Dans un contexte institutionnel marqué par la montée en compétence des conseils régionaux et le développement de l’intercommunalité dans la prise en charge des jeunes, la place des conseils départementaux demeure centrale. Comment ces derniers se positionnent-ils dans le paysage multiforme des politiques de jeunesse marqué par un éclatement sectoriel, institutionnel et territorial ? L’étude réalisée par l’INJEP, en partenariat avec le laboratoire Arènes et l’Assemblée des départements de France (ADF), analyse la manière dont les conseils départementaux se saisissent des enjeux relatifs à la jeunesse, tant à travers la multitude de leurs interventions sectorielles (gestion des collèges, aide sociale à l’enfance…) qu’au regard des enjeux de coordination interne et d’animation partenariale dans les territoires.
UN ENJEU DE COORDINATION AU DÉFI DE LA FRAGMENTATION
DES INTERVENTIONS
Dans un contexte institutionnel marqué par la montée en compétence des conseils régionaux et le développement de l’intercommunalité dans la prise en charge des jeunes, la place des conseils départementaux demeure centrale. Comment ces derniers se positionnent-ils dans le paysage multiforme des politiques de jeunesse marqué par un éclatement sectoriel, institutionnel et territorial ? L’étude réalisée par l’INJEP, en partenariat avec le laboratoire Arènes et l’Assemblée des départements de France (ADF), analyse la manière dont les conseils départementaux se saisissent des enjeux relatifs à la jeunesse, tant à travers la multitude de leurs interventions sectorielles (gestion des collèges, aide sociale à l’enfance…) qu’au regard des enjeux de coordination interne et d’animation partenariale dans les territoires.
Dans le sillage de la réforme territoriale de 2014-2015, de la loi égalité et citoyenneté de 2017 et des projets initiés depuis 2016 dans le cadre du programme d’investissement d’avenir (PIA) dédié à la jeunesse, les évolutions du cadre institutionnel d’élaboration des politiques de jeunesse au niveau territorial ont principalement affecté les échelles régionale et intercommunale (Parisse, 2019 ; Moalic, Parisse, 2020 et 2022), laissant les conseils départementaux relativement en marge. À titre d’illustration, une seule des seize expérimentations lauréates de l’appel à projets du PIA Jeunesse a été portée à l’échelle d’un département (Abadie, 2019). Pour autant, la collectivité départementale joue un rôle structurant, bien que fragmenté, dans la prise en charge des jeunes, en s’appuyant sur plusieurs compétences sectorielles – notamment en matière sociale et d’éducation – et sur les actions portées par les services jeunesse. Elle aspire également, dans un certain nombre de cas et sous des formes variées, à impulser et animer des partenariats avec les acteurs institutionnels et associatifs du territoire.
Une prise en charge doublement fragmentée de la jeunesse
À l’image de ce qui peut être observé à d’autres échelles d’action publique (Richez, 2006 et 2007 ; Moalic, Parisse, 2020 et 2022), la prise en compte des jeunes par les conseils départementaux apparaît doublement fragmentée.
Fragmentée, tout d’abord, au sens où la jeunesse fait l’objet de régulations sectorielles spécifiques, elles-mêmes dépendantes de la répartition des compétences organisée par la loi. De ce point de vue, le cadre des interventions départementales en direction des jeunes s’organise principalement autour de trois politiques publiques : les politiques sociales et d’aide à l’insertion, notamment à travers la politique d’aide sociale à l’enfance (ASE), mais également le pilotage du fonds d’aide aux jeunes (FAJ) 1 ; les politiques de gestion des collèges (construction, rénovation, fonctionnement, équipement, restauration) et d’appui aux activités pédagogiques (soutien aux projets éducatifs et à l’acquisition d’outils pédagogiques, le plus souvent sous forme numérique) ; et, enfin, les politiques relevant de l’action des services jeunesse. Ces dernières visent à faciliter l’accès aux loisirs (culturels, sportifs, etc.), aux vacances, à la mobilité internationale, au permis de conduire, et à soutenir l’engagement ainsi que la participation des jeunes dans une logique de développement de la citoyenneté (soutien aux projets, mise en place d’un conseil de jeunes, etc.).
L’enquête quantitative réalisée dans le cadre de cette étude [encadré « Méthode »], indique que les conseils départementaux développent également des interventions dans les domaines de la santé, du logement, mais aussi de l’information et de l’orientation. En outre, la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 a majoritairement justifié, d’après les répondants à l’enquête, l’adoption de nouvelles mesures en faveur de la jeunesse, sous la forme d’aides alimentaires, d’aides à l’équipement informatique, de la mise en place de cellules de soutien psychologique, d’un élargissement et/ou d’un assouplissement des critères d’entrée dans les dispositifs d’aide existants ou encore d’une augmentation du nombre de jeunes accueillis en stage, en service civique ou en apprentissage au sein de la collectivité.
Fragmentée, ensuite, par le fait qu’au sein de chaque politique sectorielle (sociale, éducative, de jeunesse et d’éducation populaire, etc.), les tranches d’âge ciblées varient fortement d’un dispositif à l’autre – y compris lorsqu’ils sont mis en œuvre par un même service. Certains dispositifs portés par les services jeunesse concernent, par exemple, uniquement les collégiens : c’est le cas, dans la Nièvre, du « conseil départemental jeune et citoyen », composé d’élèves issus des classes de 5e et de 4e ; et, en Isère, du dispositif de soutien aux actions éducatives (dénommé « Pass isérois du collégien citoyen ») ou d’accès aux activités culturelles et sportives (à travers le « Pack loisirs », aujourd’hui refondu dans la carte dénommée « Tatoo »). D’autres dispositifs concernent, en revanche, une tranche d’âge plus large, à l’image du « Pass international » mis en place par le conseil départemental de la Nièvre à destination des 16-30 ans désirant monter un projet citoyen ou solidaire à l’international. C’est le cas également de la bourse aux projets mise en place par le conseil départemental de l’Isère en partenariat avec la Caisse d’allocations familiales (CAF), dénommée « Coup de pouce jeunes » qui cible quant à elle les 12-25 ans.
Méthode
Une analyse croisée de données qualitatives et quantitatives
Les résultats présentés sont issus d’une analyse croisée de données qualitatives et quantitatives recueillies au cours de l’année 2021. En premier lieu, le choix a été fait de resserrer la focale sur deux territoires départementaux : la Nièvre et l’Isère. Ceux-ci ont été préalablement identifiés en lien avec l’ADF, en tenant compte de leur coloration politique (majorité de gauche dans la Nièvre, de droite en Isère) et en nous appuyant sur les informations collectées lors de la phase exploratoire de l’enquête. À cette échelle, une analyse documentaire approfondie a été réalisée à partir d’un corpus composé des documents produits par les conseils départementaux (délibérations, plans d’action, prospectus de présentation des dispositifs, comptes rendus de réunions, bilans des actions, etc.), ainsi que par d’autres institutions et associations (CAF, services de l’État, mouvements d’éducation populaire). Cette étude documentaire a été complétée par l’analyse d’un corpus de 25 entretiens qualitatifs (avec les élus, les techniciens et les partenaires institutionnels et associatifs) et d’observations directes (séance du conseil départemental des jeunes de la Nièvre et séances plénières des assemblées des conseils départementaux investigués). Le contexte de crise sanitaire a contraint l’équipe de recherche à réaliser l’ensemble de la collecte à distance. En parallèle, une enquête par questionnaire a également été administrée par l’ADF auprès de l’ensemble des conseils départementaux. Cette enquête contenant 59 questions aborde une pluralité d’enjeux relatifs à la prise en compte de la jeunesse par les conseils départementaux ; 48 réponses exploitables ont été collectées.
À cela s’ajoutent d’autres ciblages spécifiques liés à des dispositifs tels que le FAJ, qui concerne les 18-25 ans, ou le contrat jeune majeur qui s’adresse aux 18-21 ans accompagnés dans le cadre de l’ASE. Ce constat rejoint les travaux soulignant comment les dispositifs d’action publique organisent une fragmentation de la jeunesse en une multitude de sous-catégories d’âge qui structurent le processus de transition vers l’âge adulte (Dulin, Verot, 2017).
Une coordination des interventions encore à construire
Face à cette fragmentation sectorielle des interventions en direction de la jeunesse, les conseils départementaux se trouvent confrontés à l’enjeu de construire, à leur niveau, des articulations entre elles. À cet égard, l’enquête quantitative montre que cette coordination demeure, à ce jour, largement impensée – malgré les injonctions au développement de la transversalité dans l’action publique (Douillet et al., 2019). La mise en place d’une ou de plusieurs instances de coordination sur les enjeux relatifs à la jeunesse est en effet loin d’être généralisée [graphique 1], de même que la présence d’un agent spécifiquement chargé d’animer la coordination au sein du conseil départemental [graphique 2].
Le volet qualitatif de l’étude donne à voir, dans cette perspective, deux configurations en termes de coordination des interventions au sein du conseil départemental. Une première, que l’on peut observer dans celui de la Nièvre, fait apparaître une difficulté à structurer, dans l’organisation politique et administrative de la collectivité, une démarche transversale entre les différents secteurs d’intervention : celle-ci peine, en effet, à dépasser le cadre des relations interindividuelles et opérationnelles entre des agents localisés dans des directions différentes – notamment entre le service jeunesse et les différents services en charge de l’action sociale. Il s’opère, dans ce cas, une logique de répartition entre les publics considérés comme vulnérables, relevant de l’action sociale, et ceux, qualifiés de « tout-venant » par l’un des responsables de service que nous avons rencontrés, qui bénéficient des actions portées par le service jeunesse.
Une seconde configuration peut être repérée au conseil départemental de l’Isère : dans ce cas, la construction d’une transversalité interne s’arrime à l’adoption en 2016 d’un cadre stratégique d’intervention de la collectivité en direction des jeunes de 12 à 25 ans, qui prend la forme d’un plan départemental dédié. Parallèlement, la création d’un poste de chef de projet doté de missions transversales contribue également à faciliter le développement d’une approche interne plus intégrée des enjeux liés à la jeunesse. Cela se traduit, notamment, par la mise en place d’un comité de pilotage regroupant plusieurs vice-président·e·s et d’un comité technique rassemblant des agents de plusieurs directions. Bien que contribuant à organiser des espaces relativement institutionnalisés de dialogue interne, la portée de cette approche trouve sa principale limite dans sa faible capacité à faire évoluer, dans le cadre d’une approche globale, chacune des politiques sectorielles les plus structurantes, notamment en matière sociale et éducative.
Un rôle d’animation partenariale au défi de la fragmentation
Les difficultés que rencontrent les conseils départementaux à développer une approche transversale de la jeunesse invitent également à interroger leur capacité à jouer un rôle d’animation partenariale à l’échelle de leur territoire. Le volet quantitatif de l’étude fait apparaître, dans cette perspective, une très grande diversité de partenariats noués par les conseils départementaux avec les acteurs intervenant auprès des jeunes, aux premiers rangs desquels se trouvent les services de l’État (direction des services départementaux de l’Éducation nationale [DSDEN], services départementaux à la jeunesse, à l’engagement et aux sports [SDJES], direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités [DDETS]), les CAF et la Mutualité sociale agricole (MSA), les communes et les intercommunalités, les missions locales, le réseau information jeunesse, les associations d’éducation populaire, ou encore les maisons familiales et rurales (MFR). Pour autant, cette diversité se révèle relativement peu structurée, dans la mesure où plus de la moitié des répondants indiquent qu’il n’existe pas – ou pas encore – d’instance partenariale dédiée aux politiques de jeunesse sur leur territoire [graphique 3].
Cette diversité des partenariats ainsi que les difficultés à structurer un dialogue partenarial dans un cadre institutionnalisé plus large s’observent également à l’échelle des deux conseils départementaux étudiés. Alors que les deux collectivités se positionnent chacune dans un rôle d’animation du dialogue partenarial en matière de politique de jeunesse, elles se différencient par le degré et les modalités de son endossement. Dans le premier cas, observé dans la Nièvre, le conseil départemental a endossé ce rôle de manière principalement ponctuelle, à travers la mise en place en 2018 d’une démarche de recueil de la parole des jeunes et l’organisation d’états généraux de la jeunesse. Cet événement n’a cependant pas amorcé, avant que ne survienne la pandémie de Covid-19, de démarche de rencontres partenariales régulières entre les acteurs du territoire. Depuis la fin 2021, dans un contexte d’assouplissement progressif des contraintes sanitaires, ce conseil départemental a toutefois relancé une dynamique partenariale dans le cadre de l’organisation, en mai 2022, d’un forum départemental de la jeunesse et de l’engagement.
Dans le second cas, en Isère, le rôle d’animation du dialogue partenarial par le conseil départemental se révèle plus institutionnalisé et s’inscrit dans une temporalité de plus long terme. Il s’incarne dans l’élaboration, au printemps 2016, du plan départemental jeunesse, structuré autour de trois axes prioritaires que sont : 1) la citoyenneté, l’engagement et la participation ; 2) l’insertion professionnelle ; et 3) l’observation de la jeunesse et la coordination de l’action en direction des jeunes. Ces trois axes sont alors intégrés dans le schéma départemental de service aux familles adopté en mai 2016. Porté par la CAF, ce schéma est un outil de contractualisation des orientations stratégiques partagé entre différents partenaires. Outre le conseil départemental, le schéma associe plusieurs services de l’État (préfecture, cour d’appel, service pénitentiaire d’insertion et de probation [SPIP], direction territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse [DTPJJ], direction académique des services de l’Éducation nationale [DASEN]), ainsi que la MSA, l’Union départementale des associations familiales (UDAF) et l’Association des maires du département. Le plan départemental jeunesse est de surcroît mis en œuvre à travers l’adoption de contrats territoriaux de jeunesse (CTJ) à l’échelle des treize territoires infradépartementaux définis par le conseil départemental dans le cadre de la territorialisation de son action. Ces CTJ, animés localement par des référents jeunesse du conseil départemental, structurent également à leur échelle des partenariats. En dépit de dynamiques locales inégales, ceux-ci permettent le déploiement de projets variés tels que l’ouverture d’espaces d’échanges pour les jeunes décrocheurs ou encore la mise en place d’un projet autour du graffiti.
L’articulation avec le conseil régional, « chef de file » de la politique de jeunesse
Pour une très large majorité de répondants à l’enquête quantitative (41 sur 48, dont 3 sans-réponse, voir encadré « Méthode »), la désignation du conseil régional comme collectivité cheffe de file de la « politique de la jeunesse » en 2017, dans le cadre de la loi égalité-citoyenneté, n’a pas eu d’incidence significative sur les politiques menées par les conseils départementaux. Ainsi, malgré l’évolution de ce cadre institutionnel d’élaboration des politiques de jeunesse et le positionnement nouveau du conseil régional octroyé par la loi, les conseils départementaux n’ont pas abandonné leur volonté de se saisir d’un rôle d’animation et de coordination partenariale à leur échelle. De ce point de vue, la création de nouvelles régions aux périmètres élargis suite à la réforme territoriale et le fait qu’un nombre relativement limité de conseils régionaux se soient à ce jour saisis d’un rôle de chef de file (Moalic, Parisse, 2020 et 2022) peuvent apparaître de nature à offrir une légitimité nouvelle à la collectivité départementale en ce domaine.
Sources bibliographiques
• Abadie F. (coord.), Politiques intégrées de jeunesse : une action publique renouvelée ?, Paris, INJEP, coll. « Cahiers de l’action », no 54, 2019.
• Douillet A.-C., Lebrou V., Sigalo Santos L., « Transversalité », in Boussaguet L., Jacquot S., Ravinet P. (dir.), Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po, 2019.
• Dulin A., Verot C., Arrêtons de les mettre dans des cases ! Pour un choc de simplification en faveur de la jeunesse, rapport au Premier ministre, 2017.
• Moalic M., Parisse J., « Les politiques de jeunesse des conseils régionaux. Entre recomposition des compétences et affirmation inégale d’un rôle de coordination », INJEP analyses & synthèses, no 37, 2020.
• Moalic M., Parisse J., Les politiques de jeunesse des conseils régionaux. Politiques sectorielles, dynamiques transversales et gouvernance partenariale, Paris, INJEP, coll. « Notes & rapports/rapport d’étude », 2022.
• Richez J.-C., « Quand la jeunesse s’inscrit à l’agenda des collectivités territoriales », in Bier B., Richez J.-C. (coord.), Les conseils généraux, acteurs des politiques de jeunesse, Paris, INJEP, coll. « Cahiers de l’action », no 8, 2006.
• Richez J.-C. (coord.), dossier « Politiques locales de jeunesse », Agora débats/jeunesses, no 43, 2007.