La mise en oeuvre de la préfiguration du service national universel (SNU) en 2019 a relancé les discussions sur les différentes formes de services militaires et civils proposés aux jeunes français. La participation des premiers jeunes volontaires aux séjours de cohésion du SNU (juin 2019) fournit l’occasion de revenir sur l’histoire de la conscription en France, et de situer ce dispositif original au sein de la multitude de programmes de volontariat pour les jeunes en Europe et en Amérique du Nord.
La mise en œuvre de la préfiguration du service national universel (SNU) en 2019 a relancé les discussions sur les différentes formes de services militaires et civils proposés aux jeunes français. La participation des premiers jeunes volontaires aux séjours de cohésion du SNU (juin 2019) fournit l’occasion de revenir sur l’histoire de la conscription en France, et de situer ce dispositif original au sein de la multitude de programmes de volontariat pour les jeunes en Europe et en Amérique du Nord.
LE CONTEXTE HISTORIQUE FRANÇAIS
De la naissance d’une institution républicaine…
La conscription militaire en France est instaurée en 1798 par la loi Jourdan, qui impose à tous les hommes de 20 à 25 ans, sans distinction de classe, de s’inscrire sur un registre tenu par l’armée. S’il est tiré au sort, le conscrit doit alors effectuer un service militaire de cinq ans. La guerre franco-allemande de 1870 et les révoltes de la Commune en 1871 conduisent les législateurs à réformer la conscription en 1872 en imposant l’obligation de service pour un an, voire cinq si l’on est tiré au sort. Le droit dont jouissaient les plus aisés de se faire remplacer dans ce dernier cas est aboli, bien que certaines élites parviennent encore à être exemptées. Marquant l’aboutissement du processus de républicanisation de l’armée, la loi Berteaux de 1905 instaure un service militaire obligatoire de deux ans, pour tous les jeunes hommes, sans dispense possible.
Outre le fait de fournir les ressources humaines nécessaires à l’armée lors de conflits majeurs, la conscription doit également permettre de légitimer l’action des armées aux yeux du peuple (les appelés devenant « l’émanation du peuple ») [Lanxade, 2005, p. 322], et de garantir la rencontre de citoyens de tous les milieux sociaux afin de consolider la cohésion nationale. En l’espèce, la conscription est aussi perçue comme un moyen d’« assimiler les générations issues de l’immigration du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne » (ibid., 2005, p. 322-323). Le service militaire devient peu à peu une véritable institution républicaine, forgeant les citoyens qui y participent (notamment en leur inculquant des mesures d’hygiène et en leur donnant accès à une instruction) et marquant leur passage à la vie adulte.
… à l’émergence de volontariats civils
Alors que les deux guerres mondiales consacrent l’idéal de l’armée nationale et le lien existant entre défense et citoyenneté, les guerres de décolonisation (et particulièrement la guerre d’Algérie) marquent le déclin du modèle de la conscription du début du siècle, en exposant son obsolescence à la fois militaire et sociale (Crépin, 2009). L’acquisition de l’arme nucléaire et la fin des menaces militaires sur le territoire français permettent de réduire les effectifs militaires et mettent en évidence la pertinence d’une armée de métier. Les transformations de la société française questionnent également la légitimité d’un service militaire long et universel : pour des raisons budgétaires, l’arrivée des classes issues du baby-boom mène à la réduction de la durée du service. En 1969, une enquête montre que 66 % des étudiants pensent que le service militaire est « inutile » (Chanet, 1999). Pour faire face à la contestation grandissante vis-à-vis de l’obligation de service, les législateurs multiplient les réformes.
L’expression « service national » remplace celle de « service militaire » à compter de l’ordonnance du 7 janvier 1959, inaugurant, selon Valérie Becquet, « le processus de différenciation des modalités de déroulement du service et permet[tant], dès le milieu des années 1960, une multiplication des formes civiles du service national » (Becquet, 2011, p. 14). Jusqu’alors réservé aux hommes, le service national s’ouvre aux femmes sur la base du volontariat à partir de 1970.
En 1997, le service national obligatoire est suspendu. Le principe de la conscription est cependant maintenu par l’instauration de la participation obligatoire de tous les jeunes (hommes et femmes) avant l’âge de 18 ans à une journée de transmission des valeurs républicaines (aujourd’hui appelée «journée Défense et citoyenneté »). Tandis que l’armée se professionnalise, différents dispositifs de volontariat voient le jour, comme le « volontariat civil » en 2000. Les émeutes de 2005 dans les banlieues françaises relancent le débat sur le rétablissement d’un service civique obligatoire « comme “solution” appropriée pour intervenir auprès des jeunes » (Becquet, 2011, p. 13). Martin Hirsch, nommé hautcommissaire à la jeunesse, est chargé de concevoir et mettre en place un service civique volontaire qui voit le jour en 2010.
ÉLÉMENTS DE COMPARAISON INTERNATIONALE
Les récentes adaptations de la conscription en Europe
La fin de la guerre froide conduit la majorité des pays du continent européen à abandonner la conscription : la Belgique (1992), la France (1997), les Pays-Bas (1997), le Portugal (1999), l’Espagne (2001), l’Italie (2004) et plus récemment l’Allemagne (2011). Le monde anglo-saxon, quant à lui, lève précocement la contrainte de service (en 1960 au Royaume-Uni, en 1972 en Australie et en Nouvelle-Zélande, en 1973 aux États-Unis).
Dans certains pays (France, États-Unis, Pays-Bas), le service national obligatoire est toutefois suspendu et non abrogé (la possibilité de rétablir la conscription est maintenue en cas de nécessité). Quatre zones du continent européen demeurent attachées au maintien d’un service militaire : la Scandinavie (Norvège, Danemark, Finlande, Suède), l’Estonie et la Lituanie, la Suisse et l’Autriche, ainsi que la Grèce et Chypre. Néanmoins, le nombre de jeunes servant effectivement sous les drapeaux y est bien moins important qu’au début du siècle.
Des services civils volontaires aux objectifs variés
La suppression (ou la suspension) du service militaire obligatoire coïncide avec la multiplication d’expériences de services civils volontaires. Les différentes initiatives européennes promeuvent une multitude d’objectifs : « développement personnel et formation de la jeunesse ; promotion du bénévolat et de l’action sociale au sens large ; renforcement de la cohésion nationale ; sécurité et prévention de l’extrémisme. […] Selon le contexte culturel et historique, l’accent est mis tantôt sur une finalité, tantôt sur une autre. » (Sénat, 2017, p. 14).
Par exemple, aux Pays-Bas, un service social volontaire est créé en 2017 pour les jeunes ayant achevé leur éducation secondaire. Les défenseurs de ce service social soulignent sa contribution à la « lutte contre l’individualisme pour renouer le lien social, à la prévention de la radicalisation des jeunes et du terrorisme et au rassemblement de la communauté nationale » (ibid, p. 16). Pour encourager la participation, les jeunes volontaires bénéficient d’un accès prioritaire à des emplois publics à l’issue du service.
Les pays anglo-saxons entretiennent une relation particulière au principe du service national : la conscription fait, dans ces pays, figure d’exception historique et le volontariat civil est détaché de l’institution militaire.
Exemples internationaux
Le National Citizen Service (NCS) au Royaume-Uni
Lancé en 2010 et pérennisé en 2017, le NCS propose aux jeunes âgés de 15 à 17 ans de participer à un séjour de 7 à 8 semaines destiné à promouvoir la cohésion, l’apprentissage de compétences utiles pour le monde du travail, le civisme et l’engagement social local. 93 000 jeunes étaient concernés en 2016. Le NCS consiste en trois phases : une phase d’accueil, deux semaines hors du lieu de résidence, puis une période d’élaboration et de réalisation d’un projet local concret.
Le rapport d’évaluation du programme de 2015 (publié en 2017) a étudié le travail d’équipe, la vie en communauté, l’esprit d’initiative, la transition vers l’âge adulte et la mixité sociale. L’analyse des données, collectées par questionnaires avant et après le programme, montre que l’acquisition de compétences valorisables sur le marché du travail est une grande source de motivation : la moitié des jeunes ont participé au NCS parce que leur école ou leurs professeurs les y ont encouragés. 90 % des volontaires ont apprécié leur séjour et pensent que l’expérience en valait la peine (le taux de satisfaction est encore plus élevé pour les jeunes garçons issus de milieux défavorisés). L’expérience semble avoir eu un effet positif sur les soft skills (savoir-être) des jeunes (confiance en soi, capacité d’argumentation…) mais aussi sur leur implication dans un groupe. Les effets sont plus mitigés sur la transition vers l’âge adulte et la mixité sociale.
Le modèle des cadets (Canada, États-Unis, Royaume-Uni)
Les organisations de jeunes cadets (Youth Cadet Corps) dans le monde anglo-saxon fournissent un exemple intéressant de forme d’engagement volontaire mixte : si les jeunes sont sous statut civil, ils reçoivent néanmoins une instruction de type militaire sous la supervision du ministère de la Défense. Le but des programmes est de conduire les jeunes à développer leur condition physique, leur esprit de civisme, leur capacité de décision ou encore leur intérêt pour l’institution militaire. Les cadets ne font pas partie des forces armées bien qu’ils soient encadrés par des militaires. Ces programmes ont la particularité de s’inscrire dans le contexte scolaire (États-Unis, Royaume-Uni) ce qui implique un engagement durable dans le dispositif.
LE SERVICE NATIONAL UNIVERSEL FRANÇAIS, FIGURE D’EXCEPTION ?
Il existe donc d’autres exemples de services civils en Europe, avec une ressemblance particulière entre SNU et National Citizen Service (en particulier sur l’organisation de différentes phases). Les objectifs fixés au SNU sont de « renforcer la cohésion nationale par l’expérience de mixité sociale et territoriale et par la dynamisation et la valorisation des territoires, développer une culture de l’engagement, accompagner l’insertion sociale et professionnelle » (Éléments de cadrage de la mission de préfiguration du SNU). Cependant, l’encadrement des dispositifs de volontariat civil en Europe est plutôt assuré par des organisations du secteur public ou privé et non – même partiellement – par des militaires. En cela, le SNU dans sa forme actuelle est plus proche des organisations de cadets des pays anglo-saxons. D’autre part, aucun des exemples de services civils décrits ne revêt un caractère obligatoire, contrairement au SNU qui doit le devenir.
Pour conclure, le SNU, en tant que dispositif « hybride » encadré par des professionnels d’horizons différents (armée, éducation nationale et éducation populaire), fait donc aujourd’hui figure d’exception dans le paysage européen.
Aller plus loin
Becquet V., 2011, « De la réforme du service national au service civique », Cahiers de l’action, no 34, p. 13‑23
Besse L., Coton C., 2019, « L’armée au miroir de la jeunesse », Agora débats/jeunesses, no 82, p. 41‑54
Cameron D., Stannard J., Leckey C., Hale C., Di Antonio E., 2017, National Citizen Service 2015. Evaluation, Ipsos MORI
Chanet J.-P., 1999, «Le service militaire», in Rioux J.-P et al., La France d’un siècle à l’autre, 1914-2000 : Dictionnaire critique, Paris, Hachette.
Crépin A., 2009, Histoire de la conscription, Paris, Gallimard.
Lanxade J., 2005, « De la conscription à l’armée professionnelle ». Études.,Tome 402, p. 321‑331
Milia Marie-Luce M., 2019, « Un contrat singulier avec l’armée », Agora débats/jeunesses, no 82, p. 127‑142.
Pascallon P., 2018, Faut-il recréer un service national ?, Paris, L’Harmattan
Richez J.-C., 2011, « Panorama des différentes formes de volontariat et de service civique en Europe », Cahiers de l’action, no 34, p. 90‑98
Sénat, 2017, Étude de législation comparée no 283, Recueil des notes de synthèse d’octobre à décembre 2017
Site internet du NCS