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Les jeunes et le vote


La jeunesse n’est pas seulement une période de transition dans la formation de l’identité sociale, elle constitue également un moment clé dans le processus de socialisation politique au cours duquel les jeunes citoyens font leurs premiers pas dans les isoloirs. Malgré sa forte charge symbolique, le vote n’en reste pas moins diversement pratiqué à un âge où les formes de participation alternatives, plus tournées vers des actions concrètes et/ou protestataires, sont parfois préférées aux actes plus institutionnalisés de la participation électorale. Au-delà de cette tendance générale, des variations demeurent toutefois observables, non seulement selon l’intensité du scrutin et de la campagne électorale, mais aussi selon certaines caractéristiques sociodémographiques (diplôme, origine sociale, niveau de vie notamment).


Les jeunes et le vote

La jeunesse n’est pas seulement une période de transition dans la formation de l’identité sociale, elle constitue également un moment clé dans le processus de socialisation politique au cours duquel les jeunes citoyens font leurs premiers pas dans les isoloirs. Malgré sa forte charge symbolique, le vote n’en reste pas moins diversement pratiqué à un âge où les formes de participation alternatives, plus tournées vers des actions concrètes et/ou protestataires, sont parfois préférées aux actes plus institutionnalisés de la participation électorale. Au-delà de cette tendance générale, des variations demeurent toutefois observables, non seulement selon l’intensité du scrutin et de la campagne électorale, mais aussi selon certaines caractéristiques sociodémographiques (diplôme, origine sociale, niveau de vie notamment).

UNE BAISSE DE LA PARTICIPATION ÉLECTORALE, NOTAMMENT DES JEUNES

De manière générale, les jeunes sont plus abstentionnistes que leurs aînés, avec des proportions qui varient toutefois entre les primo-votants (18-24 ans) généralement plus mobilisés le jour des élections que leurs ainés immédiats (25-29 ans). En 2022, l’abstention systématique, qui désigne le fait de s’abstenir aux deux scrutins présidentiels et législatifs, concerne en premier lieu les inscrits sur les listes électorales âgés de 25 à 29 ans (25 % soit +6 points par rapport à 2002). Les primo-votants âgés de 18 à 24 ans étaient ainsi légèrement moins concernés en 2022 par l’abstention systématique (23 %), même si les chiffres sont en nette augmentation comparativement aux primo-votants de 2002 (+9 points). Cette participation légèrement plus forte des plus jeunes pourrait s’expliquer par un encadrement de l’entourage familial ou scolaire plus prégnant à cet âge de la vie, mais aussi par le désir d’accomplir ce qui constitue encore pour certains primo-votants un rite de passage vers l’âge adulte.

DES ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES QUI CONTINUENT DE MOBILISER

Alors que la participation électorale aux élections intermédiaires, européennes et législatives, donne généralement à voir des niveaux d’abstention en constante augmentation depuis les années 1980, l’élection présidentielle continue d’être relativement préservée par ce décrochage, y compris chez les jeunes électeurs : 66 % des inscrits âgés de 18 à 29 ans ont voté au 1er tour des présidentielles en 2002, 82 % en 2007, 74 % en 2012, 72 % en 2017 et 67 % en 2022. La plus forte visibilité des enjeux, la médiatisation de l‘événement, la durée et l’intensité de la campagne, l’exacerbation des clivages idéologiques ou encore la personnalisation de l’élection ont longtemps joué en faveur d’une plus forte mobilisation des jeunes électeurs, malgré un différentiel persistant entre les 18-29 ans, les plus abstentionnistes, et les autres classes d’âge, notamment les plus âgés pour lesquels la « norme civique » reste encore prégnante.

EFFETS D’ÂGE, DE GÉNÉRATION ET/OU DE PÉRIODE

Trois facteurs explicatifs sont généralement avancés pour interpréter ce différentiel de participation :

  • Le premier privilégie l’« effet d’âge » en insistant sur le « moratoire civique » (Muxel, 2001) des années de jeunesse se traduisant par un retrait plus marqué des jeunes électeurs avant leur progressive insertion sociale, professionnelle et familiale. Avec l’entrée plus tardive dans la vie adulte, ce temps de maturation dans la construction de la citoyenneté tendrait à se rallonger et expliquerait le prolongement de l’abstention observé dans plusieurs indicateurs.

  • Le deuxième accrédite l’hypothèse générationnelle : en vieillissant, les générations d’abstentionnistes restent en retrait de la participation électorale en raison d’un changement de culture politique inscrit dans le temps long des transformations générationnelles et non dans le temps court des âges de la vie. De ce fait, avec le progressif remplacement générationnel, on assiste à une érosion du « vote-devoir » et à une remise en cause de son statut d’acte d’expression politique le plus légitime ou le plus efficace : dans l’enquête post-électorale Young Elect, 46 % des moins de 35 ans considèrent ainsi le vote comme un droit davantage qu’un devoir contre seulement 23 % des plus de 65 ans.

  • Le troisième facteur explicatif privilégie l’effet de contexte marqué par un effritement de la confiance accordée par les citoyens aux élus avec le risque d’une « déconsolidation démocratique » observable en France mais aussi en Europe et en Amérique du Nord, dans des pays où la démocratie semble pourtant bien installée.

À ces différents facteurs d’explication s’ajoute par ailleurs la problématique persistante de la « mal-inscription », c’est-à-dire le fait d’être inscrit dans un bureau de vote éloigné de la commune de résidence. Elle concerne plus spécifiquement les jeunes en raison d’une mobilité étudiante ou professionnelle plus fréquente que dans les autres catégories d’âge, et entraine une participation plus contraignante et donc plus aléatoire (Braconnier, Dormagen, 2007).

PERSISTANCE DES INÉGALITÉS SOCIALES

De façon générale, le vote « par devoir » s’est ainsi progressivement érodé au profit d’un vote devenu plus réflexif et plus individualisé. Comme le signalent régulièrement les enquêtes menées au moment des élections, les jeunes tendent davantage que leurs ainés à décider de leur vote dans les derniers jours des élections, souvent le jour même du scrutin, signe d’un choix moins idéologique et moins partisan que les générations plus âgées.

Mais cette tendance générale ne doit pas minorer certaines spécificités intragénérationnelles. Les 18-29 ans ne forment pas un groupe homogène, ni socialement ni politiquement. Les inégalités sociales, et tout particulièrement celles induites par le niveau de diplôme, produisent des inégalités de participation. Aux élections présidentielles de 2022, 43 % des diplômés du supérieur ont participé à l’ensemble des tours des élections présidentielles et législatives, soit 7 points de plus que la moyenne de l’ensemble des inscrits (36 %) et 14 de plus que les non-diplômés selon l’enquête participation de l’INSEE. À ce différentiel s’ajoutent des écarts importants d’inscription sur les listes électorales. Toujours selon l’INSEE, parmi les 25 % de personnes les plus modestes, 83 % sont inscrites sur les listes électorales, contre 96 % parmi les 25 % les plus aisées.

ABSTENTION D’ÉLECTEURS POLITISÉS OU HORS DU JEU POLITIQUE ?

Entre 2002 et 2022, le profil des abstentionnistes, bien que restant principalement constitué d’inscrits non diplômés et désavantagés socioéconomiquement, se modifie avec des jeunes diplômés du supérieur qui viennent s’ajouter au stock des abstentionnistes. Cette situation nouvelle confirme les résultats de plusieurs travaux évoquant le fait que les abstentionnistes ne sont plus nécessairement des personnes dépolitisées, en rupture avec les valeurs démocratiques ou victimes d’un « cens caché » (Gaxie, 1978). Plutôt que de se situer « hors du jeu politique », ces nouveaux profils sont à l’inverse « dans le jeu politique », ont les compétences et les connaissances pour en comprendre et en décrypter les enjeux, mais éprouvent un certain désenchantement politique peu favorable à la participation électorale.

Contrairement à ce que l’abstention pourrait par ailleurs laisser croire, si l’on considère le niveau d’intérêt porté à la politique ou encore l’importance de la politique dans leur vie, la dernière édition de l’enquête européenne sur les valeurs montre que les 18-29 ans se différencient peu de la moyenne des Français. Ainsi, bien que les moins de 30 ans soient très légèrement moins nombreux que la moyenne des répondants à se déclarer intéressés par la politique (36 % contre 38 %), ils sont en revanche plus nombreux à estimer que la politique est un domaine important de la vie (44 % contre 40 %), avec des niveaux nettement supérieurs à ceux observés dans les années 1990, bien qu’en légère baisse depuis la précédente édition de l’enquête en 2008.

POLARISATION POLITIQUE

Même s’ils votent de manière plus intermittente, nombre de jeunes électeurs se rendent toutefois aux urnes avec des choix électoraux et des polarisations internes qui les distinguent des générations plus âgées. L’enquête post-électorale Young Elect a ainsi permis de mettre en évidence les choix électoraux en fonction des systèmes de valeurs et des clivages normatifs qui traversent la société française (Lardeux, Tiberj, 2022). Bien que les valeurs socio-économiques (identifiées à travers le rôle de l’État dans l’économie, l’importance accordée au nombre de fonctionnaires, le positionnement sur la redistribution des richesses) continuent d’exercer une influence dans leur positionnement politique, les valeurs culturelles (perçues à travers les opinions portées sur les questions d’immigration, de religion, d’autorité ou encore les attitudes à l’égard des minorités sexuelles) déterminent désormais plus fortement leurs choix de vote. Cette situation accentue les clivages au sein de la jeunesse contemporaine avec des degrés d’ouverture sur les questions de valeurs culturelles fortement divergents qui conduisent à une polarisation du champ politique (entre gauche radicale et extrême droite) plutôt qu’à une tripartition observable dans les autres catégories d’âge avec un vote libéral venant s’ajouter aux votes social-écologiste et national-conservateur.

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