détenu, puis arrivent les questions plus personnelles, qu’elles soient d’ordre affectif ou plus technique, à l’égard de la sexualité. Cela n’est pas sans désemparer une partie des professionnels, non formés à l’exercice, inégalement disposés à répondre spontanément à ce type d’interpellations, et se sentant peu légitimes pour le faire, ce qui renvoie notamment aux enjeux de la formation dont ils bénéficient.
• 1. Amsellem-Mainguy, Y., Dumollard, M., Santé et sexualité des jeunes pris en charge par la PJJ. Entre priorité et évitement, rapport d’étude INJEP, 2015• 2. Amsellem-Mainguy, Y., Coquard, B., Vuattoux, A., Sexualité, amour et normes de genre. Enquête sur la jeunesse incarcérée et son encadrement, rapport à paraître, INJEP, 2017• 3. Chantraine, G. (dir.), et al., Les prisons pour mineurs. Controverses sociales, pratiques professionnelles, expériences de réclusion, rapport pour la mission de recherche Droit et Justice, Clersé, 2011• 4. Duru-Bellat, M., « Ce que la mixité fait aux élèves », Revue de l’OFCE, n° 114, 2010• 5. François, A., « La sexualité en milieu carcéral. Au cœur des représentations des personnes incarcérées », Champ Pénal/ Penal Field, vol. XIII, 2016• 6. Solini, L., Faire sa peine à l’établissement pénitentiaire pour mineurs de Lavaur : sociologie des expériences de détention, Doctorat de sociologie, Clesco, Toulouse III, 2012• 7. Teillet, G., L’intervention judiciaire auprès des mineurs. Revue de littérature, rapport d’étude, INJEP, mai 2016• 8. Touraut, C., La famille à l’épreuve de la prison, PUF, 2012
Elle souligne une grande proximité des parcours sexuels et affectifs de ces jeunes avec les « autres jeunes » de leur génération et de leur milieu social, bien que la détention produise des effets singuliers sur leurs parcours.Yaëlle Amsellem-Mainguy, chargée d’études et de recherche à l'INJEP. Benoît Coquard et Arthur Vuattoux, chargés d’études associés à l’INJEP