Le programme éducatif de prévention NumériS@nté a été expérimenté à Wallis et Futuna entre 2018 et 2021 pour lutter contre le surpoids et l’obésité des écoliers, qui constituent une préoccupation majeure dans de nombreux pays insulaires du Pacifique. Ce programme, soutenu par le Fonds d’expérimentation pour la jeunesse (FEJ), s’appuie sur des supports pédagogiques, notamment numériques, se voulant ludiques, attractifs, intuitifs et adaptés au contexte local. L’évaluation présentée ici met en lumière les effets de ce dispositif sur ses bénéficiaires dans un contexte territorial singulier où l’alimentation et l’activité physique sont fortement affectées par la coutume et la sédentarité. Elle montre qu’un tel programme éducatif permet d’améliorer sensiblement les connaissances et comportements alimentaires et de sédentarité des enfants, sans toutefois provoquer de baisse à court terme de leur indice de masse corporelle (IMC) moyen.
EXPÉRIMENTATION À WALLIS ET FUTUNA
Le programme éducatif de prévention NumériS@nté a été expérimenté à Wallis et Futuna entre 2018 et 2021 pour lutter contre le surpoids et l’obésité des écoliers, qui constituent une préoccupation majeure dans de nombreux pays insulaires du Pacifique. Ce programme, soutenu par le Fonds d’expérimentation pour la jeunesse (FEJ), s’appuie sur des supports pédagogiques, notamment numériques, se voulant ludiques, attractifs, intuitifs et adaptés au contexte local. L’évaluation présentée ici met en lumière les effets de ce dispositif sur ses bénéficiaires dans un contexte territorial singulier où l’alimentation et l’activité physique sont fortement affectées par la coutume et la sédentarité. Elle montre qu’un tel programme éducatif permet d’améliorer sensiblement les connaissances et comportements alimentaires et de sédentarité des enfants, sans toutefois provoquer de baisse à court terme de leur indice de masse corporelle (IMC) moyen.
L’enquête de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur la santé des élèves en milieu scolaire menée en 2015 à Wallis et Futuna [1] révèle des taux de surpoids et d’obésité de respectivement 63 % et 32 % parmi les élèves de 12 à 18 ans, contre 17 % et 4 % en France hexagonale parmi les enfants de 6 à 17 ans (enquête Esteban, 2016). Ces données mettent en évidence l’urgence d’une intervention précoce, au regard des risques connus pour la santé des jeunes, qu’ils soient d’ordre psychologique ou cardiovasculaire [2], même si la prévention de l’obésité et des risques associés est confrontée à de nombreux défis [3].
Face à cette réalité inquiétante et suite au retour positif d’une première initiative menée en 2018 auprès d’élèves de CE1-CE2 de Wallis et Futuna, le programme NumériS@nté a été étendu à des élèves de CM1-CM2, en associant des enjeux de santé et une stratégie numérique [encadré « Source »]. Ce programme a été soutenu par le Fonds d’expérimentation pour la jeunesse, piloté par l’INJEP. Son implantation soulève deux questions centrales dans un contexte territorial unique [encadré « Repères »] : un programme éducatif peut-il suffire à influencer les connaissances et les comportements de santé des enfants dans un environnement globalement obésogène (coutume alimentaire trop riche, sédentarité installée) [4] ? Les obstacles liés à l’introduction d’un programme centré sur des supports numériques dans un environnement où l’adoption des nouvelles technologies est récente ont-ils été relevés pour permettre une intégration favorable des messages de santé ? L’étude se penche sur les défis de l’efficacité de NumériS@nté en mobilisant une méthodologie d’évaluation s’inscrivant dans une perspective compréhensive et écologique [5] tant les déterminants socioculturels du territoire sont incontournables [encadré « Méthode »].
Sources
Le programme expérimental NumériS@nté
NumériS@nté est un programme éducatif de prévention mis en œuvre dans la collectivité territoriale de Wallis et Futuna en 2021 par la Direction de l’enseignement catholique (DEC) et la Communauté du Pacifique sud (CPS) auprès des élèves de CE1-CE2 et CM1-CM2. Il est soutenu par le Fonds d’expérimentation pour la jeunesse, piloté par l’INJEP. Ce programme a impliqué 476 élèves issus de 24 classes malgré un objectif initial d’inclure toutes les écoles, soit 718 élèves et 39 classes. En raison de la crise sanitaire, certains ont été contraints de différer la réalisation du programme jusqu’en 2022, à l’instar de l’île de Futuna. Le programme reposait sur 15 séances pédagogiques pour le programme des CE1-CE2 et 12 séances pour celui des CM1-CM2. Une séance tous les quinze jours était prévue. La moitié des classes seulement est parvenue à réaliser l’intégralité des séances.
L’objectif du programme est de faire évoluer les pratiques et comportements des enfants en matière d’alimentation, d’activité physique, de production et consommation locale de fruits et légumes ainsi que de protection de l’environnement. Au-delà des enfants, il vise également leurs enseignants qui bénéficient d’une formation pour dispenser les séances, et leurs parents en favorisant leur participation, notamment via des défis en famille. L’originalité du programme se trouve dans l’élaboration de supports pédagogiques ludiques, attractifs, intuitifs et adaptés au contexte local (posters, livret enseignant, livret d’activités enfant, conte). Mais aussi dans le déploiement de supports numériques tels que des vidéos et jeux interactifs sur tablette. NumériS@nté représente un double enjeu pour ces îles : éduquer à la santé et au numérique les écoliers, et de manière indirecte les enseignants et les familles. L’approche préventive globale proposée (activité physique, alimentation et développement durable) permet de fédérer de nombreux partenaires dans des domaines variés et complémentaires. En 2022, de nombreux enseignants ont poursuivi le projet dans leurs classes en adaptant certaines activités. La volonté de l’étendre à la maternelle et au secondaire était manifeste.
Deux enquêtes statistiques ont été menées auprès des élèves en début et fin du programme NumériS@nté, afin de mesurer l’évolution des connaissances et des comportements alimentaires et liés à l’activité physique. L’appariement entre les 447 réponses initiales de l’enquête et les 308 réponses ultérieures a donné lieu à un échantillon de 232 enfants ayant participé aux deux phases. Les résultats révèlent une sensible amélioration de leurs consommations alimentaires déclarées, avec des différences significatives dans la fréquence de consommation de 20 aliments parmi les 88 évalués. Les changements les plus notables concernent le repas de midi (37 %), en particulier les accompagnements, indiquant une amélioration du régime alimentaire dans un territoire dépourvu de cantine scolaire à l’école élémentaire.
Les perceptions des enfants relatives à l’alimentation restent généralement inchangées, mais celles liées à l’activité physique évoluent. La santé devient un thème prédominant au détriment de l’idée que l’activité sportive vise « surtout à donner de la force ». Les changements de comportement sont également remarquables : 67 % des élèves déclarent aimer beaucoup bouger et faire de l’activité physique, comparé à 54 % avant le programme. De plus, le pourcentage d’élèves pratiquant une activité physique tous les jours augmente de 26 % à 35 %, tandis que celui d’élèves inscrits dans un club de sport augmente de 44 % à 58 %. En parallèle, la pratique sportive en dehors de l’école augmenterait, au détriment des activités plus sédentaires comme regarder la télévision ou jouer à des jeux vidéo [tableau 1].
Repères
Le contexte territorial de l’expérimentation
Wallis et Futuna, dans le Pacifique sud, se distingue par son éloignement géographique, son statut unique en France, son organisation coutumière et sa culture singulière. Ce territoire possède un cadre institutionnel et juridique spécifique, grâce à une loi statutaire de 1961 encore en vigueur, permettant la coexistence d’institutions coutumières et républicaines, avec trois rois coutumiers, leurs ministres et chefs de village. Ce statut confirme le droit civil particulier des Wallisiens et Futuniens, en reconnaissant la juridiction traditionnelle des rois coutumiers pour les affaires locales. La religion catholique joue également un rôle central dans les coutumes et événements locaux. Dans un contexte de sédentarité installée, des habitudes alimentaires importées riches en graisses, en sel et en sucre ont remplacé les produits locaux, souvent dans le but d’afficher un statut social privilégié. Le territoire se distingue également par la délégation de la gestion de l’enseignement public du premier degré à l’opérateur privé de la Mission catholique via une convention de concession. La Direction de l’enseignement catholique (DEC), porteur principal du programme, est un acteur central dans l’école, les activités périscolaires et la préservation de la culture et de la langue maternelle. Elle est aussi fortement impliquée dans la stratégie numérique du territoire, axée sur la santé et la formation des jeunes.
Les données d’indice de masse corporelle de 107 élèves collectées en début et fin de programme montrent une stabilité des IMC avec une légère tendance à l’augmentation, reflétant la croissance de l’obésité avec l’âge. Cependant, il n’existe pas de lien entre les changements alimentaires « positifs » d’un point de vue diététique et les IMC des enfants. Ces résultats suggèrent une absence d’impact direct de NumériS@nté sur l’obésité infantile, probablement en raison du court laps de temps (huit mois) entre les mesures initiales et finales.
Le recueil des IMC chez les élèves de 7 à 11 ans a eu impact positif en fournissant des données utiles pour la surveillance de l’obésité infantile, comblant ainsi une lacune d’informations sur les enfants de cette tranche d’âge dans la région du Pacifique [6]. Elle a également rendu la collecte des IMC plus accessible et moins stigmatisante pour les enfants, certaines écoles transformant cette activité en une expérience ludique et éducative, avec les mathématiques comme support.
Méthode
Une méthodologie d’évaluation fondée sur quatre piliers
Face aux défis particuliers soulevés par le projet, le territoire et le contexte sanitaire, notre méthodologie d’évaluation s’est appuyée sur quatre piliers essentiels : l’adaptation à la distance géographique, dans un contexte de bulle sanitaire mise en place dès le premier confinement entravant l’accès au territoire ; la collaboration constante avec les porteurs du projet pour créer des outils d’évaluation adaptés à la réalité locale ; une démarche in itinere, avec deux temps forts de recueil de données (ex ante, ex post) pour apprécier les attentes, l’appropriation et les effets du programme ; une approche compréhensive et « écologique » pour mieux appréhender les spécificités socio-culturelles du territoire et l’ensemble des facteurs contributifs à l’implantation du programme et à son efficacité.
Pour répondre à ces besoins, une approche mixte intégrant des méthodes quantitatives et qualitatives a été mise en place. Les données qualitatives ont été obtenues grâce à 27 entretiens individuels et collectifs en visioconférence avec les porteurs de projet, les enseignants, les directeurs d’école et les partenaires institutionnels. Les données quantitatives ont été recueillies avant et après l’intervention en mesurant le poids et la taille des enfants en classe pour évaluer l’évolution de leur IMC. Des questionnaires en ligne, adaptés au contexte alimentaire et sportif local, ont été administrés pour évaluer les changements dans les connaissances et les comportements alimentaires et liés à l’activité physique des enfants. En outre, des questionnaires de satisfaction en ligne ont été remplis par les enfants et les enseignants. Un livret d’auto-évaluation des séances a été proposé aux enseignants. Le recueil des données a rencontré des obstacles en raison des difficultés de connexion et du manque de familiarité des participants avec les outils numériques utilisés pour les enquêtes.
Des progrès notables sont constatés dans certaines écoles par les enseignants et les directeurs, notamment à travers les goûters que les élèves apportent dans leur cartable. Cette évolution serait le résultat concret de l’intégration du programme NumériS@nté en classe, générant ainsi un changement d’attitude chez les parents. Les enseignants remarquent également l’intérêt croissant des élèves pour le programme, marqué par l’amélioration simultanée de leur motivation et de leur autonomisation au fil des séances. De même, cette dynamique positive se reflète dans l’engagement accru des élèves envers l’activité physique quotidienne en classe, favorisé par l’intérêt personnel de l’enseignant pour le sport et son intégration dans le projet pédagogique de l’école. En parallèle, une augmentation du nombre d’élèves impliqués dans des activités périscolaires et extrascolaires est constatée par le porteur de projet.
Les résultats issus des entretiens et des enquêtes de satisfaction auprès de 282 enfants et 11 enseignants de Wallis et Futuna renforcent l’hypothèse centrale du programme : les outils numériques sont vécus comme un atout pédagogique pour faciliter les apprentissages.
NumériS@nté a suscité une très grande adhésion chez les écoliers, avec 92 % déclarant l’avoir « beaucoup aimé ». Parmi les 12 principales activités proposées, une seule (« Regarder les vidéos ») a recueilli moins de 85 % de satisfaction, montrant l’enthousiasme des élèves pour l’ensemble du programme, en particulier les activités liées au sport et les jeux. Les enseignants confirment lors des entretiens les effets positifs du numérique perceptibles à travers une augmentation de la participation, de la motivation et de l’assimilation des connaissances. Ces outils seraient particulièrement bénéfiques pour favoriser la compréhension des contenus, notamment par les élèves en difficulté. Par ailleurs, l’engouement des élèves aurait été stimulé par l’attractivité et l’esthétique des supports numériques et imprimés, conçus de manière contextualisée. L’identification avec les héros des contes initiatiques semble avoir fortement encouragé les élèves à aller au bout de leur quête et du programme. En somme, les élèves témoignent d’un impact bénéfique du programme sur leur motivation à intensifier leur activité physique (72 %) et à privilégier une alimentation plus saine (66 %).
Les enseignants ont occupé un rôle central dans la mise en œuvre du programme NumériS@nté pour l’année scolaire 2021. La formation préalable a développé leurs aptitudes et motivation à persévérer avec le programme, dans une année marquée par des confinements prolongés et la nécessité de rattraper les fondamentaux du programme scolaire. Les enseignants ont particulièrement apprécié le programme pour sa contribution à la santé de la population en général (73 % des répondants) et à leur propre santé (64 %). L’enthousiasme des enfants, l’utilité dans le quotidien et l’acquisition de nouvelles connaissances en matière de nutrition ont également contribué à leur satisfaction. De plus, l’utilisation des tablettes comme nouveaux supports d’apprentissage et la disponibilité d’un kit pédagogique « clefs en main » sont des aspects positifs soulignés en entretien par les enseignants. Finalement, le programme a eu un impact notable en suscitant chez eux un désir de changer leur propre mode de vie (noté en moyenne à 4,4 sur 5). Ils ont également constaté une amélioration de leurs connaissances (notée à 3,6) et de leurs comportements (notée à 3,5) en matière d’alimentation. Certains enseignants ont poursuivi les séances en les intégrant et en les adaptant au programme scolaire de l’année suivante. Un point de vigilance réside dans le potentiel du programme à perturber les habitudes professionnelles et à générer des résistances, particulièrement chez les enseignants confrontés à des difficultés avec le numérique ou pour qui l’activité physique peut être un défi en raison de leur propre situation de surpoids ou d’obésité.
L’examen du contexte dans lequel NumériS@nté a été mis en place a révélé d’autres éléments susceptibles d’avoir contribué à son succès. Le programme est né dans un contexte d’évolution positive des mentalités sur le territoire, influencé par des événements tels que la crise Covid et le soutien de la chefferie coutumière à la prévention de la santé et de l’environnement. De plus, les reportages médiatiques mettant à l’honneur la participation des enfants et des parents dans les activités menées au sein des écoles (potagers, compétitions sportives) auraient contribué à transmettre au grand public une image valorisante des évolutions en cours, à laquelle il leur est plus facile de s’identifier. Enfin, l’efficacité du programme NumériS@nté repose sur une dynamique qui dépasse les séances de prévention en classe. Le programme a répondu à un véritable besoin sociosanitaire sur le territoire en proposant des activités variées et complémentaires (activité physique, numérique, vergers ou potagers). Ce mariage d’initiatives aurait renforcé les effets sur l’ensemble de la communauté (enfants, enseignants, parents), conférant ainsi au programme une dimension territoriale globale en ralliant une diversité de partenaires autour d’objectifs communs en matière de prévention de la santé. Par exemple, bien que la participation des parents aux « défis en famille » prévus dans le programme ait été limitée, leur implication s’est avérée importante dans des activités « extrascolaires » liées aux potagers des écoles. Cela a entraîné le partage de savoir-faire et de moments conviviaux qui ont parfois conduit à la création de potagers à la maison et à la vente de produits cultivés. NumériS@nté aurait ainsi contribué à la revitalisation des pratiques de cultures traditionnelles, telles que le taro et le manioc, sur le territoire.
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